vendredi 28 novembre 2014

1er dimanche de l'Avent - année B



Le prophète Isaïe (63, 16 – 64, 7) était un poète. Il sait décrire l’état de l’humanité avec des images et des mots extrêmement suggestifs. De quoi parle-t-il ? De vêtements salis, de feuilles mortes emportées par le vent, qui sont le symbole de nos cœurs insensibles à la bonté de Dieu et de notre obstination quotidienne dans nos petits péchés confortables. C’est que, lorsque nous faisons un petit effort pour nous connaître un peu lucidement, nous voyons en général le bon côté des choses, les avantages de nos imperfections et les excuses de nos lâchetés. Nous savons, par exemple, que nous ne sommes pas très généreux, mais nous trouvons tellement de compensations dans notre égoïsme que nous ne voyons pas qu’il nous souille. Ou bien nous nous rendons compte que nous avons des idées étroites, intransigeantes, que nous disons parfois des paroles blessantes, mais cette affirmation de nous-mêmes nous donne l’impression d’être quelqu’un et nous refusons alors de nous remettre en cause ; cela exalte notre volonté mais asphyxie notre vie spirituelle, et nous ne souhaitons pas devenir plus charitables, plus indulgents. Parfois nous faisons des actes que nous trouvons beaux, dont nous sommes fiers, nous pensons accomplir de bonnes actions, et nous ne voyons pas que nous n’agissons qu’en fonction de nous-mêmes, sans vraiment penser aux autres ni à Dieu ; ainsi, même le bien que nous faisons est étriqué par la recherche de notre propre prestige. Alors, dit Isaïe, nous pensons nous revêtir de nos actions éclatantes comme de vêtements somptueux, et nous ne voyons pas que ce sont des vêtements salis. Parfois, enfin, nous croyons que nous conduisons notre vie et que nous sommes capables de prendre de vraies décisions, mais nous ne voyons pas que nous nous laissons influencer par les opinions, par la mode, par l’image que nous voulons donner de nous-mêmes. Nous sommes finalement comme ces feuilles d’automne qui ne savent pas faire autre chose que de tomber par terre et se laisser emporter par le vent froid, tout en ayant l’illusion que ce sont elles qui se dirigent. Voilà, dit Isaïe, l’état de notre petite vie que nous croyons belle et qui est en fait assez pitoyable.
Dieu, qui regarde ce spectacle consternant sans avoir, lui, aucune illusion sur nous, pourrait se dire que nous ne méritons pas d’être pris en considération. Nous sommes tellement mesquins, tellement centrés sur nous-mêmes, que cela ne vaut pas la peine qu’on s’occupe de nous. Et pourtant Dieu, qui aurait bien de raison de nous traiter par le mépris, ne veut pas nous mépriser : « et pourtant, nous serons sauvés » dit Isaïe (64, 4). Quel paradoxe ! Y a-t-il, de notre côté, une raison qui pourrait pousser Dieu à venir à notre secours ? Non (cf. Dt 9, 4-5) ; il n’y a que notre médiocrité, notre méchanceté quotidienne, notre lâcheté confortable et hypocrite, et cela ne peut expliquer qu’on s’intéresse à nous. Mais Dieu est plus grand que tout cela ; il est « plus grand que notre cœur » (1Jn 3, 20), et son regard bienveillant ne voit pas en nous notre pauvreté ; il voit surtout qu’il est « notre Père » (Is 63, 16 ; 64, 7). Aussi, ce n’est pas en se fondant sur ce que nous sommes qu’il vient nous sauver. C’est en se fondant sur ce qu’il est, lui – notre Père – qu’il est ému de compassion et qu’il vient à nous pour nous tirer du malheur auquel nous nous étions habitués.
« Voici que tu es descendu » (Is 64, 1) : a-t-on déjà vu un Dieu qui accepte de partager la condition misérable de l’homme ? Les dieux des païens se définissaient plutôt comme parfaitement étrangers aux misères humaines ; ils se réfugiaient sur l’Olympe, ils habitaient une gloire qui les éloignait de toutes nos faiblesses. Mais le Dieu d’Israël n’agit pas ainsi : c’est un Dieu qui vient vers nous, qui vient en nous. Il n’a pas peur de nos pauvretés ; il n’a pas honte de partager nos inquiétudes, alors que c’est par notre faute que nous sommes inquiets. Il ne renonce même pas à choisir parmi ses disciples les pécheurs que nous sommes, alors que, sept fois par jour, nous savons bien le trahir.
Le mystère de Noël que nous nous préparons à fêter célébrera ce choix bouleversant de Dieu qui, alors que nous ne méritions aucune considération de sa part, a renoncé à sa propre gloire pour prendre sa part de souffrance et d’angoisse. Il a accepté d’être rejeté (par nous), d’être incompris (de nous), d’être jugé (par les coupables que nous sommes) ; il a accepté d’être pauvre, d’avoir faim, il a accepté de mourir pour nous, non pas parce que nous étions les meilleurs des hommes, mais parce que notre misère l’a bouleversé. Il voulait changer nos cœurs étroits et malades en des cœurs pleins de confiance et de charité. C’est pour cela qu’il vient ; nous résignerons-nous à le décevoir ?


jeudi 20 novembre 2014

Christ Roi - année A

Un auteur américain, plein d’humour et assez anticlérical, a écrit, à la fin du XIXe siècle une fable pleine de fraîcheur[1]. Au moment où naissait le prince héritier de la couronne d’Angleterre, naissait – exactement au même instant – un petit pauvre. Les hasards de la vie et les besoins de l’intrigue font que ce petit prince et ce petit mendiant se ressemblent étrangement, comme deux jumeaux ; ils se rencontrent et, par jeu, échangent leurs costumes et leurs rôles. Et voilà que, dans un quiproquo invraisemblable, le petit mendiant est reconnu comme roi, tandis que le jeune prince est jeté hors du palais sans ménagement. L’enfant roi découvre alors la misère de son peuple ; sans cesse enfermé dans son univers de richesse, de protocole et de noblesse, il ignorait tout de la pauvreté, de la faim, de la maladie et de la prison. Mais ainsi projeté parmi les gueux, les mendiants, les voleurs, il fait l’expérience d’un monde de souffrance et de peine dont il ne soupçonnait pas l’existence. A la mort du roi, son père, échappant à un complot et aidé par un jeune chevalier qui fait confiance à ses bizarreries princières, l’héritier légitime revient finalement in extremis ; le petit mendiant, qui, entre temps, n’a pas tellement apprécié la vie de la cour et qui allait être consacré roi par erreur, lui cède bien volontiers la place à la tête de l’Etat.



Cette histoire savoureuse et enfantine reprend un très vieil archétype que Jésus utilise également dans l’évangile que nous venons d’entendre. Le roi dont parle Jésus est, comme ce jeune prince anglais, semblable à tous les mendiants de son royaume de sorte qu’il peut dire au sens propre : « j’avais faim… j’avais soif…j’étais malade… j’étais en prison… » (cf. Mt 25, 35-36). Est vraiment roi celui qui a fait l’expérience de toutes les misères de son peuple, celui qui est capable de compatir réellement à toutes les détresses. Evidemment, quelques royautés décadentes nous ont donné une image plus frivole : célébrité, bals, luxe et richesse. Mais il faut chasser de notre esprit ces images futiles. La royauté dont parle Jésus n’a rien à voir avec ces plaisirs mondains.
Si Jésus est vraiment roi, cela veut dire qu’il n’est indifférent à aucune de nos angoisses. Et plus encore, cela veut dire qu’il en est affecté concrètement, personnellement. Lorsque nous souffrons, Jésus souffre avec nous ; Jésus souffre en nous. Le jeune prince de la fable n’était pas seulement triste de loin – il est allé à la rencontre des miséreux. De même, Jésus ne se désole pas de nos souffrances en étant confortablement installé dans sa gloire céleste. C’est bien en étant venu partager en tout nos pauvretés – jusqu’à mourir et à mourir sur une croix – c’est bien en souffrant non seulement pour nous, mais avec nous, qu’il s’est fait reconnaître comme notre Roi. C’est sur la croix, en effet, alors que Jésus transformait toute souffrance en amour, que Pilate fera inscrire ces mots dérisoires et en même temps prophétiques : « Le Roi des Juifs » (Mt 27, 37).
C’est pourquoi on peut dire que le règne de Jésus est « règne de vie et de vérité, règne de grâce et de sainteté, règne de justice, d’amour et de paix » (préface de la messe). Un roi qui a souffert du mensonge, de l’injustice, de la haine et de la guerre, un roi qui a souffert la mort même, sait comment il peut régner. Son royaume n’est pas sans misères, certes. Mais chaque détresse peut y trouver un soulagement, parce que dans chaque souffrant on discerne le visage du Roi lui-même. « Amen, je vous le dis, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).

Elisabeth de Hongrie, une sainte reine fêtée la semaine dernière, avait admirablement compris cela, en vivant d’une manière radicale la spiritualité de pauvreté franciscaine. Elle ne se contentait pas de prier, et d’aider les pauvres en vivant elle-même dans la facilité ; sa charité était théologique, contemplative. Elle savait « reconnaître » et « vénérer le Christ dans les pauvres »[2]. Il ne s’agissait pas pour elle d’être simplement riche, généreuse et pieuse ; devenue veuve, elle a voulu épouser la pauvreté pour partager en tout la vie de ceux qu’elle se proposait de secourir. Elle est ainsi passée d’une royauté humaine au royaume du Christ. Elle a eu faim avec ceux qui avaient faim, soif avec ceux qui avaient soif… et c’était là le secret d’une joie surnaturelle qui transfigurait son visage dans la prière.
Cet exemple de sainteté n’est pas une belle idée médiévale et inaccessible. Par le baptême, chaque croyant devient prêtre, prophète et roi : prêtre comme le Christ, pour offrir sa vie ; prophète comme le Christ, pour annoncer l’évangile ; roi comme le Christ, pour compatir à toute souffrance. En ces temps de détresse et d’angoisse, que les chrétiens n’oublient pas qu’ils ont reçu, dans la royauté du Christ, l’exigence d’une charité universelle et d’une miséricorde en faveur de tous ceux en qui Jésus souffrant se donne à contempler.




[1] Mark Twain, The Prince and the Pauper, 1882. Ce roman a donné lieu à de nombreuses adaptations cinématographiques dont la première (en date et en qualité) est celle de W. Keighley, avec Errol Flynn (1937).
[2] Oraison de la fête de sainte Elisabeth de Hongrie (17 novembre). 

vendredi 14 novembre 2014

33e dimanche - année A



Dans les paraboles de Jésus, il est plus d’une fois question de voyage. Le personnage principal, le maître de maison ici (Mt 25, 14), le vigneron (Mt 21, 33) ou un roi ailleurs (Lc 19, 12), est présent au début, puis absent un long moment où se déroule l’action, puis reparaît en fin de compte pour la conclusion et la morale de l’histoire. Ce motif reproduit sans doute la vie quotidienne à l’époque de Jésus. Les marchands voyageaient vers l’Orient pour chercher leurs produits, les pèlerins voyageaient à Jérusalem pour aller célébrer quelque fête, les rois voyageaient à Rome pour faire confirmer leur royauté ; bref, la vie, c’était de voyager, de bouger. Ceux qui restaient chez eux, les “manants” comme on dit dans le français médiéval, étaient des ouvriers ou des domestiques de second rang, des gens de peu d’importance.
Mais voyager suppose d’assumer un double risque : d’abord le risque du trajet lui-même (cf. 2Co 11, 26) ; les dangers des routes étaient bien réels. Ensuite, le risque de laisser sa maison, sa famille, dans un pays où la sécurité intérieure n’était pas idéale. Le maître devait donc repérer quelques intendants fidèles, des serviteurs fiables, honnêtes et courageux, à qui il pourrait confier ses proches et ses biens (Mt 25, 14-15). S’il n’a personne de confiance, le maître ne peut pas partir ; il doit défendre en personne son domaine. Partir est un acte de foi.
Et la parabole suggère ainsi que cet acte de foi, Dieu l’a fait en notre faveur. Il a créé le monde, et puis il s’est retiré en nous confiant son œuvre totalement, sans retour. Et cela, nous le découvrons bientôt, est à double tranchant : nous sommes honorés de la confiance que Dieu nous fait, car c’est bien nous qu’il a daigné établir pour l’administration de tous ses biens ; mais – et c’est là que surgit la difficulté – il est donc absent et cette absence de Dieu peut paraître pénible. Il nous faut donc assumer seuls la confiance que Dieu nous a faite, et ce n’est pas si facile. Certains se montrent à la hauteur ; avec des prises de risque calculées, et du travail, ils font fructifier le capital qui leur a été confié (Mt 25, 16-17). D’autres prennent peur et se trouvent paralysés dans une stérilité traumatisante (Mt 25, 18). Et pendant ce temps, Dieu est loin. Et comme il n’y a pas de moyen de communication, Dieu n’encourage pas ses bons serviteurs, il ne rassure pas les inquiets, il ne corrige pas ceux qui s’égarent ; il ignore même ce qu’ils font. Dieu ne dit rien ; il ne fait rien. Evidemment, il aurait pu ne pas partir ; mais il est parti, il a pris ce risque, réellement.
Enfin, Dieu reparaît et règle ses comptes (Mt 25, 19). Si on lit la parabole du point de vue du mauvais serviteur, on ne peut manquer de le plaindre : le pauvre, il n’a pas eu de chance, le maître est dur… dans notre société, on trouve toujours des excuses pour les incompétents. Mais ceci est un regard doublement faussé. Tout d’abord, n’oublions pas qu’il ne s’agit que d’une parabole – c’est une image, pas la réalité. Et une condamnation en parabole, ce n’est qu’une mise en garde dans la réalité. Ensuite, la parabole ne parle pas tant des serviteurs que du maître de maison ; c’est bien lui le personnage principal et c’est donc avec son regard qu’il faut tirer la morale de l’histoire. Et cette morale peut alors être ceci : craignant raisonnablement quelques échecs, Dieu n’a pourtant pas hésité à remettre tout son bien aux hommes. Il espérait sans doute que sa confiance nous grandirait, nous inciterait à une vraie créativité, à une émulation constructive. Que pouvait-il faire de plus que de nous honorer de son crédit total ? En nous faisant confiance, Dieu a pris le risque d’être déçu ou trahi. La parabole ne dit pas que Dieu prend plaisir à accuser le serviteur incapable – il ne s’agit pas d’un maître cruel. Dieu est sans doute plus désolé encore que ce serviteur, il ressent l’échec de son homme de confiance comme une défaite personnelle.
Ce qui nous est demandé, c’est de prendre acte de notre responsabilité devant Dieu : il ne nous a pas simplement donné la création, comme on donne un cadeau à un enfant pour qu’il joue avec, selon son plaisir ; Dieu nous a confié la création, et il y a là quelque chose d’infiniment sérieux et de beaucoup plus grand. Il s’agit, pour nous, de montrer que nous sommes « dignes de confiance », « fidèles en peu de choses » (Mt 25, 21 ; 23). Libre à nous d’être frileux, lâches ou paresseux. Tout le monde n’est pas obligé de réussir. Mais celui qui accusera Dieu de nous avoir traités comme des adultes, celui qui lui reprochera comme une sévérité la confiance qu’il nous a accordée, celui-là ne peut s’attendre à de la bienveillance. « Tu es un homme dur » (Mt 25, 24), dit-il ; il sera jugé sur la logique de sa propre peur. Ce n’est pas tant de sa négligence qu’il lui est fait grief, que de son refus de voir que c’est par pure bonté que Dieu nous a créés libres et responsables.
Mais ne nous laissons pas impressionner par la finale, très austère de la parabole. Ce qui nous est proposé n’est pas de passer de la peur au châtiment ; ce que Dieu nous offre, c’est de passer de la confiance qu’il nous fait à la joie qu’il nous donne. Certes, il nous faut endurer l’absence de Dieu ; cette absence est la clause de notre vraie liberté. Si nous avons pris au sérieux notre mission d’homme et de chrétien, si nous avons plus ou moins réussi, et si nous n’avons pas douté de la grâce de Dieu, alors nous entendrons cette invitation bienheureuse : « entre dans la joie » (Mt 25, 21 ; 23).


vendredi 7 novembre 2014

Dédicace de la Basilique du Latran



La basilique du Saint Sauveur, aujourd’hui connue sous le titre de Saint Jean de Latran, est un grand édifice classique, en marbre blanc. Ce bâtiment fait partie d’un complexe monumental particulièrement riche de ce que l’antiquité chrétienne considérait comme des trésors spirituels : des reliques et des icônes. Si Aujourd’hui la basilique Saint Pierre et le Vatican symbolisent indubitablement le ministère du successeur de Pierre, depuis Constantin et pendant tout le Moyen Age, c’était au palais du Latran que résidait le Pape et que se réunissaient les Conciles. Saint Jean de Latran reste encore de nos jours la cathédrale de Rome.
La dédicace d’une Eglise, a fortiori d’une cathédrale, est un événement liturgique qui peut sembler étrange. Dieu, qui est le Créateur du monde, a-t-il besoin qu’un lieu lui soit consacré ? N’est-il pas chez lui partout ? Si, bien sûr. Et puis, l’Eglise, la véritable Eglise, n’est-ce pas le rassemblement des chrétiens ? Oui, évidemment. Paul le dit clairement : « vous êtes le temple de Dieu » (1Co 3, 16). Alors, si Dieu n’a pas besoin qu’on lui dédie un espace, et si son vrai sanctuaire, c’est la communion des croyants, quelle est l’utilité de célébrer un rite de consécration pour des murs de pierres ? Comment ce n’est pas simplement la prière des chrétiens qui opère la sanctification du bâtiment ? Pourquoi faut-il quelque-chose de plus ?



Il est clair que l’église de pierres n’est que l’image de l’Eglise spirituelle formée par la charité qui règne entre les croyants. Mais précisément, pour que la charité règne entre les croyants, il a fallu que Dieu accomplisse une certaine consécration des croyants. Car il ne nous est naturel ni de croire, ni de nous aimer les uns les autres. Ce n’est pas par nous-mêmes que nous avons pris la décision de croire ; la foi est un don de Dieu (cf. Ep 2, 8), nous le savons. Et, étant devenus croyants, ce n’est pas par nous-mêmes que nous sommes devenus capables de nous aimer les uns les autres. Si c’était naturel, le Christ n’aurait pas eu besoin de nous le commander ; mais il a fallu qu’il nous donne ce « commandement nouveau » (1Jn 2, 8) qui fait de nous des « hommes nouveaux » (cf. Ep 4, 24). Et cette nouveauté, c’est que, dans le commandement, Dieu nous donne aussi la grâce, la force sans laquelle nous serions incapables de nous aimer les uns les autres.
Quel est l’état de l’humanité lorsqu’elle est abandonnée aux lâchetés, aux mesquineries, aux jalousies de son égoïsme universel ? L’humanité est alors très exactement « une maison de trafic » (Jn 2, 16) : une sorte d’agitation où chacun recherche son petit intérêt, son petit confort ; un esclavage où chacun est asservi à soi-même, affairé à gagner cet argent qui ne peut que décevoir ; c’est une prison où chacun veut obtenir son petit avantage, le petit privilège qui lui permettra de se croire mieux loti que son voisin. Cet état de l’humanité est pitoyable, et ce n’est pas pour cela que Dieu a créé l’homme. Pour faire passer l’humanité de cette situation de misère spirituelle à quelque chose de conforme au commandement de Dieu, il a donc fallu accomplir une consécration.



Qu’est-ce que l’humanité baptisée, qu’est-ce que l’Eglise ? C’est vraiment une communauté de charité, où chacun aime les autres plus qu’il n’aime son confort (ou, du moins, ce devrait l’être) ; et c’est alors vraiment une « maison de Dieu » (Ep 2, 19 ; 1Tm 3, 15 ; cf. Gn 28, 17). Ainsi, Jésus peut vraiment dire de l’Eglise qu’elle est « la maison de (s)on Père » (Jn 2, 16). Cette Eglise, c’est aussi une communauté de résurrection : le sanctuaire a déjà été détruit, et il s’est déjà relevé (cf. Jn 2, 19-21). Dès lors, rien ne peut plus anéantir la vitalité de la foi, la solidité de l’espérance, la force de l’amour.
Ainsi, la consécration d’une église de pierres, c’est, vous le comprenez, le signe, l’image de ce qu’est le baptême pour l’humanité. C’est le baptême, c’est cette « eau » qui jaillit du sanctuaire (cf. Ez 47, 1-12), qui change l’humanité désunie en Eglise-communion. La dédicace, c’est pareillement ce qui fait d’un hangar matériel une église, le lieu de rassemblement des croyants dans la prière. Aussi, en fêtant la dédicace de Saint Jean de Latran, ce n’est pas tant le souvenir d’un événement passé concernant des murs que nous célébrons. Nous sommes surtout invités à reprendre conscience de notre consécration baptismale qui nous relie à tous ceux avec qui nous croyons, et qui nous engage à aimer tous les hommes, pour que l’humanité tout entière soit vraiment le temple de Dieu.