jeudi 30 avril 2015

5ème dimanche de Pâques - année B


« Si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur » (1Jn 3, 20). En disant cela, saint Jean dénonce l’un des fléaux les plus ruineux pour la vie spirituelle, ce qu’on appelle la mauvaise culpabilité, le remords, qui peut aussi chez certains prendre la forme du scrupule. La vérité profonde de notre foi consiste à croire que, dans sa mort et sa résurrection, Jésus nous a libérés de nos péchés ; Jésus m’a libéré de mes péchés. L’auteur de l’épître aux Hébreux dit la même chose en d’autres termes : il a « purifié notre conscience des œuvres mortes pour que nous rendions un culte à Dieu vivant » (He 9, 14). Nous sommes purifiés, nous sommes pardonnés : voilà la certitude fondatrice des premiers chrétiens ; voilà le socle spirituel sur lequel s’est édifié toute notre religion.
Mais, il faut bien le reconnaître, cette libération que le Christ a accomplie, nous avons parfois du mal à y croire. Notre cœur reste prisonnier de ses étroitesses. Notre cœur est mesquin, dur ; c’est un cœur de pierre qui a du mal à pardonner aux autres et plus de mal encore à se pardonner à lui-même.
A moins d’avoir vécu comme Dominique Savio, comme Louis de Gonzague ou Thérèse de l’Enfant Jésus, nous avons tous commis des actes que nous désapprouvons aujourd’hui, nous avons fait des erreurs dans notre vie passée ; et, nous le savons bien, nous ne sommes pas à l’abri d’erreurs futures. Et nous voyons bien tout cela, avec un peu de lucidité. En nous souvenant de ces fautes anciennes, en craignant nos lâchetés à venir, il peut arriver que nous nous soyons résignés dans notre culpabilité. J’entends parfois des gens dire : « J’ai fait cela et je ne me le pardonnerai jamais ». Voilà bien une phrase qui n’est pas chrétienne. Qui sommes-nous pour nous constituer en norme de la miséricorde, en mesure du pardon ? Qui sommes-nous pour décider ce qui peut être pardonné et ce qui sera retenu ? Qui sommes-nous pour décréter contre nous-mêmes (alors que Dieu veut nous sauver) une culpabilité éternelle ? Nous ne sommes que des pécheurs lassés de nos péchés. Mais la vérité c’est que Dieu n’a jamais dit à un homme : « Tu as fait cela, et je ne te le pardonnerai jamais ». Le Christ, qui n’a jamais péché, qui n’a jamais été complice du mal, l’Innocent, est aussi celui qui n’a jamais renoncé à pardonner les péchés. Au contraire, même lorsque ces péchés le blessaient, lui, personnellement, il se tourne vers Dieu pour prier et demander : « Père, pardonne-leur » (Lc 23, 34). Si le Christ nous pardonne alors que nous le tuons dans des souffrances terribles, comme osons-nous refuser de nous pardonner à nous-mêmes ? Ce serait une attitude incohérente. J’irais même jusqu’à dire que ce serait un blasphème ; pour employer les images de saint Jean : ce serait une œuvre du diable.
Car, dans la théologie de saint Jean, cette forme de désespoir est l’une des stratégies les plus destructrices du tentateur : c’est bien le diable qui nous accuse, « jour et nuit » (Ap 12, 10), tandis que Dieu nous pardonne. Le combat spirituel se joue ainsi en nous-mêmes. Le diable nous dévalorise à nos propres yeux, essayant de nous désespérer, nous montrant notre médiocrité, nous suggérant des pensées d’angoisse et de honte ; il veut que nous fixions par nous-mêmes la limite de la miséricorde, afin que nous décidions ensuite de nous en exclure par découragement. Pendant ce temps, Dieu veut nous sauver, nous relever, nous remettre debout, nous rendre notre dignité. Le Christ veut nous réhabiliter à nos propres yeux. Il nous montre combien il nous aime, il nous affirme que sa miséricorde est infinie et que nos péchés sont pardonnés. C’est pourquoi saint Jean désigne le Christ de ce beau nom d’Avocat, de « Paraclet » (Jn 14, 16 ; 1Jn 2, 1), de Défenseur (cf. Job 19, 25) : Jésus plaide littéralement notre cause, contre notre désespoir s’il le faut. Agité ainsi par les tentations de découragement, d’une part, et les exhortations, d’autre part, notre cœur a le choix. Soit nous nous laissons aller à notre lâcheté habituelle et nous nous accusons nous-mêmes. Soit nous préférons écouter Dieu et nous faisons confiance à sa bonté plutôt qu’à nos limites. C’est à cela que nous invite saint Jean : notre cœur aurait beau nous accuser, nous devons nous souvenir que Dieu, lui, est plus grand que notre cœur. Que sa miséricorde ait le dernier mot.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.