jeudi 26 novembre 2015

1er dimanche de l'Avent - année C


La première lettre de Paul aux Thessaloniciens est, nous disent les exégètes, le premier texte du nouveau Testament, le plus ancien écrit chrétien, rédigé avant les évangiles, le témoignage le plus proche de l’événement de la Résurrection de Jésus. A ce titre, ce texte possède une autorité de fondement et doit être, sur toute question, considéré comme un document d’une valeur inestimable.
Du fragment que nous avons entendu (1Th 3, 12 – 4, 2), je voudrais retirer le premier enseignement chrétien que nous possédons sur l’amour. Nous lisons : « Que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant » (1Th 3, 12). De quoi s’agit-il ? L’amour dont parle saint Paul est ici désigné par un terme technique, qui possède dans le vocabulaire chrétien une signification tout à fait décisive. Le mot agapè (qu’on peut traduire également par : charité) n’est pas simplement un sentiment, une sympathie, une amitié (qui sont des réalités très estimables, mais seulement humaines). L’amour dont parlaient les premiers chrétiens contenait une exigence beaucoup plus radicale qui poussait les fidèles à donner leur vie au nom de leur attachement à l’évangile. On ne peut dire qu’il s’agisse d’une sympathie doublée d’une générosité (car cela aussi, tout en étant infiniment respectable, reste une attitude qui correspond aux forces de l’homme) ; cet amour, c’est une décision volontaire, au nom de l’évangile ; c’est être disponible pour se sacrifier ; c’est choisir, en conscience, de préférer le bonheur des autres à sa propre réussite, et même à sa propre vie. Là, on se trouve devant une réalité qui dépasse vraiment les forces de la nature humaine : personne ne peut, par lui-même, mépriser son confort, ses projets et sa vie même au profit des autres si Dieu ne lui inspire une telle volonté. Voilà pourquoi Paul, parlant de cette charité, demande : « Que le Seigneur vous donne… un amour de plus en plus intense et débordant ». C’est un don de Dieu.

Qui devons-nous aimer ? La réponse suggérée par cette prière est double. Paul s’adresse aux fidèles, à l’Eglise ; et il leur dit d’abord qu’ils doivent s’aimer les uns les autres : « entre vous ». Aux Galates, le même Paul demandera de montrer de la bienveillance et de la solidarité « surtout envers nos frères dans la foi » (Ga 6, 10). Oui, il est raisonnable d’aimer d’un amour particulier ceux avec qui nous croyons à l’évangile. C’est bien là une exigence primordiale : si ceux qui partagent une même foi ne sont pas unis par un même amour, personne ne pourra faire confiance à la vérité de leur croyance ; au contraire, « tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 35). L’amour fraternel, pour ceux qui sont dans l’Eglise, est ainsi le premier acte de l’évangélisation, pour ceux qui sont hors de l’Eglise. Il n’y aurait pas de pire contre-témoignage que des guerres entre croyants.
Mais si l’on n’aime que ceux qui nous ressemblent, nous ne sommes pourtant pas très généreux. Jésus mettait en garde : « même les pécheurs aiment ceux qui les aiment » (Lc 6, 32). Aussi, la caractéristique d’un amour vraiment chrétien consiste à aimer particulièrement les chrétiens, nos frères, afin d’aimer universellement tous les hommes. Paul dit aux Thessaloniciens : « entre vous et à l’égard de tous » (1Th 3, 12) ; il dira pareillement aux Galates, dans un autre ordre : « pratiquons le bien à l’égard de tous et surtout de nos frères dans la foi » (Ga 6, 10). L’amour des chrétiens entre eux est primordial, mais il n’est pas à lui-même sa propre finalité ; si les chrétiens s’aiment les uns les autres, c’est pour pouvoir ensuite aimer tous les hommes.
Un tel amour dépasse vraiment les forces de l’homme : il s’agit maintenant d’aimer des gens qui ne pensent pas comme nous, qui ne croient pas comme nous ; ce sont peut-être des gens qui nous font peur ; ce sont peut-être des gens qui nous ont fait du mal. Et nous devons nous aimer pour les aimer. En ce temps de violence, ce message du premier texte chrétien de l’histoire montre bien son actualité. Ayons le courage de recevoir ainsi de la charité de nos frères Thessaloniciens l’exemple d’un amour fervent dans l’Eglise et ouvert aux frontières de l’Eglise, car « au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour »[1].




[1] Saint Jean de la Croix, Dichos, 18 ; cité par le Catéchisme de l’Eglise Catholique, n° 1022. 

vendredi 20 novembre 2015

Christ Roi - année B


La fête du Christ-Roi n’a de sens que si on la considère comme un écho liturgique du Vendredi Saint. C’est ce jour-là que la royauté du Christ s’est manifestée dans sa paradoxale évidence, Pilate disant : « Voici votre roi » (Jn 19, 14), puis demandant : « Vais-je crucifier votre roi ? » (Jn 19, 15), puis faisant mettre par écrit : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs » (Jn 19, 19). Il n’y a pas d’autre royauté du Christ que celle-là.
Dans le bref passage que nous venons d’entendre (Jn 18, 33-37), tiré de cet immense récit de la Passion selon saint Jean, que nous avions entendu le Vendredi Saint, il est précisément question d’une discussion entre Pilate et Jésus au sujet de cette royauté : « Alors, tu es roi ? » (Jn 18, 37). Dans l’antiquité, la royauté était une situation pour le moins ambiguë : dotée d’un incontestable prestige et éventuellement d’un certain pouvoir, la dignité royale se définissait également, en contrepartie de ces avantages, par un risque vital. Le roi est, de toute évidence, celui que l’ennemi cherche à tuer en premier. Dans une bataille, c’est d’abord sur lui que se concentre toute l’énergie des assaillants de sorte qu’il supporte le danger maximal ; ainsi pour Saül dans le dernier combat qu’il livra contre les adversaires d’Israël : « Le poids du combat se porta sur Saül » (1S 31, 3).
Si le ministère de Jésus fut une action royale, on peut donc relire le fait de sa mort dans cette logique : Jésus a combattu contre l’erreur, contre la haine, contre l’injustice, contre l’hypocrisie religieuse. Et tous ces ennemis, ligués contre lui, ont cru porter un coup décisif contre son message en obtenant sa mort dans le combat spirituel qu’il menait.

En disant qu’il vient « rendre témoignage à la vérité » (Jn 18, 37), Jésus indique en effet que sa mission se situait dans un certain contexte d’opposition. On peut se demander, en effet, pourquoi « la vérité » n’est pas capable de s’imposer d’elle-même : pourquoi faudrait-il que quelqu’un témoigne en sa faveur ? Elle n’en a besoin, en toute logique, que si elle est niée injustement. Qu’il faille lui rendre témoignage suppose qu’on l’a rejetée et qu’il soit nécessaire de surmonter ce premier refus par un surcroît d’évidence. Et le témoignage, dans le vocabulaire grec de l’évangile, c’est aussi le martyre, l’affirmation d’une vérité jusque dans la violence, d’une constance jusque dans la mort.
Quel est donc le témoignage ? C’est la croix de Jésus. Quelle vérité ce témoignage affirme-t-il ? Dans la logique de saint Jean, cette vérité ultime à laquelle la croix de Jésus rend témoignage est, sans aucun doute, que « Dieu est amour » (1Jn 4, 8 ; 16). Nous voyons un homme condamné, torturé, cloué sur une croix et confondu avec deux sordides criminels ; et en voyant cela, il nous faut comprendre que Dieu est charité. La royauté de Jésus, c’est cela ! En ceux qui contemplent le crucifié et qui voient l’amour de Dieu, en ceux-là, le Christ règne.

En ces jours de détresse, la question de la royauté de Jésus se pose peut-être avec une urgence particulière. Nous voyons bien que le pouvoir du Christ-Roi n’est pas une force de vengeance, que ce n’est pas une capacité à contenir une violence par une violence plus grande. Si cela constitue les rouages de la politique et de la guerre, l’évangile se situe dans une autre logique. Le vrai pouvoir du Christ-Roi, c’est de pardonner à ses bourreaux. Que la dernière prière de Jésus ait été une absolution (« Père, pardonne-leur » ; Lc 23, 34) établit sa royauté dans le pouvoir de faire grâce. Si d’autres sentiments peuvent habiter nos cœurs ébranlés par les conflits du monde, obscurcis par la barbarie qui devient ordinaire, c’est que nous ne sommes pas encore bien évangélisés. Il serait utile alors de demander à Dieu, mais de le demander avec foi : « que ton règne vienne ! » (Lc 11, 2).


samedi 14 novembre 2015


Et maintenant, nous te supplions, Seigneur : Par le sacrifice qui nous réconcilie avec toi, étends au monde entier le salut et la paix. Affermis la foi et la charité de ton Église au long de son chemin sur la terre… Écoute les prières de ta famille assemblée devant toi, et ramène à toi, Père très aimant, tous tes enfants dispersés.  
Pour nos frères défunts, pour les hommes qui ont quitté ce monde et dont tu connais la droiture, nous te prions : Reçois-les dans ton Royaume.

(Missel Romain, Prière eucharistique n° 3)


vendredi 13 novembre 2015

33e dimanche - année B


Jésus nous demande de nous laisser instruire par la comparaison du figuier (Mc 13, 28). Il suffit d’entendre évoqué cet arbre délicieux pour laisser monter dans notre imagination et notre mémoire tout un monde de sensations de soleil, d’odeurs sucrées et de goûts subtils. Chez les anciens philosophes du bassin méditerranéen, la figue passait pour ce qu’il y a de meilleur dans la nature : « il n’y a rien de plus doux que les figues, excepté le miel » faisait dire à Aristophane l’empereur Julien[1]. Un auteur chrétien, remarquant que le figuier est nommé dans les premières pages de la Genèse (3, 7 ; cf. Jg 9, 11), fait également ce compliment au plus savoureux des fruits de la création : « La figue, sucrée et plantureuse, évoque les délices que connut l’homme au paradis, avant sa révolte »[2]. Le figuier renvoie ainsi à l’enfance de l’humanité, à un imaginaire d’innocence et de douceur, de vie sereine et calme, à des mythes de bonheur et à des impressions de plaisirs sains. Le thème du paradis, en effet, peut-être tout entier symbolisé par cet arbre ensoleillé.
Durant l’hiver, le figuier est en sommeil, comme mort. Le bois est rigide et la vie semble s’être retirée de cette écorce grise et froide. Au printemps, de bourgeons d’un vert tendre sortent bientôt de petites feuilles aux formes caractéristiques, fines et presque transparentes qui sont, dans le soleil, comme des vitraux qui se laissent transfigurer par la lumière. On passe de la mort hivernale à une résurrection printanière magnifique. Celui qui sait être attentif à une telle éclosion se met alors à se souvenir des fruits de la saison précédente, du sucre délicieux qu’ils contenaient sous cette peau violacée ; il entrevoit alors, plein d’espérance, les figues de la récolte prochaine. Les fruits à venir seront-ils aussi bons, aussi gorgés de ce goût de soleil ? Seront-ils meilleurs encore ? Quelle abondance sera celle de ce vieil arbre au tronc plissé ? Le désir grandit en lui, en même temps que l’espoir. Cet homme qui scrute ainsi les phases et les métamorphoses de la nature sait alors « que l’été est proche » (Mt 13, 28) ; mais il le sait avec envie et dans l’attente.
Car il y a une autre manière de savoir que l’été est proche. Les hommes de l’antiquité n’étaient pas plus bêtes que nous et disposaient de calendriers qui étaient capables de leur dire, administrativement, astronomiquement, dans combien de jours viendraient l’équinoxe et le solstice. Pour savoir quand sera l’été, on peut toujours se fier à une définition technique. Mais c’est tout autre chose. Ce n’est pas un espoir, c’est une résignation ; ce n’est pas un désir, c’est un constat. Quoi qu’il arrive, l’été viendra le 21 juin, qu’on le veuille ou non, que cela plaise ou non.

En prenant la comparaison du figuier pour parler de sa venue et de la fin du monde, Jésus nous indique une attitude spirituelle. Alors que la présentation habituelle de ces événements des derniers temps est entourée d’éléments de catastrophe et de malheur (et le texte de notre évangile mentionne, il est vrai, aussi des cataclysmes cosmiques ; Mc 13, 24-25), Jésus n’est pas l’otage de cette apocalyptique un peu terrifiante. L’image du figuier vient dédramatiser tout ce folklore de ténèbres et de fracas, pour introduire un imaginaire d’espérance et de désir. Attendre le retour du Christ comporte autant de joie que de prévoir une bonne récolte de ce que la nature nous offre de plus doux ; et les signes avant-coureurs de cette venue sont les indices d’un bonheur aussi simple et aussi sain que de se préparer à déguster un fruit estival. Alors que l’histoire humaine, avec ses guerres et ses violences, nous annonce la fin comme une terrible perte, la nature, avec la douceur de l’alternance des saisons, nous suggère qu’elle est une joie d’enfant. Et cette espérance est sans doute plus réelle que toutes nos peurs.




[1] Pseudo Julien l’Apostat, Lettre XXIV, à Sarapion, « Eloge des figues et du nombre cent ». Si l’on relève habituellement que cette lettre n’est pas de Julien, et que la citation n’est pas d’Aristophane, le propos s’accorde en général avec ce qu’on sait de la pensée antique.
[2] Méthode d’Olympe, Le Banquet, 10 ; 264 ; Sources Chrétiennes n° 95, le Cerf, Paris, 1963 ; p. 281.  

vendredi 6 novembre 2015

32e dimanche - année B


Cette veuve de Sarepta (1R 17, 10-16) était dans une bien grande détresse. Evidemment, il y a sa détresse personnelle : elle sait qu’elle va mourir. Mais il y a également, dans la mentalité antique, cette idée que c’est une famille qui va disparaître : son mari est déjà mort, et son fils va mourir avec elle. La mort d’un individu n’était pas tellement perçue comme tragique – les anciens savaient que la mort fait partie de la vie, et que la vie continue dans les enfants et les générations futures. Mais là, précisément, la vie ne continuera pas dans les générations futures. Et cela était perçu comme une terrible malédiction, comme une honte définitive.
On peut aussi s’étonner de ce repas qu’elle veut préparer (1R 17, 12) : à quoi cela sert-il de manger avant de mourir ? Là encore, il faut essayer de comprendre la mentalité antique. Le repas avant la mort était un acte rituel très important. On se souvient qu’Isaac, avant de mourir, avait demandé à Esaü, son fils, de lui préparer un festin (Gn 27, 4). Plus familier, évidemment, nous est la dernière Cène de Jésus : en célébrant avec ses disciples un ultime repas avant de mourir, Jésus faisait ce qu’avait fait Isaac, ce que voulait faire cette veuve de Sarepta. Même si cette tradition est aujourd’hui tombée en désuétude, nous devons reconnaître qu’elle était courante dans l’Orient ancien, et bien attestée dans la Bible.
Mais, pour cette veuve et son fils, ce dernier repas ne se passe pas comme d’habitude. Un invité imprévu, intrusif, arrive, et cet invité est un prophète. Evidemment, la veuve ne sait pas que c’est un prophète : elle voit seulement un homme qui a faim, qui ne pense pas qu’il va mourir, et qui veut simplement manger (1R 17, 10-11 ; 13). Que peut-elle faire ? Si elle renonce à son dernier repas, si elle meurt sans célébrer ce dernier rite, elle compromet encore la réputation de sa famille qui est déjà condamnée à disparaître dans la honte. Si elle refuse d’aider le prophète, elle laisse cet homme souffrir de la faim et elle manque aux devoirs de l’hospitalité. Que faire ? Elle décide de renoncer à son dernier repas, pour obéir à la parole d’Elie et pour honorer les droits de son hôte (1R 17, 15). C’est-à-dire qu’elle a renoncé à son dernier bien, elle a renoncé à tout ce qui lui restait ; elle a sacrifié son tout, simplement pour assurer un petit repas à un inconnu de passage. Est-il raisonnable de sacrifier toutes choses pour une cause aussi petite ? Non ; cela ne paraît pas raisonnable. Il est insensé de tout donner, il est fou de sacrifier ainsi l’honneur de toute une famille, sa propre vie et celle de son fils, pour le seul confort d’un visiteur importun. Et pourtant, c’est ce qu’elle a fait.

Cette petite histoire nous invite à réfléchir sur ce qu’est le renoncement. Le Christ invite ses disciples à renoncer à beaucoup de choses, à ne pas profiter d’avantages bien tentants et bien décevants, afin d’être disponibles pour le Royaume. « Ainsi donc, quiconque parmi vous ne renonce pas à tous ses biens, ne peut être mon disciple » (Lc 14, 33). L’injonction est sévère. On pense habituellement que cela veut dire qu’on doit se défaire de ce qu’on a : « je possède telle richesse ; j’en ai bénéficié pendant des années ; maintenant j’y renonce en vue de l’Evangile ». On voit pourtant que la logique de la veuve de Sarepta est autre, beaucoup plus radicale. Le prophète lui demande de renoncer à ce qu’elle n’a pas encore, de renoncer à ce repas qu’elle n’a pas encore préparé mais qu’elle a déjà prévu. Pour obéir à la parole d’Elie, elle doit renoncer à un projet. Et cela, c’est beaucoup plus austère que de renoncer (souvent par lassitude) à quelque chose dont on connaît le profit mais dont on sait également les limites.
Mais, dans cette situation d’extrême détresse, la logique se renverse d’elle-même. Le projet de cette femme était de prendre un repas avec son fils, puis de mourir avec lui. En renonçant à ce repas qui devait être son dernier réconfort, le dernier acte cultuel d’une vie marquée par la tragédie de la famine, elle s’ouvre à une autre dimension. Peut-être que la promesse d’Elie lui a semblé une belle parole en l’air : « Jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra » (1R 17, 14). Elle pouvait penser que, bientôt morte, elle ne serait plus là pour vérifier ! Mais elle a fait confiance, néanmoins. Et de ce renoncement, en effet, a jailli une fécondité inattendue, une abondance promise à laquelle on ne croyait même pas. En renonçant au dernier acte de sa vie, la femme a renoncé à mourir (mais elle ne le savait pas), et elle a vécu, elle et son fils, accueillant ce surcroît comme un don gratuit et impensable.
On ne pense pas que les choses les plus importantes dans la vie d’un homme ne sont pas celles qu’il peut se donner à lui-même, ce qu’il peut acheter ; cela, c’est de l’utile, en général, du plaisant, quelquefois, mais pas de l’essentiel. Ce qui compte vraiment, c’est ce qui nous est donné. Mais pour recevoir une chose qui nous est donnée, il faut vivre cette logique paradoxale qui conjoint un désir et un renoncement : s’il n’y a pas de désir, la chose n’est pas essentielle ; s’il n’y a pas de renoncement, il n’y a pas de donation. Cette veuve voulait vivre, sans doute ; et elle voulait que son fils vive, même si elle n’y croyait plus. Et en renonçant à ce dernier repas, elle a vécu, vraiment ; et sa vie était un don de Dieu.
Le renoncement est toujours un risque ; c’est un acte coûteux, difficile, insensé parfois. Pourtant, seul le renoncement permet de créer du nouveau. Cette veuve de Sarepta a renoncé à tout, et elle a reçu de Dieu la vie de sa famille et une gloire éternelle. Même le Christ a parlé d’elle, en faisant un modèle de foi (Lc 4, 26). Notre société, gavée d’abondance et de rassasiement a oublié que le renoncement est ce qui donne sa qualité à la possession. Le bonheur n’est pas de détenir simplement ce qu’on peut acheter, mais de recevoir ce qui est vraiment capable de nous combler. Quand nous risquons d’être submergés par la tristesse de consommer bêtement, souvenons-nous de cette veuve, de sa générosité et de son grand renoncement. Elle nous donne une leçon de vie.