samedi 2 janvier 2016

Epiphanie


L’Epiphanie nous parle d’une double recherche. Il y a tout d’abord ces mages, venus d’Orient, qui sont à la recherche de Dieu. Certes, ces hommes n’étaient pas sans sagesse ni sans religions ; sans doute avaient-ils un savoir très complet. Mais toute cette science qu’ils possédaient ne les a pas empêchés de continuer à chercher, jusqu’à ce qu’ils découvrent Dieu fait homme dans le visage de l’enfant de la crèche. On peut imaginer combien cette rencontre fut à la fois bouleversante et apaisante, combien elle renversait les anciennes illusions d’un dieu vengeur pour révéler que Dieu est faible, vulnérable et docile.
Et puis, il y a cette recherche beaucoup plus ancienne et beaucoup plus profonde, dans laquelle Dieu est en quête de l’homme. Au début de l’humanité, Dieu se souvient d’avoir été rejeté par Adam et Eve (Gn 3) ; ils ont transgressé le commandement originel pour bien signifier qu’ils n’avaient que faire de celui qui avait donné le commandement en même temps qu’il avait donné le jardin. Et, depuis ce premier échec, Dieu cherchait un moyen pour retrouver l’homme, pour renouer un contact avec lui (Gn 3, 9). Il avait essayé d’envoyer des prophètes, que personne n’écoutait, sans grand succès donc. Et puis il a envoyé son propre Fils (cf. Lc 20, 13). Et ainsi, dans le regard de Jésus, Dieu voit avec des yeux d’homme cette humanité qui avait passé toute son histoire à le fuir. Il nous est possible de nous représenter cette humanité que découvrent les premiers regards de Jésus. Il a vu d’abord sa famille, Marie et Joseph, comme tout enfant ; puis, comme tout enfant, il a vu des tas d’inconnus venir se pencher sur son berceau – ou plutôt sur sa crèche – pour s’émerveiller de façon distraite en disant : “comme il est beau !”. Il a vu surtout les bergers, étonnés d’avoir été choisis pour recevoir la révélation des anges. Et il voit maintenant ces mages venus de loin.
Et nous pouvons croire qu’il nous a vus également. Je vais être un peu naïf, mais vous me pardonnerez : chaque fois que nous allons voir l’enfant Jésus à la crèche nous pouvons penser que l’enfant, que nous regardons, nous regarde aussi. Avec des mots compliqués, l’anthropologie nous explique que voir et être vu sont deux réalités indissociables. Plus simplement, on comprend que, si nous avons pris l’habitude de faire des crèches, ce n’est pas seulement pour regarder Jésus, mais également pour être regardés par lui. Il s’agit bien d’un regard mutuel : « ‘‘Je l’avise et il m’avise’’, disait à son saint curé le paysan d’Ars en prière devant le Tabernacle »[1] ; on peut, devant une crèche, devant une icône ou devant toute image du Christ faire cette même expérience spirituelle de regarder et d’être regardé. Et ce regard de Jésus n’est pas comme l’œil vengeur qui « était dans la tombe et regardait Caïn »[2] – selon le mot terrible du poète. C’est un regard tendre, doux, enfantin et familier, un regard qui s’ouvre jusqu’à l’émerveillement.
En pensant à tous ceux qui passent dans nos églises, nous pouvons nous demander combien de visages Jésus a contemplés après ses parents, après les bergers et les mages. Il a vu des visages d’enfants éblouis par la joie de Noël, des visages de grands-parents pressés, des visages fatigués, des visages joyeux, des visages inquiets. Dans nos crèches, Jésus a vu nos joies et nos détresses, nos espoirs et nos désillusions, nos craintes et notre courage. Ensuite, Jésus va vivre sa vie. Il va continuer à poser son regard sur chacun de nous, comme sur le jeune homme riche qu’il a ainsi aimé (Mc 10, 21). Et nous le voyons enfin sur la Croix, d’où il nous regarde avec douleur et bienveillance, comme pour nous demander : « pouvais-je vous aimer davantage ? ». Regarder Jésus et nous laisser regarder par lui : la vie chrétienne est ce regard mutuel où s’expriment la confiance, l’espérance et l’amour, ce regard spirituel qui réunit deux amis dans une communion intime. Le regard bienveillant, doux et humble de Jésus saura adoucir nos épreuves et nous rendre la joie. C’est cela qu’on appelle la prière.




[1] Catéchisme de l’Eglise Catholique, n° 2715.
[2] Victor Hugo, « La Conscience », in La légende des siècles, 1e série (1859) ; dernier vers du poème.

Illustration : les mages (nommés Gaspard, Melchior et Balthasar) sur une mosaïque de Ravenne (basilique de Saint Apollinaire le Neuf), VIe siècle. 

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