vendredi 29 août 2014

22e dimanche - année A


Il n’est jamais tellement agréable de devoir annoncer une catastrophe. Mais, c’est un fait, des catastrophes se produisent et si on peut prévenir ceux qui sont au bord du gouffre, c’est un devoir de les mettre en garde.



Entre ce que la conscience exige et ce que la prudence commande, il y a un vrai dilemme qui fut celui du prophète Jérémie (Jr 20, 7-9). Cela fait longtemps que Jérémie a compris que l’histoire de Jérusalem allait se terminer dans le sang et la haine ; il a compris que les troupes de Nabuchodonosor viendraient assiéger la ville, incendier les remparts, déporter les princes, et finalement profaner le sanctuaire. Tout cela, il l’a vu avec cette clairvoyance que Dieu donne à ses prophètes. Mais dans Jérusalem, tout le monde vit au jour le jour dans le confort, sans se préoccuper ni de Dieu ni même de l’avenir. Chacun profite de son petit égoïsme, tranquillement, dans ses petites affaires. Et voilà que Dieu demande à son prophète de lever la voix, de crier que tout cela va disparaître, que la fin du monde est proche : « je dois crier, je dois proclamer : ‘‘violence et pillage’’ » (Jr 20, 8). Voilà ce qu’il doit annoncer de la part du Seigneur. Mais imaginez comment réagissent les habitants de Jérusalem : pour eux, tout va très bien. Ils sont riches, ils sont en bonne santé, leurs négoce est prospère, leur prestige est intact ; pourquoi vient-on fatiguer leurs oreilles avec ces prophéties de malheur ? Qu’on les laisse donc profiter de la vie, qu’on les laisse se préoccuper de leurs plaisirs ! Evidemment, le langage du prophète ne plaît pas, ne convient pas, et on finit par se moquer de lui : « A longueur de journée, je suis en butte à la raillerie, tout le monde se moque de moi » (Jr 20, 7). Et ce n’est pas tout ; bientôt, Jérémie sera persécuté, inquiété par les autorités de Jérusalem. Qu’il se taise donc. Mais Jérémie peut-il se taire ? Il a bien essayé : « Je me disais : je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son nom. Mais il y avait en moi comme un feu dévorant » (Jr 20, 9). La parole de Dieu est trop puissante, et Jérémie souffre plus encore de se taire que de parler ; alors il parle, quoi qu’il en coûte.



Jésus aussi doit annoncer une catastrophe (Mt 16, 21-27). Il vit avec ses disciples ; il leur enseigne un message merveilleux d’amour et de pardon ; il fait devant eux des miracles étonnants. Les Apôtres ont bien compris qu’ils vivent un moment exceptionnel avec un homme exceptionnel ; ils ont compris qu’il est le Messie tant attendu qui va rétablir la paix et la justice. Pierre vient de le proclamer solennellement (Mt 16, 16). Et c’est dans ce contexte spirituel tout à fait favorable que Jésus doit annoncer le pire : le pire, c’est qu’il va être arrêté, qu’il sera torturé, condamné à mort, qu’il sera exécuté lamentablement et qu’il va remettre son dernier souffle dans des souffrances atroces. Quel contraste entre la ferveur joyeuse et simple qui règne dans le groupe des Apôtres, quel contraste entre le bon accueil des foules émerveillées des discours et des actes de Jésus, et cette annonce terrible. Faut-il gâcher un si beau moment par un tel pessimisme ? Est-il possible que cette histoire magnifique ait une conclusion aussi effrayante ? Va-t-on vraiment passer du rêve au cauchemar ? Saint Pierre ne s’y trompe pas : « cela ne t’arrivera pas » (Mt 16, 22), ce n’est pas possible. Dieu ne peut pas permettre qu’un évangile si édifiant se termine aussi mal. 



Et pourtant Jérémie avait raison : Jérusalem fut envahie par les troupes de Nabuchodonosor (2R 24-25). Jésus aussi avait raison : il est mort crucifié entre deux voleurs, abandonné de tous. Les prophètes de malheur ont souvent raison. Mais la catastrophe est-elle vraiment la fin de l’histoire ? Jérusalem a été anéantie, mais après soixante-dix ans d’exil, le peuple a pu quitter Babylone, revenir dans la ville sainte et reconstruire le sanctuaire (2Ch 36, 22-23). Jésus est mort crucifié, il a été mis au tombeau, mais « le troisième jour » (Mt 16, 21), il s’est montré vivant à ses disciples abasourdis et encore incrédules. Ce qui distingue la mentalité biblique des autres pensées de l’Antiquité, c’est sans doute cela : la tragédie grecque se termine dans l’horreur absolue et il n’y a plus rien après. Au contraire, la prophétie annonce le malheur mais est capable aussi de voir au-delà du malheur. Jésus montrait à ses Apôtres qu’il devait mourir, mais il leur prédisait en même temps qu’il ressusciterait. Et les Apôtres, effrayés par l’annonce terrible, n’ont pas vu qu’elle portait aussi une espérance.

Dans nos vies, aussi, il y a des malheurs, des épreuves, des catastrophes parfois. Notre foi chrétienne est ce qui nous permet de tenir au-delà de l’épreuve, d’être vivants au-delà de la mort. Voilà une pensée qui n’est pas « des hommes » (Mt 16, 23) ; voilà la pensée de Dieu en qui nous mettons toute notre confiance. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.