« Je leur ai donné la
gloire que tu m’as donnée » (Jn 17, 22) : voilà bien une phrase
étonnante. Qu’est-ce que la gloire ? Si l’on va lire un dictionnaire, on
trouvera ceci : « Célébrité grande et honorable en parlant des
personnes » (Littré). Si l’on
applique cela aux chrétiens, aux disciples du Christ, on se dit qu’il doit y
avoir une erreur : où voit-on aujourd’hui que d’être chrétien rend célèbre
et honoré ? Ceux qui ont mis leur foi dans l’évangile sont plutôt
méprisés, quand on ne les persécute pas. Si c’est en ce sens là que Jésus parle
de gloire, il y donc un vrai problème. Essayons de mieux comprendre.
Il semble que chez Jean,
le mot de « gloire » ait un sens bien particulier qu’on peut tenter
de cerner au mieux avec une formule en usage chez les premiers chrétiens :
« si l’on vous persécute au nom du Christ, heureux êtes vous, car l’Esprit de la gloire et de Dieu repose
sur vous » (1P 4, 14 ; cf. Ac
7, 55 [1ère lecture]). Qu’est-ce donc que la gloire ? A partir
de ce verset, on peut dire : c’est le fait que Dieu donne son Esprit Saint
à ceux qui sont persécutés. Ceux qui souffrent pour la vérité, qui sont
outragés pour leur attachement à Dieu, qui subissent des humiliations pénibles
et douloureuses, ceux-là sont soutenus par l’Esprit Saint.
Cela concerne en premier
lieu le Christ lui-même. La gloire que Dieu lui a donnée consiste pour lui en
la certitude que l’Esprit Saint vient consommer son sacrifice (cf. He 9, 14). La mort de
Jésus sur la Croix est – il ne faut pas se raconter de sornettes – le plus
grand échec, la plus grande humiliation possible. Voilà un homme qui a passé
toute sa vie à annoncer l’amour et qui meurt de manière pitoyable, haï de tous,
condamné par les Juifs et les Romains ensemble, conspué par tout Jérusalem et
abandonné même de ses “amis”. On ne saurait imaginer une déroute plus
retentissante. Et bien dans cette mort, qui, sans Dieu, ne serait qu’une fin
navrante, se trouve la « gloire » parce que l’Esprit Saint vient
transfigurer les derniers instants de Jésus. Dans l’Esprit Saint, nous savons
que la honte de la Croix est devenue le témoignage suprême d’un amour
invincible, nous découvrons que l’exécution d’un condamné lamentable est en
réalité l’unique sacrifice qui relève l’homme, nous voyons enfin que cette mort
pitoyable introduit l’humanité dans la logique d’une vie nouvelle. Voilà la
gloire, qui reste bien discrète, bien ténue. Les hommes qui ont vu Jésus mourir
n’ont pas remarqué qu’il y avait là la gloire de Dieu. Mais Jésus, lui, connaît
la gloire que le Père lui a donnée.
Jésus a donné ensuite la
gloire à ses disciples, à son Eglise. Il ne faut pas s’attendre à quelque chose
de plus grandiose. La gloire ne peut se rencontrer que dans un contexte de
persécution, alors qu’on croit que l’Eglise, exsangue, ne se relèvera plus. Que
signifie donc que Jésus donne à l’Eglise la gloire ? Cela ne veut pas dire
que Jésus envoie à son Eglise des épreuves et des malheurs – bien sûr. Mais
Jésus prévient néanmoins, sans ambiguïté, ses disciples de ce qu’ils auront à
souffrir. Et il leur donne cette assurance : de même que la « gloire »
serait là lorsqu’il mourrait sur la Croix, de même la « gloire » sera
là lorsque les Apôtres paieront de leur vie leur attachement à l’évangile. Les
disciples du Christ recevront, au moment de leur témoignage, la force de l’Esprit
Saint.
Dans un contexte de
persécution violente, cela demande beaucoup de foi de voir dans l’assassinat de
chrétiens la présence de la gloire de Dieu. Un meurtre, un massacre n’est
jamais quelque chose de beau. Dans un contexte comme le nôtre ou les
persécutions contre l’Eglise empruntent des voies détournées, subreptices, où
se trouve la « gloire » ? On peut dire que la « gloire »
est présente chaque fois qu’un chrétien, demandant l’aide de l’Esprit Saint,
renonce à céder aux sollicitations faciles d’une société immorale. Pour les
jeunes, assaillis de tentations commerciales, cela est particulièrement
difficile ; c’est une lutte de chaque instant pour laquelle l’assistance
de l’Esprit de Dieu, qu’ils ont reçu à leur confirmation, n’est pas vaine. Pour
les adultes, parfois tentés par le désespoir, et le découragement, la
« gloire » est surtout une force de prière et d’espérance qui leur
fait voir que Dieu ne renonce pas à nous donner un bonheur.
Dans l’ancien Testament
la « gloire », c’était la présence de Dieu dans le Temple de
Jérusalem. Cette gloire était insaisissable, diaphane, immatérielle, invisible.
Dans le nouveau Testament, la « gloire » c’est l’Esprit Saint qui est
présent dans le sacrifice de Jésus sur la Croix. Le corps de Jésus devient ainsi
le Temple nouveau, le lieu du vrai sacrifice. Dans le temps des martyrs, la « gloire »
c’est l’Esprit Saint qui donne le courage et la persévérance. Dans notre monde
déboussolé, la « gloire » c’est l’Esprit Saint qui assiste ceux qui
luttent pour l’évangile contre le désespoir, contre la solitude, contre la
pauvreté, contre la permissivité, contre tout ce qui trompe et déçoit. Vous
voyez qu’il s’agit, dans tous les cas, d’une « gloire » bien paradoxale :
c’est une gloire exigeante et austère ; c’est une gloire qui s’oppose au
prestige du monde et au cortège de ses fausses réussites ; c’est une
gloire qui est le secret de ceux qui souffrent pour la justice et la vérité.
Jésus a reçu cette « gloire » du Père et il nous a aimés jusqu’à la
Croix. Jésus a donné cette « gloire » à son Eglise comme une grâce
ultime et redoutable. Ayons le courage d’accueillir la « gloire » de
Dieu.
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