vendredi 1 août 2014

18e dimanche - année A

On connaît trop bien ces récits de miracles (Mt 14, 13-21) pour s’en étonner encore. Jésus est Dieu ; il n’est pas surprenant que, muni seulement de cinq pains et deux poissons, il parvienne à nourrir cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants. Si ce n’était que cela, ce ne serait qu’un tour de passe-passe de plus de Jésus qui, pour manifester la bonté de Dieu et pour se tirer d’une situation critique, fait un petit miracle au moment opportun. Ce serait bien gentil : ces gens ont eu à manger ; ils sont contents. Tout va pour le mieux.
Lire ce récit de cette manière passe à côté de l’essentiel. Le but de cet évangile n’est pas de nous rapporter un petit prodige accompli par Jésus. Cet évangile est, bien plus profondément, l’occasion de nous transmettre un commandement de Jésus : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mt 14, 16). Ce commandement est déroutant. On se dit que pour Jésus, c’est facile de multiplier les pains, il est Dieu ; mais pour les Apôtres, pauvres hommes, c’est impossible. Nous savons pourtant que Dieu ne commande jamais rien d’impossible. C’est donc Jésus qui va multiplier les pains, mais ce sont bien les Apôtres qui vont les donner aux foules : « il rompit les pains, il les donna aux disciples, et les disciples les donnèrent à la foule » (Mt 14, 19). Ainsi, ce n’est pas Jésus qui donne directement à la foule, mais il passe par les Apôtres ; il ne veut rien leur donner qui ne passe par les Apôtres.
Cette médiation est riche d’enseignements. Tout d’abord, elle nous apprend que les actes de Dieu, loin de dédouaner les hommes de leurs responsabilités, constituent au contraire les occasions de nouvelles exigences. Le miracle n’est jamais, dans l’évangile, une action de Jésus seul. Jésus invite toujours quelqu’un à coopérer, à l’aider presque. Lors de la résurrection de Lazare, c’est lui qui rend la vie au mort ; mais ce n’est pas lui qui enlève la pierre du tombeau, ni qui délie le ressuscité de ses bandelettes. Il accomplit par lui-même l’acte principal, mais il confie aux hommes une mission tout aussi importante : si Jésus avait ressuscité Lazare mais que personne n’eût enlevé la pierre du tombeau, cela n’aurait pas donné grand-chose ! De même ici, si Jésus avait multiplié les pains, mais que les Apôtres ne les avaient pas distribués, les foules seraient reparties le ventre vide.



On peut peut-être rapprocher cela de ce que les médias nous disent de la famine qui sévit ici où là, dans les zones de grande pauvreté, de sécheresse ou de guerre. En voyant ces populations souffrir de la misère, de la maladie et de la faim, on peut toujours demander à Dieu un miracle ; mais Dieu nous dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Le miracle, ce n’est pas que Dieu fasse tomber du ciel des billets de banque ou des colis de médicaments ou des plats tout cuisinés ; le miracle, c’est que des hommes, avec courage et générosité, s’engagent pour apporter un secours, donner une aide médicale ou sauver ceux qui vont mourir de faim. Ainsi, le miracle n’exclut jamais la responsabilité de l’homme. Dieu ne se passe jamais de nous lorsqu’il agit. On comprend alors ce que ce miracle signifie pour nous. Souvent Dieu veut agir dans notre monde, mais s’il ne trouve personne de prêt à coopérer à son action…

Cette multiplication des pains est aussi, évidemment, une figure de l’Eucharistie. « Levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction » (Mt 14, 19) : ce sont là incontestablement des gestes eucharistiques – nous l’entendons dans le Canon Romain. Ainsi, il nous faut comprendre que produire l’Eucharistie dépasse certes les forces de l’homme ; aucun homme, si pieux soit-il, ne peut par lui-même faire d’un morceau de pain le corps du Christ, d’un peu de vin le sang du Christ. Cela relève de la seule puissance de Dieu. Pourtant, Dieu n’accomplit jamais cette merveille sans passer par un prêtre. Evidemment, si Dieu faisait le tour de toutes les églises du monde le dimanche matin pour livrer lui-même un ciboire plein d’hosties consacrées, il n’y aurait plus de “crise des vocations”. Mais Dieu ne fait pas ainsi. Dieu regarde son Eglise, il voit bien qu’il y a des fidèles qui n’ont pas accès à l’eucharistie et, voyant cela, il dit : « donnez-leur vous-mêmes à manger ». C’est bien Dieu qui donne le pain venu du ciel ; mais il faut qu’un homme accepte d’être prêtre pour distribuer aux foules ce pain donné par Dieu. Hors de cela, il n’y a que rêve et inconséquence.
Lorsqu’un village de France ou une région d’Afrique est privé de la messe dominicale, cela ne vient jamais de ce que Dieu ne serait pas capable de fournir le pain venu du ciel ; la source de l’eucharistie n’est pas tarie en Dieu. Lorsqu’il n’y a plus de messe, cela vient de ce que personne ne se préoccupe de devenir prêtre pour distribuer à ses frères la nourriture spirituelle. Et l’Eglise peut supplier pour ces gens qui meurent de faim, faute de recevoir le corps du Seigneur. La réponse de Dieu sera toujours la même : « donnez-leur vous-mêmes à manger ». Chaque fidèle doit prendre la mesure de l’action de Dieu qui nous donne tout et qui nous confie la responsabilité de distribuer tout ce qu’il nous donne. Si personne n’accepte de distribuer la communion eucharistique, dont l’Eglise a tant besoin, alors, c’est certain, les fidèles mourront de faim, non parce que Dieu se serait montré mesquin, mais parce que personne parmi les croyants n’aurait pris la peine de transmettre le don de Dieu.
Prier pour les vocations, c’est-à-dire prier pour qu’aucun fidèle ne soit privé de l’accès à l’eucharistie, c’est aussi accepter de voir un proche, un frère, un fils, un petit-fils être choisi ; ou, pour les jeunes gens, c’est envisager d’être embauché soi-même pour cet humble service, d’être soi-même une partie de l’exaucement de la prière pour les vocations. Que chacun évalue la faim eucharistique de notre Eglise et entende, en même temps, le commandement de Jésus : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Il n’est plus temps de regarder vers le ciel en poussant des soupirs ; il devient urgent de s’engager réellement, si nous ne voulons pas que les générations futures meurent de faim.




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