vendredi 15 août 2014

20e dimanche - année A

De tout temps, l’homme est un être inquiet de son identité. Pour se rassurer, il se raccroche à des symboles (un drapeau, une devise) ou à des certitudes ; autrefois : « je suis fils d’Israël » ; « je suis citoyen romain » ; aujourd’hui : « je suis Français » ; « je suis chrétien ». Mais il faut bien reconnaître que plus ces affirmations (qui sont vraies) sont insistantes, plus elles indiquent qu’on a un peu perdu confiance en soi. C’est, le plus souvent, lorsqu’on a peur qu’on exprime qui on est. Les lectures d’aujourd’hui posent également ces questions, dans des contextes historiques et culturels évidemment très éloignés de notre époque.
Le prophète Isaïe (56, 1 ; 6-7), au moment où le peuple revient d’exil, est interpelé sur une affaire des plus délicates : qui peut venir au Temple ? Le Temple de Jérusalem est le lieu le plus pur, le sanctuaire de Dieu ; c’est le grand symbole du Judaïsme, le point de ralliement de la foi d’Israël. En principe, seuls des Juifs observants et scrupuleux sont dignes de venir dans le Temple pour présenter leurs offrandes et leurs sacrifices. Mais il y a eu l’exil ; durant la déportation des notables d’Israël à Babylone, le Temple est resté désert pendant soixante-dix ans, et, entre temps, ce sont de petites gens qui ont pris l’habitude de venir dans le sanctuaire. Tant que les grandes familles princières et sacerdotales habitaient à Jérusalem, l’accès au Temple leur était interdit ; avec l’exil, elles ont pu se frayer un chemin jusqu’au sanctuaire ; mais le retour d’exil pose alors ce problème grave : qui peut venir au Temple ? Le Temple n’est-il fait que pour les notables, les docteurs, les chefs du peuple, les Juifs purs et pieux ? ou bien le Temple est-il ouvert à tous ? Et la question devient bien vite : Dieu est-il bon seulement envers les Juifs de bonne naissance ? ou bien Dieu se montre-t-il favorable à tout homme sincère ? Il fallait être un prophète, et même un grand prophète, pour oser répondre : « Ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples » (Is 56, 7). Imaginez la réaction des dignitaires de Jérusalem : ont-ils été contents d’entendre, à leur retour de déportation, que leur Temple pouvait accueillir non seulement d’autres Juifs, mais encore tous les hommes ? Ils espéraient bien entendre confirmer leurs privilèges de bons notables de la Loi. A quoi cela sert-il maintenant d’appartenir au peuple élu si tous les hommes sont invités dans le sanctuaire ? Et voilà que l’identité devient source d’angoisse.



Dans l’évangile (Mt 15, 21-28), c’est une question semblable qui se pose à Jésus. Le ministère du Christ s’adresse-t-il au Juifs seulement, à la « maison d’Israël » (Mt 15, 24), ou bien aussi aux Cananéens ? Dans un curieux dialogue, dont la finesse nous échappe, Jésus fait semblant de ne pas se préoccuper des demandes de cette Cananéenne ; les arguments et le vocabulaire utilisés de part et d’autre sont un peu déroutants, mais le sens est clair : Jésus va exaucer cette femme, mais il ne peut pourtant lui donner satisfaction immédiatement, au risque de scandaliser ses propres apôtres. C’est que les apôtres ont bien conscience d’être Juifs, d’appartenir à une certaine élite spirituelle ; ils ne souhaitent sans doute pas que leur maître, leur rabbi, aille se compromettre avec des étrangers. Aussi, Jésus doit laisser la femme implorer, crier, insister pour que les apôtres eux-mêmes demandent qu’on l’exauce (cf. Mt 15, 23). Et là, Jésus peut enfin préciser dans quelle mesure il exauce la femme : ce n’est pas raison de son appartenance au peuple élu – elle ne lui appartient pas – ce n’est pas non plus en raison de l’obéissance à la loi de Moïse – il n’en parle même pas – c’est en raison de sa foi : « ta foi est grande » (Mt 15, 28).
A l’époque d’Isaïe, à l’époque de Jésus, le monde se divisait tranquillement en deux : les Juifs d’un côté, les non-juifs de l’autre. Et Isaïe a commencé à faire bouger les frontières : « Ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples » ; Jésus aussi a fait bouger les frontières : « ta foi est grande ». Qu’est-ce donc qu’être chrétien ? Pour nous, chrétiens, le monde ne se divise pas en deux ; il n’y a pas d’un côté les chrétiens, de l’autre les non-chrétiens, avec tout ce que cela impliquerait comme hostilité, comme tension mutuelle, comme agressivité réciproque. Nous sommes chrétiens, non pas pour nous opposer à ceux qui ne connaissent pas le Christ. Nous sommes chrétiens pour inviter ceux qui ne connaissent pas le Christ à entrer dans la foi – c’est très différent. Baptisés, confirmés, si nous prenons à cœur notre mission de témoigner de la foi, alors nous comprenons que nous sommes chrétiens pour les autres (c’est-à-dire : ni pour nous, ni contre les autres) ; nous comprenons que notre foi chrétienne n’est vivante que si elle se communique. C’est à nos proches tout d’abord que nous devons communiquer la foi, les parents envers leurs enfants, puis entre amis, éventuellement dans le contexte professionnel. Puis c’est à tout homme que nous rencontrons que nous pouvons apporter le témoignage simple et authentique qui l’invitera à entrer dans l’Eglise.


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