jeudi 30 avril 2015

5ème dimanche de Pâques - année B


« Si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur » (1Jn 3, 20). En disant cela, saint Jean dénonce l’un des fléaux les plus ruineux pour la vie spirituelle, ce qu’on appelle la mauvaise culpabilité, le remords, qui peut aussi chez certains prendre la forme du scrupule. La vérité profonde de notre foi consiste à croire que, dans sa mort et sa résurrection, Jésus nous a libérés de nos péchés ; Jésus m’a libéré de mes péchés. L’auteur de l’épître aux Hébreux dit la même chose en d’autres termes : il a « purifié notre conscience des œuvres mortes pour que nous rendions un culte à Dieu vivant » (He 9, 14). Nous sommes purifiés, nous sommes pardonnés : voilà la certitude fondatrice des premiers chrétiens ; voilà le socle spirituel sur lequel s’est édifié toute notre religion.
Mais, il faut bien le reconnaître, cette libération que le Christ a accomplie, nous avons parfois du mal à y croire. Notre cœur reste prisonnier de ses étroitesses. Notre cœur est mesquin, dur ; c’est un cœur de pierre qui a du mal à pardonner aux autres et plus de mal encore à se pardonner à lui-même.
A moins d’avoir vécu comme Dominique Savio, comme Louis de Gonzague ou Thérèse de l’Enfant Jésus, nous avons tous commis des actes que nous désapprouvons aujourd’hui, nous avons fait des erreurs dans notre vie passée ; et, nous le savons bien, nous ne sommes pas à l’abri d’erreurs futures. Et nous voyons bien tout cela, avec un peu de lucidité. En nous souvenant de ces fautes anciennes, en craignant nos lâchetés à venir, il peut arriver que nous nous soyons résignés dans notre culpabilité. J’entends parfois des gens dire : « J’ai fait cela et je ne me le pardonnerai jamais ». Voilà bien une phrase qui n’est pas chrétienne. Qui sommes-nous pour nous constituer en norme de la miséricorde, en mesure du pardon ? Qui sommes-nous pour décider ce qui peut être pardonné et ce qui sera retenu ? Qui sommes-nous pour décréter contre nous-mêmes (alors que Dieu veut nous sauver) une culpabilité éternelle ? Nous ne sommes que des pécheurs lassés de nos péchés. Mais la vérité c’est que Dieu n’a jamais dit à un homme : « Tu as fait cela, et je ne te le pardonnerai jamais ». Le Christ, qui n’a jamais péché, qui n’a jamais été complice du mal, l’Innocent, est aussi celui qui n’a jamais renoncé à pardonner les péchés. Au contraire, même lorsque ces péchés le blessaient, lui, personnellement, il se tourne vers Dieu pour prier et demander : « Père, pardonne-leur » (Lc 23, 34). Si le Christ nous pardonne alors que nous le tuons dans des souffrances terribles, comme osons-nous refuser de nous pardonner à nous-mêmes ? Ce serait une attitude incohérente. J’irais même jusqu’à dire que ce serait un blasphème ; pour employer les images de saint Jean : ce serait une œuvre du diable.
Car, dans la théologie de saint Jean, cette forme de désespoir est l’une des stratégies les plus destructrices du tentateur : c’est bien le diable qui nous accuse, « jour et nuit » (Ap 12, 10), tandis que Dieu nous pardonne. Le combat spirituel se joue ainsi en nous-mêmes. Le diable nous dévalorise à nos propres yeux, essayant de nous désespérer, nous montrant notre médiocrité, nous suggérant des pensées d’angoisse et de honte ; il veut que nous fixions par nous-mêmes la limite de la miséricorde, afin que nous décidions ensuite de nous en exclure par découragement. Pendant ce temps, Dieu veut nous sauver, nous relever, nous remettre debout, nous rendre notre dignité. Le Christ veut nous réhabiliter à nos propres yeux. Il nous montre combien il nous aime, il nous affirme que sa miséricorde est infinie et que nos péchés sont pardonnés. C’est pourquoi saint Jean désigne le Christ de ce beau nom d’Avocat, de « Paraclet » (Jn 14, 16 ; 1Jn 2, 1), de Défenseur (cf. Job 19, 25) : Jésus plaide littéralement notre cause, contre notre désespoir s’il le faut. Agité ainsi par les tentations de découragement, d’une part, et les exhortations, d’autre part, notre cœur a le choix. Soit nous nous laissons aller à notre lâcheté habituelle et nous nous accusons nous-mêmes. Soit nous préférons écouter Dieu et nous faisons confiance à sa bonté plutôt qu’à nos limites. C’est à cela que nous invite saint Jean : notre cœur aurait beau nous accuser, nous devons nous souvenir que Dieu, lui, est plus grand que notre cœur. Que sa miséricorde ait le dernier mot.


vendredi 24 avril 2015

4ème dimanche de Pâques - année B


« Je donne ma vie » (Jn 10, 15 ; 17).
Est-ce que cela vaut vraiment la peine de donner sa vie ? Y a-t-il quelque chose ou quelqu’un qui mérite qu’on lui donne sa vie ? A cette question, il est honnêtement difficile de répondre ‘‘oui’’. Consacrer sa vie dans un métier suppose qu’on ait des week-ends où on ne travaille pas, et une retraite où on ne travaille plus. Consacrer sa vie pour une cause nous laisse libre de changer de cause : j’aidais au Secours Catholique, je passe aux Conférences Saint Vincent de Paul – changer de générosité n’est pas un péché ! On voit bien qu’il est possible de se consacrer à une cause, à un métier, pour un temps ; mais consacrer toute sa vie : est-ce raisonnable ?
Pour répondre ‘‘oui’’, il faut bien mesurer d’abord que c’est impossible, que cela excède les forces humaines. Parce que l’homme – sans qu’il y ait de faute à cela – aime changer, aime s’arrêter, prendre d’autres chemins. Pourtant, dans la logique chrétienne, nous sommes bien invités à choisir des états de vie de manière irréversible. Lorsque deux fiancés décident de se marier, le célébrant leur demande : « Est-ce pour toute votre vie ? – Oui, pour toute notre vie » ; on ne prévoit pas de périodes d’essai, de pauses, de vagabondages, ou un mariage à durée déterminée. Et pourtant, humainement c’est tellement difficile qu’on finit par se demander si c’est possible. Pourtant, « rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1, 37), et c’est bien de Dieu qu’il s’agit.
Lorsqu’un homme s’engage dans la voie du sacerdoce, l’Evêque lui demande : « Voulez-vous devenir prêtre… pour servir et guider sans relâche le peuple de Dieu sous la conduite de l’Esprit Saint ? – Oui, je le veux ». Là non plus, il ne s’agit pas d’un sacerdoce à temps partiel ou pour quelques années. Il s’agit d’être prêtre « pour toujours » (Ps 109 [110], 4). Humainement, c’est insensé ; les difficultés des prêtres ne sont plus un sujet tabou. Pourtant, « tout est possible à celui qui croit » (Mc 9, 23), et c’est bien dans la foi que cette promesse est faite par l’ordinand.
La logique de la vie chrétienne serait-elle donc pure folie ou imprudence ? Non, assurément. La logique chrétienne consiste à faire confiance à ceux en qui nous pouvons avoir confiance – Dieu, l’Eglise – tout en sachant bien que nous ne pouvons pas trop nous faire confiance à nous-mêmes. Evidemment que l’homme est changeant et fragile – Dieu le sait fort bien – mais dans la mesure où un engagement repose sur Dieu autant que sur les hommes, on doit considérer qu’il est fiable, au moins du côté de Dieu. Et c’est pourquoi il est raisonnable – devant Dieu et avec son aide – de dire : « Oui, pour toute notre vie ». C’est pourquoi il est raisonnable – devant l’Eglise et avec son soutien – de dire : « Oui, je veux être prêtre pour toujours ».

La logique de la vie chrétienne consiste-t-elle alors à perdre sa vie (cf. Mt 16, 25), à gâcher sa vie si on découvre qu’on a fait fausse route. « Je me suis marié il y a vingt ans, et c’est maintenant que je rencontre l’amour de ma vie – que dois-je faire ? ». « J’ai été ordonné prêtre trop jeune, mais je ne suis pas à l’aise dans mon sacerdoce – que dois-je faire ? ». Voilà bien des questions mesquines, qui ne s’élèvent pas à la hauteur de la grâce de Dieu. « Qui a béni ton mariage, il y a vingt ans, sinon Dieu ? – Dieu aurait-il changé ? Dieu va-t-il renoncer à sa bénédiction parce que deux époux ont changés ? ». « Quelle Eglise t’a fait prêtre, lorsque tu étais jeune ? – L’Eglise aurait-elle disparu ? Dieu va-t-il abolir le sacerdoce parce qu’un prêtre a du vague à l’âme ? ». Ce ne serait pas digne de Dieu, ni des hommes.
Il est possible, c’est vrai, de se tromper dans le choix de son état de vie ; il existe aussi la tentation de croire qu’on s’est trompé, et cette tentation peut servir de prétexte à une infidélité. Il faut être vigilant. A ceux qui penseraient qu’ils ont choisi par erreur une vocation définitive, dans le mariage ou le sacerdoce, saint Ignace de Loyola (qui s’y entendait en matière de discernement) demande un effort de conversion afin de mener malgré tout une « bonne vie » dans le choix posé[1] ; et c’est sans aucun doute ce que conseille un sain (et saint) bon sens. Le reste ne saurait être qu’illusion décevante ; si la fidélité semble dure parfois, on doit savoir que le bonheur ne récompense jamais le manquement à la parole donnée. 
Mais alors, est-ce que donner sa vie n’est pas un piège ? Dieu ne nous enferme-t-il pas dans une vocation qu’on aurait choisie sans trop comprendre ? Assurément, donner sa vie est un risque ; mais celui qui vit sans risque ne va pas bien loin. Et puis, donner sa vie n’est jamais se perdre pour se perdre, mais bien pour recevoir une vie nouvelle (cf. Mt 16, 25). Jésus a donné sa vie, librement et par amour : « je la donne de moi-même » (Jn 10,18). Il est mort – non pas pour mourir, mais pour ressusciter. « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir de la recevoir de nouveau » (Jn 10, 18). Les époux ont donné leur vie librement et par amour – non pas pour être prisonniers l’un de l’autre, mais au contraire pour que chacun soit désormais garant du bonheur de l’autre. Le prêtre a donné sa vie librement et par amour – non pas pour être opprimé par la discipline de l’Eglise, mais pour trouver dans le service des chrétiens une joie complète. Ainsi, il est maintenant possible de donner une réponse à la question de départ : y a-t-il quelqu’un à qui cela vaille la peine de donner sa vie ? Des époux peuvent se dire, chaque jour : « Tu vaux la peine que je te donne ma vie ; je te l’ai donnée au jour de notre mariage, et je ne le regrette pas ». Un prêtre peut dire aux fidèles qui lui sont confiés : « vous valez la peine que je donne ma vie ; je vous ai donné ma vie au jour de mon ordination, et je ne le regrette pas ».
Evidemment, c’est exigeant, c’est le contraire de l’égoïsme ; ce n’est peut-être pas facile tous les jours, il y a des moments de joie et des moments d’épreuve. Mais il y a surtout la grâce de Dieu, donnée dans le quotidien et qui transfigure les petites joies en grands bonheurs, et convertit les grandes souffrances en foi parfaite. Au fondement de toute vocation il y a cette certitude bouleversante : « Le Père m’aime » (Jn 10, 17) ; et alors je peux donner ma vie.  




[1] Ignace de Loyola, Exercices spirituels, 172. 

vendredi 17 avril 2015

3ème dimanche de Pâques - année B


La première lettre de saint Jean est un texte magnifique. Saint Augustin faisait remarquer que, dans cette lettre, « l’apôtre a dit bien des choses, et presque tout ce qu’il a dit se rapporte à la charité » ; et il compare la lecture de cette épître à l’huile qui entretient le feu d’une lampe[1]. C’est dans ce texte qu’on lit, par deux fois, cette admirable formule qui pourrait bien résumer toute la foi catholique : « Dieu est charité » (1Jn 4, 8 ; 16). Cette proclamation résonnera dans nos églises les 6ème et 7ème dimanches de Pâques comme étant, en quelque sorte, la grande charte de notre théologie et de notre morale.
Dans le bref passage que nous avons entendu (1Jn 2, 1-5), saint Jean décrit ainsi l’exigence de vérité dans l’amour que les chrétiens doivent vivre : « Celui qui dit : ‘‘Je le connais’’, et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur ; la vérité n’est pas en lui » (1Jn 2, 4). Il est facile, en effet, de dire qu’on connaît et qu’on aime Dieu, mais tant qu’on se contente de le dire, cela reste quelque chose de vague qui peut nous tromper nous-mêmes. En revanche, si nous disons que nous aimons Dieu et si nous le prouvons en gardant ses commandements, alors il s’agit d’un amour en vérité. On imagine le plus souvent que l’amour est un grand sentiment, agréable et profond, exaltant et printanier. Et on pense aussi que la vérité est quelque chose d’austère, de cérébral, de désincarné. En réunissant ainsi l’amour et la vérité en un seul commandement, saint Jean nous conduit en fait jusqu’à une vérité amoureuse, jusqu’au seul amour véritable : « en celui qui garde fidèlement sa parole, l’amour de Dieu atteint vraiment la perfection » (1Jn 2, 5).
C’est-à-dire que l’amour relève avant tout de la volonté, de la décision, plutôt que du sentiment. Un amour sentimental, on appelle cela de la sympathie, de l’affinité. C’est déjà quelque chose de bien, et de respectable ; mais ce dont parle saint Jean est beaucoup plus réel. L’amour qu’il décrit consiste à connaître en vérité la volonté de Dieu et à l’accomplir de manière précise, réfléchie, avec courage et humilité. Et qu’est-ce que la volonté de Dieu ? C’est ce qui se trouve dans sa parole. La vérité de l’amour c’est ainsi, tout d’abord, dans l’Ancien Testament, les dix commandements. Il n’y a pas d’amour possible si on transgresse les fondements de la loi morale : il n’y a pas d’amour lorsqu’on tue. Dit ainsi, cela paraît évident – et pourtant, avec l’euthanasie, on essaye de nous faire croire à l’aide d’un mot compliqué et déresponsabilisant qu’on puisse tuer par amour. Il n’y a pas d’amour quand on séduit la femme de son meilleur ami – et pourtant, on essaye de nous faire croire que, par amour, on puisse briser légitimement des familles ; on pourrait, par amour, commettre un adultère ! Les mots sont piégés : on commet l’adultère par passion, mais non par charité. Or, la vérité de l’amour, ce n’est pas passion, c’est la charité. La vérité de l’amour, c’est aussi, pour aujourd’hui, les commandements de l’Eglise : la prière quotidienne, la messe de chaque dimanche, la confession régulière. Sans pratique chrétienne explicite, engagée, habituelle, l’amour de Dieu serait bien tiède ; sans prière, sans messe, sans pénitence, comment savoir qu’on aime Dieu ? Si nous comprenons cela, alors le commandement de l’amour prendra pour nous un sens concret et libérateur. Nous pourrons alors, mais alors seulement, suivre le conseil de saint Augustin : « Aime et fais ensuite ce que tu veux »[2]. Car celui qui aime en vérité (c’est-à-dire : en gardant les commandements de Dieu) ne peut ensuite vouloir que le bien véritable.
Voilà pourquoi saint Jean commence par dire : « Je vous écris pour que vous évitiez le péché » (1Jn 2, 1), parce que le péché, désobéir aux commandements de Dieu, c’est cela qui blesse l’amour véritable. Mais saint Jean va plus loin ; il ne dit pas : « Je vous écris pour que vous évitiez le péché ; mais si vous péchez, je vous rejette, je vous condamne, je vous abandonne à votre culpabilité éternelle ». Il dit, au contraire : « Mes petits enfants, je vous écris pour que vous évitiez le péché. Mais, si l’un de nous vient à pécher, nous avons un défenseur devant le Père : Jésus Christ, le Juste » (1Jn 2, 1). Cela ne veut pas dire que le péché n’est pas grave, ou qu’on peut vivre n’importe comment et que Dieu, un peu faible, un peu lâche, pardonnerait toujours (Oui, il pardonne toujours ; mais il présomptueux de croire qu’on accueillera toujours son pardon…). Saint Jean veut dire que le Christ, lui qui nous a aimés sans jamais commettre le mal, sans jamais dire un mensonge, sans jamais poser un acte de violence, lui qui est mort par amour pour nous, est prêt à être notre avocat si notre conscience nous accuse (1Jn 3, 20). Et pourtant, c’est nous qui l’avons insulté, qui l’avons condamné, qui l’avons torturé, qui l’avons tué. Nous avons tué notre défenseur ; quand un bandit assassine son avocat, qui va le défendre ? Et c’est ce que nous avons fait. Mais comme l’amour du Christ est plus grand que notre méchanceté, le Christ fait de son amour un argument plus fort que notre culpabilité. Notre avocat, que nous avions tué, est vivant, et il plaide maintenant en notre faveur.
N’ayons pas peur de regarder lucidement nos torts, nos fautes, nos méchancetés, nos rancunes… mais regardons aussi Jésus Christ qui souffre et qui nous aime, regardons Jésus Christ ressuscité, en gloire auprès de son Père, qui nous invite à entrer dans la lumière. Si Dieu nous commande d’aimer, c’est parce qu’il nous aime, lui, le premier (1Jn 4, 19), et que son amour sait déjà réparer nos manques d’amour. S’il nous commande d’aimer, c’est aussi pour que nous aimions, et qu’ainsi nous lui devenions semblables (1Jn 3, 2), puisque « Dieu est amour ». 




[1] saint Augustin, Commentaire de la première lettre de saint Jean, Prologue.
Lien vers le texte en latin :
Lien vers le texte en français :

[2] « Dilige et quod vis fac » (saint Augustin, Commentaire de la première lettre de saint Jean, VII, 8). 

vendredi 10 avril 2015

2ème dimanche de Pâques - année B

« Tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde.
Or la victoire remportée sur le monde, c’est notre foi.
Qui donc est vainqueur du monde ?
N’est-ce pas celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? » (Jn 5, 4-5).


Nous avons célébré la Résurrection du Christ dimanche dernier, et nous poursuivons dans la joie ce temps pascal ; la liturgie nous invite aujourd’hui à méditer sur le thème de la « victoire ». Dans le paganisme grec, que saint Jean connaissait sans doute très bien, la « Victoire » est une déesse[1] ; les visiteurs du Louvre connaissent cette somptueuse statue retrouvée à Samothrace qui personnifie la victoire militaire sous les traits d’une femme géante, ailée, triomphale[2]. Tous les lecteurs de Jean savent ce qu’est la victoire : après un période d’épreuve, de violences mutuelles et de guerre, celui qui l’a emporté peut soumettre le vaincu à des humiliations et assouvir en nouvelles souffrances infligées les souffrances qu’il a subies. C’est cela – qui est assez horrible – qu’on a personnifié et divinisé dans les représentations idéologiques : gloire aux vainqueurs, malheur aux vaincus.
Dans la Bible, qui n’est pas dépourvues de pages militaires cruelles, la victoire n’est évidemment pas divinisée (il n’y a qu’un seul Dieu) ; mais elle n’est pourtant pas sans rapport avec Dieu. Dans les récits, particulièrement féroces des livres des martyrs d’Israël, on lit ainsi : « car la victoire à la guerre ne tient pas à l’importance de la troupe : c’est du Ciel que vient la force » (1M 3, 19). Pourtant, contrairement à ce que ce bel optimisme proclame, le « ciel » a souvent abandonné dans la défaite un peuple d’Israël moins puissant que ses voisins, souvent conquis par eux, souvent maltraité par les grands empires de l’Orient ancien. L’histoire d’Israël n’est pas une liste de succès militaires ; c’est plutôt une succession de déroutes, avec ceci de très étonnant pour la mentalité antique : bien que le peuple soit vaincu, il n’abandonne pas son Dieu – ou, pour dire la même chose autrement : bien que le peuple soit vaincu, son Dieu ne l’abandonne pas. Car, si la victoire vient bien du ciel, ce n’est pas cela qui engage le peuple dans la foi. La foi d’Israël est au-delà de la victoire ou de la défaite. Dans le creuset de l’épreuve, la confiance que le peuple place en Dieu ne s’arrête pas à la considération du salut ou de la perte (Dn 3, 17-18) ; l’exigence de fidélité concerne les situations favorables comme les situations de détresse.
Dans l’évangile selon saint Jean, c’est avec cette idée d’une foi qui transcende les faits qu’il faut relire l’exhortation de Jésus : « Courage ! Moi, je suis vainqueur du monde » (Jn 16, 33). Jésus annonce aux disciples qu’il va souffrir et mourir, ce qui se produira dans quelques heures. Et, prophétisant cet échec définitif dans sa propre mort, Jésus proclame donc sa victoire : victoire paradoxale, en effet. D’habitude, c’est le vaincu qui meurt au combat, ou qui est mis à mort à l’issue de la bataille. Mais Jésus va mourir, et c’est cela qu’il appelle sa victoire.
Après la mort de Jésus, que reste-t-il de sa victoire ? Voilà la question que pose le passage de la lettre de saint Jean entendu aujourd’hui, à laquelle il est répondu : « la victoire remportée sur le monde, c’est notre foi » (1Jn 5, 4). Aujourd’hui, alors que le monde est toujours plongé dans la violence et que des chrétiens sont massacrés ici ou là, alors que le monde est désespéré et sans repère, la victoire du Christ est toujours à l’œuvre, et cette victoire, c’est la foi de l’Eglise. Être victorieux, c’est croire. Vous savez bien que croire n’empêche pas d’être persécuté, n’empêche pas de souffrir, n’empêche pas de pécher, n’empêche pas de mourir : être persécuté, souffrir, pécher, mourir, cela ressemble bien à des défaites ; cela semble être l’échec, le démenti de la foi. La logique de saint Jean est autre : croire en étant persécuté, croire en souffrant, continuer de croire alors même que je vois les péchés où m’entraîne ma faiblesse, croire à l’heure de la mort, c’est cela, la victoire du Christ dans l’existence de chaque fidèle.
L’Eglise des premiers siècles avait une vive conscience de ce paradoxe : mourir en étant victorieux. Les premières pages de l’Apocalypse de saint Jean l’illustrent selon une très profonde spiritualité, en détaillant sept oracles ‘‘au victorieux’’ :

« Au victorieux, je ferai manger de l’arbre de vie 
placé dans le Paradis de Dieu » (Ap 2, 7)
« Le victorieux n’a rien à craindre de la seconde mort » (Ap 2, 11)
« Au victorieux, je donnerai de la manne cachée » (Ap 2, 17)
« Le victorieux, celui qui garde mon service jusqu’à la fin,
je lui donnerai autorité sur les nations » (Ap 2, 26)
« Le victorieux portera des vêtements blancs » (Ap 3, 5)
« Du victorieux, je ferai une colonne 
dans le sanctuaire de mon Dieu » (Ap 3, 12)
« Le victorieux, je lui donnerai de siéger avec moi 
sur mon trône » (Ap 3, 21)

Voilà l’œuvre de la foi.




Source de l’illustration : La déesse Victoire debout à droite, les ailes déployées, tenant de la main droite une couronne et de la gauche la stylis ; dans le champ à gauche, une tête de trident posée verticalement la tête en bas. Légende revers : ALEXANDR.U ; traduction : (d’Alexandre).
Date     vers 325-320 AC.
Auteur :            cgb.fr

vendredi 3 avril 2015

Dimanche de Pâques


La résurrection du Christ que nous célébrons chaque dimanche et, d’une manière plus intense aujourd’hui dimanche de Pâques, constitue pour nous chrétiens le cœur de notre foi. Etre chrétien, ne se réduit pas à croire que Dieu existe, ni même à lui faire confiance ; beaucoup de non chrétiens font cela. Etre chrétien, cela veut dire très précisément : croire que cet homme, Jésus, que tous ont vu mort sur la Croix le Vendredi Saint, cet homme qui a été mis dans un tombeau, cadavre sans vie, s’est montré vivant le dimanche de Pâques. De même qu’il n’y a aucun doute sur le fait que Jésus était vraiment mort (Jn 19, 33-34), il n’y a non plus aucun doute sur le fait historiquement avéré qu’il s’est ensuite manifesté vivant à ses Apôtres (Lc 24, 34). Et il ne s’agit pas simplement d’être vivant dans le souvenir de ses amis, d’être présent spirituellement aux côtés de ses proches, comme on peut le dire d’un défunt dont la personnalité a été marquante. Il ne s’agit pas non plus d’une sorte de fantôme ou d’un mort-vivant de film fantastique. Il s’agit de reconnaître que Jésus est vivant avec son corps, son propre corps de chair, ce même corps qui était dans le tombeau sans vie la veille, et qui n’y était plus le dimanche matin (Mc 16, 6 ; Jn 20, 2).
Voilà très précisément ce que cela veut dire d’être chrétiens : croire à la réalité de la résurrection du Christ, corps et âme. Celui qui croit cela est chrétien ; celui qui ne croit pas cela… Le chrétien est-il fou de croire cela ? La résurrection ne serait-elle qu’une belle idée, un beau mythe qui console et qui aide à vivre ? Mais croire que la résurrection est un événement historique concret, réel : est-ce bien raisonnable ? Il faut bien voir que notre foi ne repose extérieurement que sur le témoignage des apôtres. Les récits que nous venons d’entendre (Jn 20, 1-9) nous l’expliquent clairement. Moi, je n’ai pas vu le Christ ressuscité ; il ne m’est pas apparu. Mais, si je n’ai pas eu d’expérience sensible du ressuscité, je connais les textes où saint Pierre, saint Paul… témoignent de cette rencontre bouleversante qu’ils ont faite avec le Vivant de Pâques (1Co 15). Honnêtement, je dois bien reconnaître que je n’ai pas de fondement pour contredire ces témoignages. Soupçonner les apôtres de malhonnêteté serait léger : ils seraient venus voler le corps et inventer des récits d’apparition (Mt 28, 13-15) – cela n’a pas de sens ! Les suspecter d’erreur serait inconvenant : les disciples connaissaient bien le Christ, ils n’ont pu se tromper ni être trompés. Il ne saurait y avoir d’erreur sur la personne : si celui qui s’est présenté à eux le matin de Pâques était un imposteur, ils auraient eu tôt fait de le démasquer. Si les Ecritures annonçaient que le Messie devait mourir et non ressusciter, saint Paul aurait su nous l’expliquer de manière convaincante. Non, je dois reconnaître que le témoignage des Apôtres est fiable, que les évangiles sont des textes solides et consistants. Je n’ai pas de raison de les mettre en doute. Et c’est pourquoi je choisis librement de croire ce qu’ils affirment. Je fais confiance à la parole des premiers chrétiens et j’accepte de placer ma foi en Dieu à la lumière de ce témoignage : ma foi en Dieu est foi au Dieu que Jésus Christ me révèle dans l’événement de sa résurrection.
Désormais, étant certain que le Christ, celui que tous ont vu mort, est vivant, je prends donc un risque : je prends le risque d’être chrétien. Je prends le risque de faire de ma vie une vie chrétienne. Je sais que cela comporte des exigences : si je vis moi-même dans la perspective de la résurrection, je ne saurais faire n’importe quoi. La vie du Ressuscité est la lumière qui oriente toute ma vie vers un bonheur éternel. Je ne vis pas pour mourir, mais pour ressusciter ; je n’ai pas peur d’être anéanti dans la mort, car j’ai foi en la promesse du Christ. Ce qui paralyse notre vie d’homme – il faut bien le reconnaître – c’est, plus ou moins suivant notre âge ou notre état de santé, la peur de la mort (He 2, 15). Celui qui prend le risque d’être chrétien a son regard changé : quand il regarde son futur, il voit la mort, certes, il ne saurait y échapper, mais il voit aussi plus loin que la mort ; il entrevoit déjà sa propre résurrection dans celle du Christ. Celui dont le regard va au-delà de sa mort est chrétien ; celui qui n’a pas d’autre horizon que sa mort…
Si je crois que la résurrection n’est pas simplement une idée, mais un fait, je comprends enfin que ma foi chrétienne non plus n’est pas simplement une idée ou des valeurs, mais bien aussi des actes, des événements : être baptisé, prier, participer à la messe, communier, se confesser. Une foi qui reste dans le domaine de l’intention, sans jamais produire un acte concret est une foi en péril (Jc 2, 17-18).
C’est pour moi un devoir de vous rappeler cela. Pour ceux qui sont croyants et qui mènent une vie chrétienne régulière, ce ne sont que des rappels. Pour ceux qui, tout en essayant de croire ont plus de difficultés à vivre en chrétiens, c’est une exhortation. Pour tous – et pour moi le premier – cela constitue le cadre de notre pauvre vie, sans cesse appelée à la conversion et qui tend à devenir chrétienne. Que la Résurrection du Christ, qui nous illumine aujourd’hui, nous conduise ainsi jusqu’à la vie éternelle.


jeudi 2 avril 2015

Vendredi Saint


« … sachant que désormais toutes choses étaient accomplies » (Jn 19, 28).
Voilà bien une phrase extraordinaire : nous voyons un homme cloué sur une croix, qui n’a plus que quelques minutes à vivre dans des souffrances atroces, un homme abandonné de tous, dont la vie se conclut par le plus lamentable échec : cet homme, que peut-il savoir ? Et quand bien même aurait-il compris quelque chose, sa déréliction paraît démentir que cela soit important pour nous. Mais l’évangéliste dit : « sachant désormais que toutes choses étaient accomplies ». Jésus, mourant, « sait ». Et que sait-il ? « Que toutes choses sont accomplies », c’est-à-dire : que tout ce qu’il est venu faire dans notre pauvre humanité est maintenant fait. Il est venu sauver le monde ; le monde est désormais sauvé ; et il le sait.
Dans la liturgie de ce jour, que l’Eglise considère malgré tout comme une messe (puisque le rite se trouve décrit dans le Missel), nous entendrons, à la place de la prière eucharistique, une prière universelle d’une ampleur inhabituelle. C’est pour nous l’occasion de comprendre que la prière eucharistique des messes ordinaires et la prière universelle de ce jour ne sont rien d’autre qu’une représentation liturgique de cette connaissance que possédait Jésus en mourant : sur la Croix, Jésus a vu tous les hommes, croyants ou non, fidèles ou pécheurs, consacrés ou vivant dans le monde, tous les souffrants, tous les blessés, tous les impies, Jésus a vu chacun de nous, et il a vu que personne n’était voué à l’enfer. Dans sa prière pour toute l’humanité, prière dont il savait qu’elle était forcément exaucée (n’est-il pas le Fils de Dieu ?) il a donc « su » que l’humanité prendrait le chemin du salut. Il n’est pas naïf de croire que, sur la Croix, Jésus a personnellement vu chacun d’entre nous, que dans telle souffrance, il pensait précisément à untel. Saint Paul ose dire à la 1ère personne du singulier : le Christ « m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2, 20) ; cela, chacun, à la suite de saint Paul peut le dire : en mourant, le Christ m’a vu, le Christ a prié pour moi, le Christ m’a sauvé ; en mourant, Jésus a « su » que j’étais sauvé.
Cela, Jésus le sait. Moi, je ne le sais pas encore, et mon salut me paraît hasardeux, compliqué, compromis peut-être. Dans les moments de découragement ou de doute, je peux cependant m’appuyer sur ce dont Jésus a eu l’intuition lumineuse. Avoir la foi, c’est aussi accueillir avec confiance ce qu’un crucifié a su : « tout est accompli », le monde est sauvé.


Jeudi Saint

Depuis qu’a été commise cette incroyable faute, alors que Dieu nous offrait un paradis spirituel, faute incompréhensible et lamentable, nous avons été chassés (ou plutôt : nous nous sommes exclus) de ce qui devait être le lieu de notre bonheur. Avant la faute, si peu que cela ait duré, l’homme savait trouver en lui-même la joie, parce qu’il savait que son âme était habitée par Dieu ; il savait que sa conscience était un sanctuaire où il pouvait s’entretenir avec son Créateur. Aussi, il ne faut pas, je crois, se représenter le paradis comme un « lieu » extérieur, mais voir plutôt que l’homme trouvait son paradis dans son cœur ; l’essentiel de sa vie était une joie spirituelle intime. Mais, une fois la faute commise, l’homme a quitté ce paradis spirituel ; ne voulant plus trouver en lui-même le bonheur d’être avec Dieu, l’homme s’est mis à vivre hors de lui-même, hors de son propre cœur. Désormais captivé par ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il mange, l’homme identifie le réel avec ce qu’il perçoit au-dehors et ne consacre plus un instant à ce qui se passe en lui. Cette situation est bien celle dans laquelle vivent la plupart des hommes, toujours intéressés par ce qui arrive dans le monde ; le regard obnubilé par d’incessantes images, nous vivons aujourd’hui fascinés par nos écrans, incapables de rentrer tant soit peu en nous-mêmes pour y consulter notre conscience.

En venant sauver les hommes, le Christ a bien vu qu’il y avait là un grand désordre. S’il voulait ramener les hommes vers le paradis perdu – et tel était bien son but – il fallait d’abord qu’il indique aux hommes le chemin de leur conscience, qu’il leur montre comment rentrer en eux-mêmes. Pour cela, il devait les prendre là où ils étaient, dispersés au-dehors, pour les réorienter vers une vie intérieure. C’est précisément cela qu’on appelle les sacrements. Un sacrement est une réalité extérieure, visible, audible, mangeable même, dont toute la réalité, toute la finalité est de nous conduire au-dedans de nous-mêmes pour y retrouver Dieu. Ce n’est pas un hasard si plusieurs sacrements sont appelés du nom d’une attitude intérieure : le baptême, cet usage d’eau matérielle accompagné d’une parole, est désigné comme sacrement de la foi. La grâce de la foi ainsi reçue est purement intérieure, bien sûr. Le rite est extérieur, observable, ce qui permet de conserver des photos du baptême ; mais si l’on ne conserve d’un baptême que des photos, le sens du rite est manqué. Ce qu’il faut conserver d’un baptême, c’est la foi. Vous vivez également ces jours-ci le sacrement de la pénitence ; la pénitence aussi est une attitude intérieure, une tristesse lucide devant notre médiocrité et l’engagement sincère de nous convertir. Le rite est un acte extérieur et, bien qu’il soit entouré d’une absolue discrétion, il faut bien échanger avec le prêtre quelques paroles. Mais ce que vous dites au prêtre, ce que le prêtre vous dit, et en particulier l’absolution qu’il vous donne, n’a de réalité que parce que le rite vous permet de retrouver le chemin de votre conscience, illuminée à nouveau par la grâce du Christ.

Mais je dois surtout parler du sacrement de l’eucharistie, dont nous célébrons aujourd’hui l’institution. Parmi les noms de l’eucharistie, je veux retenir celui de sacrement de la charité. La charité, je n’ai pas besoin de vous l’apprendre, est une attitude du cœur. On peut entendre en deux sens complémentaires ce sacrement de la charité. Il s’agit tout d’abord de la charité de celui qui célèbre : le Christ, en consacrant son corps livré et son sang versé voulait indiquer à ses apôtres dans quelles dispositions d’amour et d’offrande il allait mourir le lendemain. Le prêtre qui célèbre aujourd’hui n’a pas d’autre intention que celle du Christ lorsqu’il consacre le corps et le sang : chaque messe qu’il vous offre est le signe de sa charité pastorale, de son amour de prêtre envers l’Eglise. Mais le sacrement de la charité désigne aussi l’attitude de celui qui communie. On ne peut s’approcher de l’eucharistie si ce n’est pour affirmer, par ce geste de la communion, que l’on veut grandir dans l’amour de ses frères, de l’Eglise et de tous les hommes. Il serait illogique de communier sans amour ; au contraire, c’est par amour que nous communions. Recevoir visiblement le corps du Christ a du sens dans la mesure où ce geste est le signe d’un amour d’où nous n’excluons personne. Communier est l’acte de charité par excellence. C’est à la source eucharistique que notre cœur, naturellement étroit et frileux, peut devenir vraiment charitable envers tous les hommes. Ainsi, communier est, chrétiennement, le contraire de l’égoïsme. On peut aussi adorer l’eucharistie ; contempler le Christ présent, ce n’est pas se laisser fasciner par un écran ; c’est voir l’amour dont le Christ aime chaque homme, et voir, en nous-mêmes, comment nous aussi pourrions mieux aimer.

Nous étions exilés hors de nous-mêmes, nous vivions loin de notre cœur. Mais en nous créant, Dieu, précisément, nous avait donné un cœur pour que ce soit notre paradis, pour que ce cœur soit le lieu intime d’une vraie rencontre. Alors que nous avions fui hors de nous-mêmes, il fallait donc que Dieu nous montre un chemin qui nous fasse rentrer en nous-mêmes : un peu d’eau fait de notre cœur le lieu de la foi ; quelques paroles courageuses et franches font de notre cœur le lieu de la pénitence ; un fragment de pain, une gorgée de vin font de notre cœur le lieu de la charité. Dans le réconfort de croire, dans la joie d’être pardonné, dans la ferveur d’aimer, nous avons retrouvé le chemin d’un paradis : non pas un lieu de confort et de délices matérielles en dehors de nous-mêmes, mais une conscience intime et lumineuse où Dieu réside vraiment.
Nous avons donc le choix : nous pouvons vivre à l’extérieur, rechercher dans les bruits et les images, dans le vacarme du monde de quoi assourdir nos angoisses ; nous pouvons poursuivre sans cesse des plaisirs extérieurs et cherchant toujours plus nouveau ou plus fort, nous abrutir de bien-être matériel. Tout le monde fait comme cela, après tout. Mais on peut également choisir, par une vie sacramentelle, de revenir de temps en temps à ce paradis dont le Christ nous a indiqué le chemin, ce paradis qu’il a rouvert pour nous. Nous pouvons entrer en nous-mêmes, nous tenir dans notre conscience en présence du Seigneur : croire en conscience, espérer en conscience, en conscience aimer tous les hommes, en conscience trouver Dieu. Et si c’était cela, le bonheur ? Tel est le chemin des sacrements que l’Eglise célèbre pour que les hommes retrouvent en eux-mêmes une joie dont ils s’étaient éloignés. Sur ce chemin le Christ nous accompagne, car il est lui-même le chemin, la vérité et la vie.