vendredi 28 février 2014

8ème dimanche du temps ordinaire - année A

Saint Paul, écrivant aux Corinthiens, est amené à décrire en quoi consiste son ministère d’Apôtre (1Co 4, 1-5). Pour bien comprendre ce qu’il affirme, il faut tout d’abord se souvenir que saint Paul a été amené à écrire aux chrétiens de Corinthe à l’occasion d’une discorde, d’un désordre dans la communauté (1Co 1, 10-17). Saint Paul écrit donc, avec autorité, pour trancher un litige – et cela n’est jamais agréable, ni pour ceux qui sont désavoués, ni pour celui qui désavoue. Lorsque saint Paul fait des reproches aux Corinthiens, il ne le fait pas de gaîté de cœur ; il le fait parce qu’il le doit, au nom de la fidélité à l’évangile que le Christ lui a confié.
C’est donc dans ce contexte qu’il présente son ministère : « il faut que l’on nous regarde seulement comme les serviteurs du Christ et les intendants des mystères de Dieu » (1Co 4, 1). Un Apôtre n’est pas le propriétaire de son ministère. Un Apôtre n’est pas son propre “patron”, pour ainsi dire. Un Apôtre est un homme qui est soumis avant tout au Christ et à Dieu. Il est « serviteur » : cela veut dire qu’il doit lui-même obéir et qu’il n’agit pas selon sa propre initiative, mais selon la mission qu’il a reçue du Christ. Il est également « intendant » : cela veut dire qu’il est chargé de transmettre aux fidèles ce qu’il a lui-même reçu, sans tirer aucun avantage personnel. Quel profit, en effet, un Apôtre peut-il tirer de son ministère, sinon d’avoir une vie entièrement consacrée à l’évangile, dans les soucis, les tourments, les persécutions ? Est-ce donc un avantage que d’être sans cesse critiqué, sans cesse mis en cause, de n’avoir aucun repos, de n’être soutenu par personne, sinon par Dieu seul ? La vie d’Apôtre n’est pas tellement confortable, humainement elle n’est aucunement désirable. Ceux qui ont reçu cette charge le savent bien. Au milieu de toutes ces difficultés, saint Paul précise encore quelle est la tâche qu’on exige de lui : « ce que l’on demande aux intendants, c’est en somme de mériter confiance » (1Co 4, 2). La première qualité de l’Apôtre, c’est d’être fiable, d’être fidèle à sa mission. Cela suppose donc une certaine docilité – pour faire ce que Dieu a commandé – et une certaine endurance – pour persévérer dans cette mission divine malgré les embûches humaines. Voilà quelles sont les qualités de l’Apôtre. Dieu n’en demande pas plus ; il n’en demande pas moins.

Ce portrait du ministre du Christ que dresse saint Paul devrait nous aider à comprendre ce qu’est l’Eglise. Aujourd’hui, il n’y a plus d’Apôtres au sens que les premiers chrétiens donnaient à ce mot ; il n’y a plus de fondateurs d’Eglises. Néanmoins, le ministère apostolique continue d’être accompli par le collège des évêques qui sont leurs successeurs et par le Pape, le premier d’entre eux. Parfois on entend des remarques contre les évêques et contre le Pape. Chaque journaliste a sa petite idée sur ce qu’ils devraient dire, ce qu’ils devraient faire. Chaque chrétien aussi sait parfois mieux que le Pape ce qu’il devrait décider. A la veille du synode sur la famille, les bons conseils ne manquent pas ! Mais il y a aussi les critiques ; on reproche à l’Eglise d’être rétrograde, intransigeante. Lorsque la tentation de ces critiques vient en nous, il nous serait bon de nous souvenir de cette lettre aux Corinthiens et de nous demander : les évêques seraient-ils des intendants fidèles s’ils se mettaient à parler comme les sondages ? Le Pape accomplirait-il un ministère authentique s’il laissait de côté l’évangile pour suivre l’opinion. Mais certains se plaignent que l’évangile est trop dur – la semaine dernière on nous demandait d’être parfaits (Mt 5, 48) : c’est intolérable ! Oui, l’évangile est difficile, austère, exigeant. Mais le Pape n’est pas au-dessus des Apôtres pour nous dispenser d’appliquer l’exigence de l’évangile. Le Pape est un serviteur de l’évangile, un intendant de la volonté de Dieu. Le Pape n’est pas le “patron” de l’Eglise, pas plus que l’évêque n’est le “patron” du diocèse, pas plus que le curé n’est le “patron” de sa paroisse. Lorsque Jésus a confié à Pierre la charge de conduire l’Eglise, il lui a dit : « Sois le pasteur de mes brebis » (Jn 21, 16) ; il ne lui a pas dit : « Les brebis sont à toi, fais ce que tu veux ». Il lui a bien dit : « Sois le pasteur de mes brebis ». Jésus est bien le maître. Et tous les ministres, le Pape les évêques, les prêtres, ne sont que des serviteurs de l’évangile – l’évangile auquel ils doivent être fidèles leur semble exigeant, pour eux comme pour vous. Il n’est pas question pour autant d’y déroger.
Alors les critiques continueront. Et les responsables de l’Eglise devront continuer à dire : « Pour ma part, je me soucie fort peu de votre jugement sur moi, ou de celui que prononceraient les hommes » (1Co 4, 3). Est-ce de l’indifférence ou du mépris ? Non. Saint Paul n’est pas insensible à ce qu’on lui reproche ; mais il met la vérité de l’évangile au-dessus de sa bonne réputation. Il a le choix entre la fidélité au Christ d’une part et la bonne opinion des foules d’autre part. Saint Paul a choisi, non pour se faire haïr des Corinthiens, mais pour rester un ami de Dieu. Il est demandé aux ministres de l’Eglise de faire également ce choix de la fidélité, même lorsque cela est humainement très pénible. Prions donc pour tous ceux qui exercent un ministère dans l’Eglise afin qu’ils ne se laissent pas détourner de leur mission et qu’ils affrontent avec courage les oppositions et les vicissitudes. Ils ont plus besoin de vos prières que de vos reproches.


vendredi 21 février 2014

7ème dimanche du Temps Ordinaire - année A

« N’oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit Saint habite en vous » (1Co 3, 16). Cette phrase de saint Paul nous remplit de fierté, car ce n’est pas rien d’être le sanctuaire du Seigneur. Cette fierté est légitime, mais pour qu’elle ne devienne pas vaniteuse, il convient de remarquer quelque chose d’essentiel, que nous tenons habituellement pour un détail : cette phrase est au pluriel. Paul ne s’adresse pas à « moi » pour « me » dire : « Tu » es le temple de Dieu. Paul s’adresse à la communauté rassemblée, à l’Eglise, pour lui dire : la communauté que vous formez est le temple du Seigneur. Il faut prendre au sérieux ce pluriel. Si la phrase était au singulier (tu), cela voudrait dire que je serais une sorte d’incarnation du Seigneur, que Dieu se serait localisé dans les limites de mon corps et dans les étroitesses de mon esprit – on voit bien qu’une telle compréhension est indigne ! Dieu immense ne saurait habiter les petitesses d’un individu particulier, si intelligent et si généreux soit-il. En revanche, en remarquant que la phrase est au pluriel (« vous êtes »), on comprend que Dieu n’est pas dans untel ou untel, mais dans la relation ecclésiale, dans le lien de charité qui unit les croyants : Dieu « est le Sujet qui se fait connaître et se manifeste dans la relation de personne à personne »[1].
On rapproche souvent cette phrase de Paul d’une autre affirmation assez semblable, tirée de la même lettre : « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de l’Esprit Saint ? » (1Co 6, 19). Là encore, il faut le souligner, la phrase est au pluriel (vous) et il est pourtant fait mention d’un corps (au singulier). Il ne peut donc s’agir d’un corps physique, sinon Paul dirait soit : « ton corps », soit « vos corps » ; mais il dit « votre corps », c’est-à-dire un seul corps qui appartient à plusieurs. On comprend donc à nouveau que Paul s’adresse à l’Eglise et c’est précisément une manière de parler qui lui est habituelle que de désigner l’Eglise comme un corps (1Co 12, 27).
Qu’est donc ce sanctuaire que Paul évoque devant les Corinthiens, sinon la réalité communautaire ecclésiale ? Et où réside le Saint Esprit sinon dans la charité qui nous relie les uns aux autres ? Dire que nous sommes le temple de Dieu et dire que l’Esprit Saint habite dans notre corps, cela signifie que Dieu est présent dans nos relations. Il serait naïf d’imaginer que Dieu soit physiquement présent dans les individus, un par un ; en revanche, il est magnifique de voir, de lire la présence de Dieu dans les liens de charité, d’amour, qui unissent les croyants. Saint Jean dit la même chose : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples » (Jn 13, 35). Ce n’est pas en regardant un croyant qu’on peut discerner la vérité de l’évangile ; mais en voyant comment une paroisse, un diocèse, vit dans une charité authentique, alors tout le monde peut reconnaître qu’il y a là une présence de Dieu. Là où deux chrétiens se témoignent de l’amour mutuel, là est le sanctuaire de l’Esprit Saint ; là, en quelque sorte, Dieu devient visible. Dans une humanité en proie à l’égoïsme, à l’indifférence, à la violence, c’est cela le salut : Dieu est venu sauver les relations entre les hommes. Le salut n’est pas individuel, il est ecclésial. « Dans le Christ, Dieu ne rachète pas seulement l’individu mais aussi les relations sociales entre les hommes »[2] : c’est en fondant des relations nouvelles, charitables, ecclésiales, que Dieu sauve les hommes.

Comment comprendre ensuite la mise en garde ? « Si quelqu’un détruit le temple de Dieu… » (1Co 3, 17) – qu’est-ce que détruire le temple de Dieu sinon ruiner la charité, semer la zizanie, jeter la discorde parmi les chrétiens ? Voilà bien le péché que Paul veut ici dénoncer, voilà la faute qu’il veut interdire par-dessus tout aux disciples du Christ. En effet, le contre-témoignage de nos divisions met en péril l’existence même de l’Eglise. Si nous ne sommes plus capables de présenter au monde une charité visible, radieuse, alors il ne faut pas s’étonner de la faiblesse de l’Eglise. Seule la charité est éloquente. On peut mener toutes les actions d’évangélisation que l’on veut, accomplir toutes les entreprises humanitaires imaginables, si les membres de l’Eglise ne sont pas liés par la charité, tout cela restera stérile. Nous ne serions qu’un cuivre qui résonne, une cymbale qui retentit (1Co 13, 1) ; nous ne serions qu’un petit néant égoïste et prétentieux.
Notre richesse, le trésor de l’Eglise, ce qui fait que l’Eglise est le temple de Dieu, c’est la charité. Mais la charité, par définition, ne peut être qu’une charité mutuelle. On ne peut pas dire : « j’ai la charité » comme s’il s’agissait d’une propriété privée, comme si Dieu résidait dans l’individu. La charité nous oblige à aimer les autres, à nous décentrer de nous-mêmes, à oublier nos exigences de confort et d’estime pour servir les autres. Si nous voulons que Dieu soit présent, nous devons aimer. Refuser d’aimer, ou même oublier d’aimer, c’est rejeter Dieu loin des hommes. Aimer ses frères, c’est donner au monde la présence du Seigneur ; c’est être son sanctuaire.




[1] Pape François, Lettre encyclique Lumen fidei, n° 36.
[2] Conseil pontifical Justice et Paix, Compendium pour la Doctrine sociale de l’Église, n° 52 ; cité par le Pape François, Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n° 178. 

dimanche 16 février 2014

6ème dimanche du temps ordinaire - année A

« Tu ne commettras pas de meurtre » (Mt 5, 21 ; Ex 20, 13). Voilà bien un commandement simple. Tout le monde comprend que le meurtre rend la vie en société impossible et que tout système moral visant à organiser les relations dans une communauté humaine doit donc formuler une telle interdiction. Toutefois, un tel commandement devient complexe dès qu’on prend conscience que ce que la Bible, ce que Jésus appelle un meurtre n’est pas ce que le droit moderne désigne de ce nom. On doit évidemment poser la question douloureusement polémique de l’avortement : tandis que l’opinion publique essaye de se persuader que l’avortement serait un « droit », la doctrine biblique constante affirme que l’avortement est un meurtre ; l’Eglise catholique le rappelle courageusement[1] – et les reproches qu’on lui adresse montrent qu’elle tient plus la vérité qu’à sa tranquillité. Et, alors qu’on essaye de nous persuader qu’il soit possible de tuer par amour, il faudrait dire encore la même chose concernant l’euthanasie (littéralement : « la bonne mort » ; quel mot piégé !)[2]. Mais ce n’est pas assez, car Jésus charge encore la question : la colère et l’insulte possèdent, dans son système moral, une malice comparable à celle du meurtre. Toute violence, qu’elle tue effectivement, qu’elle blesse physiquement ou qu’elle soit simplement verbale, est pour lui inacceptable.
« Tu ne commettras pas d’adultère » (Mt 5, 27 ; Ex 20, 14). Voilà un autre commandement  dont le fondement paraît raisonnable ; et voilà pourtant un péché qui gangrène toute l’histoire biblique. Lié au meurtre, l’adultère constitue le fameux péché de David. Même ce grand roi a commis la faiblesse de prendre la femme d’un de ses soldats et a eu la brutalité de faire supprimer le mari gênant (2S 11). Si un homme aussi prestigieux a commis ces deux fautes, qui donc pourrait prétendre rester fidèle ? Mais il y a plus encore : là aussi, Jésus aggrave encore l’exigence. Un simple regard impur constitue déjà une transgression comparable à l’adultère[3], alors même que l’idée n’aurait encore connu aucun début de réalisation. La fidélité conjugale exige, pour Jésus, la chasteté du regard.
« Tu ne feras pas de faux serments » (Mt 5, 33 ; Lv 19, 12). La pratique du serment a aujourd’hui disparu, mais elle constituait une institution dans le Judaïsme, et le nom de Dieu se trouvait parfois mêlé à des affaires humaines pitoyables, sordides. Moïse avait interdit les serments trompeurs – qui rendaient le nom de Dieu complice d’un mensonge. Là aussi, Jésus se montre plus radical : il n’est pas question de faire quelque serment que ce soit.

Quel bilan peut-on tirer de cet enseignement moral ? A première vue, il semble que Jésus prenne ce qu’il trouve dans la Loi de Moïse et le durcisse d’une manière insupportable. Là où la Loi de Moïse se montrait rigoureuse, Jésus se montre plus sévère encore. Si c’était cela, le catholicisme serait une construction oppressante et nombreux sont ceux qui ont caricaturé notre foi avec cet argument. Non ! Il est malhonnête de dire que la foi chrétienne est une tyrannie morale. Mais enfin, les propos de Jésus sont à prendre au sérieux. Oui ! Il faut les prendre au sérieux et se demander lucidement : dans notre monde, est-il plus facile d’être heureux que de ne pas tuer ? est-il plus simple d’être épanoui que de ne pas commettre d’adultère ? Car il ne faut pas oublier le but de la morale chrétienne. Ce but, c’est le bonheur, c’est la joie pure et simple de connaître Dieu et de pouvoir le prier et le servir avec une conscience lumineuse. Dès lors, vous le voyez, les interdits que Jésus rappelle sèchement, et qu’il semble appesantir jusqu’à la limite du supportable, se trouvent infiniment relativisés. Le bonheur est un art difficile. Il est évident que si l’on veut construire un monde où le bonheur soit possible il faut renoncer au meurtre, mais aussi à la violence ; il faut renoncer à l’adultère, mais aussi à tout désir mauvais. Et une fois que les commandements de Moïse relus par Jésus seront en vigueur, une fois que le bonheur sera passé de l’impossible à la réalité, on verra bien que les exigences ne sont pas pesantes, mais qu’elles donnent à l’homme une ouverture magnifique vers la joie plénière. Car un homme heureux aurait-il la tentation de tuer ? Aurait-il seulement la tentation de dire une insulte ? Un homme heureux aurait-il l’intention de trahir l’engagement de son mariage ? Aurait-il besoin de laisser vagabonder imprudemment son regard ? De tels agissements ne seraient pas seulement indignes de son bonheur ; ils le détruiraient.
Cependant, il faut bien le reconnaître, nous sommes de pauvres pécheurs. Nous ne sommes pas capables d’être heureux. La première lecture (Sir 15, 15-20) a raison de nous remettre devant nos responsabilités. Mais l’Eglise, dans sa bienveillance, sait que s’il est toujours possible de repousser le péché (il suffit de le refuser dans l’instant), il n’est pas possible de le repousser toujours. Car tant que le péché est ce qui nous tente, tant qu’il nous faut lutter contre lui, l’épuisement nous guette et le moment de faiblesse survient. C’est pourquoi la bonté de Dieu ne se lasse pas de nous pardonner.
Mais remarquons enfin ceci : il est curieux, quand même, que nous soyons tentés par le malheur et que nous soyons si peu attirés par le vrai bonheur. En confondant plaisir et bonheur, nous sommes devenus fous et nous recherchons ce qui nous rend tristes, ce qui fait du mal et ce qui nous fait du mal. Demandons la grâce de mieux voir, de mieux comprendre, afin de pouvoir être heureux, libérés des sollicitations de ce qui ne peut que décevoir.




[1] Catéchisme de l’Eglise Catholique, n° 2270-2275.
[2] Catéchisme de l’Eglise Catholique, n° 2276-2279.
[3] Catéchisme de l’Eglise Catholique, n° 2354. 

samedi 8 février 2014

5ème dimanche du temps ordinaire - année A

« Quand nous avons davantage besoin d’un dynamisme missionnaire qui apporte sel et lumière au monde, beaucoup de laïcs craignent que quelqu’un les invite à réaliser une tâche apostolique, et cherchent à fuir tout engagement qui pourrait leur ôter leur temps libre »[1].

Jésus dit : « Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 13-14). Ce qui frappe le plus dans ces expressions, c’est sans doute qu’il ne dit pas : « Vous devez être le sel de la terre… Soyez la lumière du monde… ». Il dit bien : « Vous êtes ». Ce présent de l’indicatif pourrait nous rassurer, et nous pourrions nous enorgueillir, en disant : « Nous sommes la lumière du monde ». Mais c’est plutôt le lieu d’un sérieux examen de conscience : quelle grâce nous a été donnée, et quelle responsabilité nous incombe.
Par le baptême que nous avons reçu, peut-être sans le vouloir consciemment si nous étions enfants, par la foi qui nous a été donnée, et que nous avons fait grandir en nous au cours de notre éducation chrétienne, par cette foi que nous proclamons librement, volontairement, en conscience, aujourd’hui, nous sommes la lumière du monde. Cette lumière ne vient pas de nous ; elle vient de notre baptême, elle vient de la foi qui nous a été donnée. Le baptême est cette illumination (Ep 1, 18 ; He 6, 4) de notre intelligence par la révélation de la vérité qu’est Dieu. Ainsi donc, nous sommes « devenus des êtres de lumière dans le Seigneur » (Ep 5, 8). Néanmoins, nous sommes cette lumière parce que toute notre existence a été saisie ; notre personne même a été épanouie, ouverte, transfigurée par cette grâce que Dieu nous a faite.
A une certaine époque, on parlait beaucoup de l’enfouissement, des chrétiens anonymes, du témoignage discret. Ce n’est pas vraiment cela que Jésus évoque dans cette page d’évangile. La lumière est sur le lampadaire, pour que tout le monde la voie. La ville est sur le sommet de la montagne pour être aperçue de loin. Si nous sommes la lumière du monde, nous ne sommes pas une lumière cachée, mais une lumière qui rayonne, qui illumine, « qui brille devant les hommes » (Mt 5, 16). Cela ne veut pas dire qu’il faut témoigner de notre foi de façon ostentatoire, évangéliser de manière intrusive ; cela ne nous donne pas la mission de faire la morale à tous nos proches. Une telle manière de faire serait de l’orgueil ou de la bêtise et ne servirait pas la cause de l’évangile. Mais le risque aujourd’hui est plutôt celui d’une trop grande frilosité, d’une réticence à annoncer la parole. En faisant l’état des lieux des déserts spirituels de notre temps, le Pape François encourage à juste titre : « Chez tous les baptisés, du premier au dernier, la force sanctifiante de l’Esprit incite à évangéliser »[2]. Celui qui a reçu la lumière de la foi ne peut briller pour lui-même, égoïstement, dans le confort d’une petite vie pieuse. Le vrai disciple du Christ ne peut qu’être un « disciple missionnaire »[3]. Dans nos choix, dans nos paroles, dans notre attitude, nous avons le devoir de nous comporter de telle sorte qu’on voie que nous croyons en Dieu qui est lumière (1Jn 1, 5), de telle sorte qu’on reconnaisse, à travers notre luminosité relative (si pauvre soit-elle), qu’il existe un Dieu d’amour et de bonté à qui nous avons raison de faire confiance.
Les premières pages de la Genèse nous présentent déjà ce mystère, comme ébauché. L’homme a été créé à la ressemblance de Dieu (Gn 1, 26). C’est-à-dire que, dès la création, en voyant le visage de l’homme, on doit pouvoir découvrir la bonté de Dieu. L’histoire se complique deux pages plus loin, parce que vient le péché, qui a abîmé cette ressemblance. Comment pourrait-on en effet reconnaître la bonté de Dieu dans le visage d’un homme dur, violent, injuste, ou égoïste ? Un tel visage humain, défiguré, n’est plus capable de porter la lumière divine. En comprenant quelle est la situation de l’humanité, nous comprenons aussi quelle fut la mission du Christ. Ce fut précisément de restaurer sur le visage de l’homme cette ressemblance. C’est cela l’œuvre de lumière qu’il a accomplie. Dans le Christ, qui est le Fils du Père, qui est « l’Image du Dieu invisible » (Col 1, 15), nous retrouvons cette ressemblance qui fait que lorsqu’il voit le visage d’un chrétien, tout homme doit savoir que Dieu aime tous les hommes. Le visage d’un chrétien est la lumière du monde, la joie d’un chrétien est la lumière du monde, la foi d’un chrétien est la lumière du monde. Voilà quelle est la grâce baptismale que nous avons reçue ; voilà quelle est la responsabilité baptismale que nous portons avec toute l’Eglise.
Sachons être, avec une humble charité, des témoins de la lumière, prêts à écouter, à réconforter, à encourager ceux qui marchent dans les ténèbres, pour que la bonté de Dieu rejoigne le cœur de tout homme.

« En cette époque précisément, et aussi là où se trouve un ‘‘petit troupeau’’ (Lc 12, 32), les disciples du Seigneur sont appelés à vivre comme une communauté qui soit sel de la terre et lumière du monde (cf. Mt 5, 13-16). Ils sont appelés à témoigner de leur appartenance évangélisatrice de façon toujours nouvelle »[4].





[1] Pape François, Exhortation apostolique Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n° 81.
Pour lire en ligne l’exhortation apostolique du Pape François :
http://www.vatican.va/holy_father/francesco/apost_exhortations/documents/papa-francesco_esortazione-ap_20131124_evangelii-gaudium_fr.html
[2] Pape François, Evangelii gaudium, n° 119.
[3] Pape François, Evangelii gaudium, n° 120.
[4] Pape François, Evangelii gaudium, n° 92.