dimanche 26 mai 2013

Dimanche de la Trinité

Nous percevons en général le mystère de la sainte Trinité un peu comme un piège. Nous savons que cette vérité de foi est fondatrice ; la structure même du Credo que nous allons proclamer est trinitaire. Lorsqu’il s’agit de confesser la foi de l’Eglise, nous ne pouvons nous dispenser de la Trinité, et pourtant, dès qu’il s’agit d’expliquer, de rendre compte de cette foi, nous voilà mal à l’aise. Ce mystère semble si difficile, si abstrait, si éloigné de nos préoccupations de tous les jours que nous ne voyons pas bien comment nous pourrions en dire quelque chose. Pourtant, être chrétien, ce n’est pas répéter le symbole de la foi comme une incantation ; c’est comprendre, au moins un peu, ce que nous affirmons. Une foi dépourvue de raison, une foi privée d’intelligence ne serait chrétienne que de nom.
Pour sortir de cette impasse, pour dire quand même quelque chose au sujet de la Trinité, il est utile sans doute de relire une phrase de s. Augustin que Benoît XVI a remise en lumière : « Tu vois la Trinité si tu vois la charité »[1]. Dire que Dieu est Trinité c’est, en fin de compte, dire que Dieu est, dans sa nature même, dans son secret le plus intime, une communauté d’amour. Voilà quelque chose qu’aucun homme n’avait été capable d’imaginer, ni les philosophes de la Grèce, ni même les prophètes d’Israël, et que Jésus seul est venu nous révéler parce qu’il est l’un de ces Trois qui sont l’amour éternel.
Il ne faut pas s’étonner que notre monde comprenne peu ce mystère. Toute l’activité des hommes consiste à s’aimer soi-même ; la publicité nous suggère quotidiennement que le bonheur, c’est l’égoïsme. Convaincus d’une telle vérité – qui est pourtant une supercherie bien désespérante – nous ne pouvons rien comprendre de Dieu. Car Dieu est un amour dont la réalité profonde est, en lui-même, relation entre trois Personnes. Quand saint Jean dit que « Dieu est amour » (1Jn 4, 8 ; 16), il veut dire, en d’autres termes, que « le Père aime le Fils » (Jn 3, 35 ; 5, 20). La substance de Dieu, c’est l’altruisme (le mot est simpliste, mais vous voyez ce que je veux dire), tandis que nous avons fait de notre égoïsme la condition de notre survie. Pour nous, vivre, c’est s’aimer soi-même ; pour Dieu, être, c’est, en lui-même, aimer un autre. Il n’est donc pas surprenant que ce mystère reste caché aux hommes, aveuglés par le souci de leur seul confort.
Il devrait pourtant exister une manifestation un peu évidente de cet amour qu’est la Trinité : l’Eglise. Une préface du Missel dit en effet : « et ce peuple, unifié par la Trinité sainte, c’est l’Eglise, gloire de ta Sagesse, Corps du Christ et Temple de l’Esprit »[2]. Si Dieu est en lui-même une communauté charitable, il a fondé l’Eglise pour être, dans le monde, une image de cette charité qu’il est. Comment, en effet, les hommes, qui vivent obnubilés par leur égoïsme, pourraient-ils concevoir quelque chose d’un Dieu Trinité, si ce n’est en voyant d’autres hommes mener une vie communautaire et charitable ? Comme Eglise, nous avons la responsabilité d’être, humainement, l’icône de l’amour qu’est la Trinité. Cela exige de nous une charité parfaite, une bienveillance totale ; cela exclut toute cupidité, toute volonté de puissance, toute violence, toute rancune. Si nous parvenions à vivre cela dans une famille (qui est une petite Eglise), dans une paroisse, dans un diocèse, alors nous serions aux yeux du monde plus qu’un signe, moins qu’une preuve peut-être, mais déjà un argument très fort en faveur de la foi trinitaire. Car la source d’une telle charité communautaire ne peut se trouver en l’homme ; l’homme, pécheur, n’est par lui-même capable que de narcissisme. Si quelqu’un voit cette charité ecclésiale, il ne peut donc pas l’expliquer par une raison terrestre ; il doit bien la considérer comme était l’indice convaincant d’une réalité supérieure, éternelle, bienheureuse et divine. « Tu vois la Trinité si tu vois la charité ». Le raisonnement de s. Augustin est irréfutable.
Avec courage, acceptons cette responsabilité d’être, comme Eglise, l’icône humaine de la charité qu’est Dieu. Que notre amour mutuel soit un témoignage crédible et concret de notre foi trinitaire.



[1] Saint Augustin, De Trinitate, VIII, 8, 12 ; Benoît XVI, Lettre encyclique Deus Caritas est (25 décembre 2005), n° 19.
[2] Missel Romain, Préface des dimanches n° VIII. 

dimanche 19 mai 2013

Pentecôte - Année C


La fête de la Pentecôte est avant tout une affaire de langage. C’est un fait bien connu aujourd’hui : dans la liturgie d’Israël, on lisait, cinquante jours après la Pâque, le récit de la tour de Babel et de la confusion des langues (Gn 11). Dans ce texte étonnant, on voit l’humanité se désunir, se séparer, chacun devenant l’otage d’une langue que les autres ne comprennent plus. Les hommes qui avaient voulu se liguer contre Dieu ne parviennent pas au bout de leur révolte ; le piège d’une incommunicabilité égoïste vient mettre fin à cette entreprise orgueilleuse. Aujourd’hui, dans la liturgie de l’Eglise, nous célébrons donc le contraire de la confusion de Babel ; nous célébrons le jour où la communauté des croyants a commencé de s’exprimer dans toutes les langues de la terre. Ce n’est pas la restauration d’une langue unique, mais l’entrée de toutes les langues dans la compréhension de l’évangile : les Parthes entendent l’évangile en Parthe, les Mèdes en Mède, les Elamites en Elamite ; tout en conservant la diversité des cultures, s’établit ainsi une communion dans la foi.
La question du langage est décisive. Car il ne suffit pas de dire quelque chose ; encore faut-il le dire dans une langue que quelqu’un comprenne. Le registre du langage est ainsi parfois plus fondamental que le sens même des mots pour transmettre un message. On y est attentif lorsqu’on est à l’étranger. Si je suis à Londres et que j’entends une phrase prononcée en français, ce n’est pas le sens de la phrase qui va m’interpeler d’abord, mais le fait que celui qui parle est Français comme moi. J’écouterai aussi son accent pour deviner de quelle région est ce Français. La signification de sa phrase restera en retrait et semblera moins importante que ceci : j’ai trouvé un concitoyen.
Il faut donc se demander quelle langue parle l’Eglise.
On a parfois accusé l’Eglise de ne parler que le latin ; en fait si l’Eglise a toujours parlé latin, elle n’a jamais parlé exclusivement latin et a toujours su se faire comprendre dans d’autres langues. Aujourd’hui, cette accusation n’a d’ailleurs plus aucun fondement. C’est bien en français que je vous parle.
On a aussi reproché à l’Eglise de parler la langue de bois ; cela est vrai de toute institution qui, dans certaines circonstances préfère une certaine ambiguïté. Mais cela n’a jamais concerné les vérités de la foi. L’évangile a toujours été proclamé clairement. L’ambiguïté du langage ecclésiastique ne concerne pas non plus les fautes des hommes d’Eglise. Le courage de Jean-Paul II, de Benoît XVI, allant jusqu’à demander pardon, n’était pas de la langue de bois.
On a aussi accusé l’Eglise de parler un langage trop spirituel ou trop abstrait, déconnecté des préoccupations quotidiennes des fidèles. Effectivement, certains documents pontificaux paraissent un peu compliqués ; mais s’il faut parfois utiliser un vocabulaire technique pour expliquer des questions délicates, le langage de l’Eglise est aussi, et surtout, celui des catéchistes expliquant aux enfants, des prêtres de paroisses dans leurs enseignements, des confesseurs donnant quelques conseils. Et ce langage là s’efforce d’être accessible à tous.
On a pu encore accuser l’Eglise d’avoir un langage trop radical ; mais pour cela, il faut se plaindre au Christ lui-même. Quand on entend : « Celui qui a mis la main a la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le Royaume de Dieu » (Lc 9, 62) ; ou bien : « Va, vends ce que tu as, donne-le aux pauvres » (Mt 19, 21) ; ou encore : « Ne jugez pas » (Mt 7, 1) ; tendre l’autre joue (Mt 5 39), et d’autres choses un peu raides, ce n’est pas l’Eglise moralisatrice qui le dit, c’est l’évangile. Le langage de l’évangile est sérieux, austère ; le langage de l’Eglise se doit d’être explicite, clair et net.
On a accusé le langage de l’Eglise de traiter de tout, de parler de trop de choses, de s’occuper de ce qui ne la regardait pas. Pourquoi l’Eglise éprouve-t-elle le besoin de parler de questions politiques, d’économie, de doctrine sociale, de bioéthique… ? Pourquoi l’Eglise parle-t-elle du mariage, de la contraception, de l’avortement, de l’euthanasie ? L’Eglise se reconnaît le devoir de parler chaque fois que Dieu est en cause, et lorsque l’homme – image de Dieu – est en danger, il faut donc que l’Eglise parle pour rappeler ce qu’est la vie, pour rappeler qu’on ne peut pas confondre le bien et le mal, qu’on ne peut pas mettre sur le même niveau des vérités qui sont sources de vie et des opinions qui conduisent vers le malheur.
Comprenons surtout que l’Eglise parle le langage de notre conscience. Les langues de feu sont entrées dans les Apôtres et ils ont été emplis, intérieurement, de l’Esprit Saint. Le langage de l’Eglise doit enfin entrer en nous, dans l’intime de notre conscience afin que nous puissions ensuite choisir nos actions en fonction de l’Esprit de Dieu, et non pas selon les langages de la séduction, de la publicité ou de la mode. Car enfin, ce qu’on reproche le plus souvent au langage de l’Eglise c’est d’être trop vrai, d’être une vérité trop dérangeante. Et cette vérité exigeante, le langage de l’Eglise veut la faire résonner dans le cœur de chaque fidèle.  

dimanche 12 mai 2013

7ème Dimanche de Pâques - Année C


« Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée » (Jn 17, 22) : voilà bien une phrase étonnante. Qu’est-ce que la gloire ? Si l’on va lire un dictionnaire, on trouvera ceci : « Célébrité grande et honorable en parlant des personnes » (Littré). Si l’on applique cela aux chrétiens, aux disciples du Christ, on se dit qu’il doit y avoir une erreur : où voit-on aujourd’hui que d’être chrétien rend célèbre et honoré ? Ceux qui ont mis leur foi dans l’évangile sont plutôt méprisés, quand on ne les persécute pas. Si c’est en ce sens là que Jésus parle de gloire, il y donc un vrai problème. Essayons de mieux comprendre.
Il semble que chez Jean, le mot de « gloire » ait un sens bien particulier qu’on peut tenter de cerner au mieux avec une formule en usage chez les premiers chrétiens : « si l’on vous persécute au nom du Christ, heureux êtes vous, car l’Esprit de la gloire et de Dieu repose sur vous » (1P 4, 14 ; cf. Ac 7, 55 [1ère lecture]). Qu’est-ce donc que la gloire ? A partir de ce verset, on peut dire : c’est le fait que Dieu donne son Esprit Saint à ceux qui sont persécutés. Ceux qui souffrent pour la vérité, qui sont outragés pour leur attachement à Dieu, qui subissent des humiliations pénibles et douloureuses, ceux-là sont soutenus par l’Esprit Saint.
Cela concerne en premier lieu le Christ lui-même. La gloire que Dieu lui a donnée consiste pour lui en la certitude que l’Esprit Saint vient consommer son sacrifice (cf. He 9, 14). La mort de Jésus sur la Croix est – il ne faut pas se raconter de sornettes – le plus grand échec, la plus grande humiliation possible. Voilà un homme qui a passé toute sa vie à annoncer l’amour et qui meurt de manière pitoyable, haï de tous, condamné par les Juifs et les Romains ensemble, conspué par tout Jérusalem et abandonné même de ses “amis”. On ne saurait imaginer une déroute plus retentissante. Et bien dans cette mort, qui, sans Dieu, ne serait qu’une fin navrante, se trouve la « gloire » parce que l’Esprit Saint vient transfigurer les derniers instants de Jésus. Dans l’Esprit Saint, nous savons que la honte de la Croix est devenue le témoignage suprême d’un amour invincible, nous découvrons que l’exécution d’un condamné lamentable est en réalité l’unique sacrifice qui relève l’homme, nous voyons enfin que cette mort pitoyable introduit l’humanité dans la logique d’une vie nouvelle. Voilà la gloire, qui reste bien discrète, bien ténue. Les hommes qui ont vu Jésus mourir n’ont pas remarqué qu’il y avait là la gloire de Dieu. Mais Jésus, lui, connaît la gloire que le Père lui a donnée.
Jésus a donné ensuite la gloire à ses disciples, à son Eglise. Il ne faut pas s’attendre à quelque chose de plus grandiose. La gloire ne peut se rencontrer que dans un contexte de persécution, alors qu’on croit que l’Eglise, exsangue, ne se relèvera plus. Que signifie donc que Jésus donne à l’Eglise la gloire ? Cela ne veut pas dire que Jésus envoie à son Eglise des épreuves et des malheurs – bien sûr. Mais Jésus prévient néanmoins, sans ambiguïté, ses disciples de ce qu’ils auront à souffrir. Et il leur donne cette assurance : de même que la « gloire » serait là lorsqu’il mourrait sur la Croix, de même la « gloire » sera là lorsque les Apôtres paieront de leur vie leur attachement à l’évangile. Les disciples du Christ recevront, au moment de leur témoignage, la force de l’Esprit Saint.
Dans un contexte de persécution violente, cela demande beaucoup de foi de voir dans l’assassinat de chrétiens la présence de la gloire de Dieu. Un meurtre, un massacre n’est jamais quelque chose de beau. Dans un contexte comme le nôtre ou les persécutions contre l’Eglise empruntent des voies détournées, subreptices, où se trouve la « gloire » ? On peut dire que la « gloire » est présente chaque fois qu’un chrétien, demandant l’aide de l’Esprit Saint, renonce à céder aux sollicitations faciles d’une société immorale. Pour les jeunes, assaillis de tentations commerciales, cela est particulièrement difficile ; c’est une lutte de chaque instant pour laquelle l’assistance de l’Esprit de Dieu, qu’ils ont reçu à leur confirmation, n’est pas vaine. Pour les adultes, parfois tentés par le désespoir, et le découragement, la « gloire » est surtout une force de prière et d’espérance qui leur fait voir que Dieu ne renonce pas à nous donner un bonheur.
Dans l’ancien Testament la « gloire », c’était la présence de Dieu dans le Temple de Jérusalem. Cette gloire était insaisissable, diaphane, immatérielle, invisible. Dans le nouveau Testament, la « gloire » c’est l’Esprit Saint qui est présent dans le sacrifice de Jésus sur la Croix. Le corps de Jésus devient ainsi le Temple nouveau, le lieu du vrai sacrifice. Dans le temps des martyrs, la « gloire » c’est l’Esprit Saint qui donne le courage et la persévérance. Dans notre monde déboussolé, la « gloire » c’est l’Esprit Saint qui assiste ceux qui luttent pour l’évangile contre le désespoir, contre la solitude, contre la pauvreté, contre la permissivité, contre tout ce qui trompe et déçoit. Vous voyez qu’il s’agit, dans tous les cas, d’une « gloire » bien paradoxale : c’est une gloire exigeante et austère ; c’est une gloire qui s’oppose au prestige du monde et au cortège de ses fausses réussites ; c’est une gloire qui est le secret de ceux qui souffrent pour la justice et la vérité. Jésus a reçu cette « gloire » du Père et il nous a aimés jusqu’à la Croix. Jésus a donné cette « gloire » à son Eglise comme une grâce ultime et redoutable. Ayons le courage d’accueillir la « gloire » de Dieu. 

jeudi 9 mai 2013

Ascension - Année C


Qui est le Saint Esprit ? Par deux fois, dans les lectures que nous venons d’entendre, saint Luc définit l’Esprit comme une force : « jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une force venue d’en haut » (Lc 24, 49) ; « vous allez recevoir une force, celle du Saint Esprit » (Ac 1, 8). Ce langage est un peu étonnant. Dans notre monde, dans lequel l’Eglise paraît affaiblie, on est plutôt enclin à souligner l’humilité, la discrétion de Dieu. Au Moyen Age, à l’époque de l’Eglise triomphante, oui, on savait ce qu’était la force de Dieu : c’était la puissance du Pape, le prestige des abbayes, la grandeur des évêques. Mais aujourd’hui, il ne reste plus rien de tout cela. Est-il donc convenable de décrire l’Esprit de Dieu comme une force ? Cela n’est-il pas anachronique et désuet ?
Revenons un peu avant le Moyen Age, à l’époque des Apôtres, où il n’y avait encore ni Pape puissant, ni riches abbayes. La puissance de l’Eglise se réduisait alors à une vingtaine de disciples un peu apeurés – surtout un peu lâches – sans instruction, qui passaient aux yeux du monde soit pour de doux illuminés, soit pour de dangereux agitateurs. Et cette petite assemblée de disciples attend une force venue d’en haut ! Le spectacle est sans doute comique, un peu pitoyable ; saint Luc a de l’humour. Evidemment, les Apôtres n’attendent pas une force venue d’eux-mêmes : ils savent bien qu’ils ne peuvent pas compter sur leurs propres ressources. Alors, étant par eux-mêmes totalement démunis, ils attendent donc une force du ciel. Et ils vont recevoir le Saint Esprit qui leur communiquera la force de Dieu.
Comment mesurer cette force ? En physique, je crois, une force se mesure par ses effets. Nous avons analysé la situation de départ : une vingtaine d’hommes désorganisés après la mort de leur chef, sans argent ni intelligence. Voyons l’effet : deux mille ans de Christianisme, avec tous les aléas, toutes les vicissitudes que nous connaissons et aujourd’hui, une Eglise qui va bien ou mal suivant les lieux, mais une Eglise qui tient le coup, qui continue d’annoncer l’évangile et de célébrer le sacrifice du Christ, une Eglise qui, dans les moments de paix comme dans les moments d’angoisse est capable de témoigner de la Vérité et d’inviter les hommes à un constant renouvellement spirituel.
Cela n’a rien à voir avec un pouvoir temporel. Si la force de Dieu a pu, à certaines époques, s’exprimer dans le prestige des institutions ecclésiastiques, cela ne constitue nullement la nature même de la force de Dieu. La force de Dieu, c’est plutôt le dynamisme de l’Esprit qui, à toutes les époques, avec énergie et inventivité, a donné à l’Eglise de tenir sa place dans le monde. A certains moments, le monde va bien, à d’autres, il va mal ; tantôt l’Eglise exerce une puissance temporelle, tantôt elle n’a plus d’autorité que spirituelle, tantôt cette autorité spirituelle même lui est contestée ; mais, dans la paix, dans la persécution, et dans l’indifférence même, la force de Dieu est bien là, qui agit et progresse.
Bien sûr que Dieu est discret, bien sûr qu’il ne s’impose pas à l’homme ; évidemment que l’Eglise doit être humble, qu’elle ne doit pas chercher à régner politiquement. Mais cela ne veut pas dire que le Christianisme serait sans force. On a parfois reproché à la morale chrétienne – “tendre l’autre joue” (Mt 5, 39) – d’être une morale de lâcheté, de faiblesse. Cette critique est sans fondement. Certes Dieu est vulnérable, et l’Eglise paraît fragile. Mais qui est le plus fort : celui qui se laisse conduire à la Croix sans résister ou bien celui qui se débat et qui répond à la violence par la violence ? Le Christ a choisi de tendre l’autre joue à ceux qui le frappaient. Je ne pense pas qu’il l’ait fait par lâcheté et je crois, au contraire, que son visage exprimait alors une bonté et une douceur miséricordieuse qui est, en définitive, la vraie force de Dieu. Sur le visage de l’homme le plus faible, près de mourir, est ainsi passé le reflet du Dieu tout-puissant dont l’entière toute puissance sert à désarmer la violence par le pardon et la haine par la douceur.
C’est dans cette logique que nous pouvons comprendre que l’Esprit Saint nous communique la force de Dieu. Nous n’allons pas partir en croisade, nous n’allons pas proclamer une guerre sainte – sinon contre nous-mêmes, contre nos défauts, nos mauvais penchants. Mais nous allons mettre en œuvre ce dynamisme spirituel que Dieu nous donne, dans l’élan de la Résurrection, afin que l’Eglise que nous sommes continue de témoigner de l’évangile, dans la force de la vérité, dans la force de la charité. 

dimanche 5 mai 2013

6ème Dimanche de Pâques - Année C


Les Apôtres, réunis en concile à Jérusalem doivent traiter une question de grande importance : faut-il soumettre ceux qui se convertissent à l’évangile à l’observance de la loi de Moïse ? En d’autres termes : un païen doit-il devenir d’abord juif pour devenir ensuite chrétien ? Plus que la réponse à cette question (réponse qui est tellement évidente aujourd’hui que la question ne se pose plus), je voudrais relever la méthode d’argumentation.
Les Apôtres ont-ils par eux-mêmes la capacité de répondre ? Jésus lui-même n’a laissé aucune consigne explicite à ce sujet. Par quelle autorité pourraient-ils donc trancher ? Les disciples sont en revanche capables de discuter entre eux de ce problème, et c’est ce qu’ils ont fait. Nous n’avons pas entendu tout le récit, mais, dans vos Bibles, vous pourrez lire les interventions de Pierre, de Barnabé et Paul, de Jacques. Après ces discours, il y a eu sans doute des débats, des remarques, des polémiques même. Car jamais l’Eglise n’a été le lieu de la pensée unique ; au contraire, dès les origines, l’Eglise est le lieu d’un débat dans la vérité et dans la charité. Car la vérité n’est pas quelque chose qui s’affirme de manière péremptoire ; la vérité, c’est ce qui se découvre, ce qui se révèle dans la rencontre. Si chacun a « sa » vérité, dans son coin, tout seul, alors il n’y a pas de communion, et il n’y a pas non plus de vérité ; et l’Eglise, c’est précisément le contraire de cela.
Les Apôtres ont donc eu raison de débattre publiquement de la grave question qui leur était posée. Mais une fois que chacun s’est exprimé, il fallait bien prendre une décision. Et c’est là qu’on peut être un peu surpris ; quelle est la réponse des Apôtres ? « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé… » (Ac 15, 28). Voilà une formule bien prétentieuse : les Apôtres ont discuté entre eux ; l’Esprit Saint n’a pas discuté parmi eux. Et pourtant, la décision qui est prise est attribuée conjointement à l’Esprit Saint et aux Apôtres. N’est-ce pas là un coup de force pour impliquer Dieu dans une décision humaine ?
Tout en reconnaissant que cette façon de parler est audacieuse, il nous faut prendre conscience que notre foi catholique nous oblige à prendre au sérieux une telle formule. Qu’est-ce que l’Eglise ? Pour un catholique, l’Eglise c’est l’humanité qui peut dire « nous » avec l’Esprit Saint. Qui est l’Esprit Saint ? L’Esprit Saint est Dieu qui ne craint pas d’être associé à l’Eglise comme sujet d’un verbe, pour accomplir une action conjointe.
Après ce concile de Jérusalem, il y a eu, tout au long de l’histoire de l’Eglise, d’autres conciles, d’autres réunions, non pas d’apôtres, mais d’évêques, pour discuter de questions très difficiles et très graves. Et toujours, à toutes les époques, les Pères conciliaires ont eu conscience de décider avec l’Esprit Saint. Ecoutez la conclusion solennelle des documents publiés par Vatican II, ces petites phrases qu’on ne lit jamais : « Tout l’ensemble et chacun des points qui ont été édictés dans cette constitution dogmatique ont plu aux Pères. Et Nous [Paul VI], en vertu du pouvoir apostolique que Nous tenons du Christ, en union avec les vénérables Pères, Nous les approuvons, arrêtons et décrétons dans le Saint-Esprit, et Nous ordonnons que ce qui a été ainsi établi en Concile soit promulgué pour la gloire de Dieu ». Les Pères conciliaires sont-ils fous de dire cela ? Non. Ils ont simplement conscience d’être l’Eglise du Christ, c’est-à-dire une communauté conduite par l’Esprit Saint.
Dans quelques jours, nous célèbrerons la Pentecôte. Souvenons-nous toujours que l’Esprit Saint, qui est présent dans nos cœurs, est d’abord celui qui conduit l’Eglise. Alors nous pourrons vivre la fête qui approche dans une communion plus intense et plus ecclésiale.