vendredi 17 avril 2015

3ème dimanche de Pâques - année B


La première lettre de saint Jean est un texte magnifique. Saint Augustin faisait remarquer que, dans cette lettre, « l’apôtre a dit bien des choses, et presque tout ce qu’il a dit se rapporte à la charité » ; et il compare la lecture de cette épître à l’huile qui entretient le feu d’une lampe[1]. C’est dans ce texte qu’on lit, par deux fois, cette admirable formule qui pourrait bien résumer toute la foi catholique : « Dieu est charité » (1Jn 4, 8 ; 16). Cette proclamation résonnera dans nos églises les 6ème et 7ème dimanches de Pâques comme étant, en quelque sorte, la grande charte de notre théologie et de notre morale.
Dans le bref passage que nous avons entendu (1Jn 2, 1-5), saint Jean décrit ainsi l’exigence de vérité dans l’amour que les chrétiens doivent vivre : « Celui qui dit : ‘‘Je le connais’’, et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur ; la vérité n’est pas en lui » (1Jn 2, 4). Il est facile, en effet, de dire qu’on connaît et qu’on aime Dieu, mais tant qu’on se contente de le dire, cela reste quelque chose de vague qui peut nous tromper nous-mêmes. En revanche, si nous disons que nous aimons Dieu et si nous le prouvons en gardant ses commandements, alors il s’agit d’un amour en vérité. On imagine le plus souvent que l’amour est un grand sentiment, agréable et profond, exaltant et printanier. Et on pense aussi que la vérité est quelque chose d’austère, de cérébral, de désincarné. En réunissant ainsi l’amour et la vérité en un seul commandement, saint Jean nous conduit en fait jusqu’à une vérité amoureuse, jusqu’au seul amour véritable : « en celui qui garde fidèlement sa parole, l’amour de Dieu atteint vraiment la perfection » (1Jn 2, 5).
C’est-à-dire que l’amour relève avant tout de la volonté, de la décision, plutôt que du sentiment. Un amour sentimental, on appelle cela de la sympathie, de l’affinité. C’est déjà quelque chose de bien, et de respectable ; mais ce dont parle saint Jean est beaucoup plus réel. L’amour qu’il décrit consiste à connaître en vérité la volonté de Dieu et à l’accomplir de manière précise, réfléchie, avec courage et humilité. Et qu’est-ce que la volonté de Dieu ? C’est ce qui se trouve dans sa parole. La vérité de l’amour c’est ainsi, tout d’abord, dans l’Ancien Testament, les dix commandements. Il n’y a pas d’amour possible si on transgresse les fondements de la loi morale : il n’y a pas d’amour lorsqu’on tue. Dit ainsi, cela paraît évident – et pourtant, avec l’euthanasie, on essaye de nous faire croire à l’aide d’un mot compliqué et déresponsabilisant qu’on puisse tuer par amour. Il n’y a pas d’amour quand on séduit la femme de son meilleur ami – et pourtant, on essaye de nous faire croire que, par amour, on puisse briser légitimement des familles ; on pourrait, par amour, commettre un adultère ! Les mots sont piégés : on commet l’adultère par passion, mais non par charité. Or, la vérité de l’amour, ce n’est pas passion, c’est la charité. La vérité de l’amour, c’est aussi, pour aujourd’hui, les commandements de l’Eglise : la prière quotidienne, la messe de chaque dimanche, la confession régulière. Sans pratique chrétienne explicite, engagée, habituelle, l’amour de Dieu serait bien tiède ; sans prière, sans messe, sans pénitence, comment savoir qu’on aime Dieu ? Si nous comprenons cela, alors le commandement de l’amour prendra pour nous un sens concret et libérateur. Nous pourrons alors, mais alors seulement, suivre le conseil de saint Augustin : « Aime et fais ensuite ce que tu veux »[2]. Car celui qui aime en vérité (c’est-à-dire : en gardant les commandements de Dieu) ne peut ensuite vouloir que le bien véritable.
Voilà pourquoi saint Jean commence par dire : « Je vous écris pour que vous évitiez le péché » (1Jn 2, 1), parce que le péché, désobéir aux commandements de Dieu, c’est cela qui blesse l’amour véritable. Mais saint Jean va plus loin ; il ne dit pas : « Je vous écris pour que vous évitiez le péché ; mais si vous péchez, je vous rejette, je vous condamne, je vous abandonne à votre culpabilité éternelle ». Il dit, au contraire : « Mes petits enfants, je vous écris pour que vous évitiez le péché. Mais, si l’un de nous vient à pécher, nous avons un défenseur devant le Père : Jésus Christ, le Juste » (1Jn 2, 1). Cela ne veut pas dire que le péché n’est pas grave, ou qu’on peut vivre n’importe comment et que Dieu, un peu faible, un peu lâche, pardonnerait toujours (Oui, il pardonne toujours ; mais il présomptueux de croire qu’on accueillera toujours son pardon…). Saint Jean veut dire que le Christ, lui qui nous a aimés sans jamais commettre le mal, sans jamais dire un mensonge, sans jamais poser un acte de violence, lui qui est mort par amour pour nous, est prêt à être notre avocat si notre conscience nous accuse (1Jn 3, 20). Et pourtant, c’est nous qui l’avons insulté, qui l’avons condamné, qui l’avons torturé, qui l’avons tué. Nous avons tué notre défenseur ; quand un bandit assassine son avocat, qui va le défendre ? Et c’est ce que nous avons fait. Mais comme l’amour du Christ est plus grand que notre méchanceté, le Christ fait de son amour un argument plus fort que notre culpabilité. Notre avocat, que nous avions tué, est vivant, et il plaide maintenant en notre faveur.
N’ayons pas peur de regarder lucidement nos torts, nos fautes, nos méchancetés, nos rancunes… mais regardons aussi Jésus Christ qui souffre et qui nous aime, regardons Jésus Christ ressuscité, en gloire auprès de son Père, qui nous invite à entrer dans la lumière. Si Dieu nous commande d’aimer, c’est parce qu’il nous aime, lui, le premier (1Jn 4, 19), et que son amour sait déjà réparer nos manques d’amour. S’il nous commande d’aimer, c’est aussi pour que nous aimions, et qu’ainsi nous lui devenions semblables (1Jn 3, 2), puisque « Dieu est amour ». 




[1] saint Augustin, Commentaire de la première lettre de saint Jean, Prologue.
Lien vers le texte en latin :
Lien vers le texte en français :

[2] « Dilige et quod vis fac » (saint Augustin, Commentaire de la première lettre de saint Jean, VII, 8). 

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