Dans le passage entendu
de la lettre aux Corinthiens (1Co 12, 4-11), saint Paul présente avec une
admirable précision le rapport qui existe entre la diversité et l’unité dans le
mystère de l’Eglise. Nous savons tous que l’Eglise est « une » ;
nous le proclamons avec conviction dans notre Credo. Nous savons que cette unité de l’Eglise provient de l’Unité
qu’est Dieu : « Je crois en un seul Dieu », disons-nous, avant
d’affirmer que nous croyons « en l’Eglise, une ». Et il y a bien un
lien logique de cette unité qu’est Dieu à cette unité de l’Eglise. Mais nous
savons aussi que Dieu, « Un », n’est pas un dieu solitaire, mais une
communion. Il y a, en Dieu, une certaine altérité, une certaine
diversité : le Père n’est pas le Fils, le Saint Esprit n’est pas le Père.
Il faut donc comprendre – ou du moins dire quelque chose – de ce qui fait cette
unité du Père, du Fils et du Saint Esprit dans la diversité des
Personnes ; il faut également dire quelque chose de cette unité de
l’Eglise dans la diversité des fidèles qui la composent.
Saint Paul propose ainsi
de situer la diversité des « dons de la grâce », ce qu’on appelle
aussi les « charismes », dans l’unité de l’Esprit (1Co 12,
4) ; puis la diversité des « services », ce qu’on appelle aussi
les « ministères », dans l’unité du Christ (1Co 12, 5) ;
puis la diversité des « activités », ou des « œuvres » dans
l’unité de Dieu le Père (1Co 12, 6).
Une telle contemplation
de la réalité ecclésiale est très profonde, et très lucide également. Il faut
bien reconnaître – pour s’en réjouir – la légitime et saine diversité dans
l’Eglise. Les charismes, sur lesquels Paul s’attarde ensuite (1Co 12,
7-11), sont un vrai trésor pour les croyants. L’Esprit, l’unique Esprit,
suscite là où les besoins se font sentir des figures de sainteté dont
l’activité charismatique se déploie pour le bien de tous. Dans les époques où
l’erreur risque de plonger l’humanité dans les ténèbres, l’Esprit fait se lever
des hommes doués de sagesse ou de science (1Co 12, 8). Qu’on pense à ces
grands génies de la foi que furent saint Augustin ou saint Thomas
d’Aquin : en des temps où la pensée humaine se trouvait au seuil de
révolutions philosophiques, de bouleversements intellectuels, ces hommes ont
été, grâce à l’unique Esprit, des lumières pour la raison. Dans les moments où
la confiance pouvait s’obscurcir ou s’attiédir, l’Esprit suscite des flambeaux
de la foi (1Co 12, 9). Qu’on pense à tous les martyrs qui, au long des
persécutions qui n’ont jamais manqué à l’Eglise, ont eu le courage d’affirmer
vaillamment leur attachement à celui qui est ressuscité – et qui n’ont pas
hésité à donner leur vie dans cette inébranlable conviction. Dans les époques
où la souffrance risque de faire oublier la bonté de Dieu, l’unique Esprit fait
se lever des hommes capables de guérir, des hospitaliers, des serviteurs de la
miséricorde qui se dévouent en faveur des pauvres et des malades (1Co 12,
9). Qu’on pense aux religieux qui ont fondé des congrégations d’infirmiers,
saint Jean de Dieu, saint Camille de Lellis ; pensons, à notre époque, aux
Sœurs missionnaires de la charité de Mère Térésa qui témoignent de la bonté de
Dieu auprès de ceux qui n’attendent plus que la mort. Quand les hommes sont
dans l’incertitude ou le désarroi, l’unique Esprit est capable de faire se
lever des hommes qui ont une parole prophétique (1Co 12, 10), des
visionnaires qui savent indiquer un avenir, ouvrir un chemin vers la paix.
Pensons aux saints qui se sont impliqués dans la vie politique de leur temps
afin de promouvoir l’entente entre les peuples et la concorde civile :
saint Thomas More, patron des hommes politiques chrétiens. Tout cela, c’est
l’unique Esprit qui l’accomplit dans la diversité des charismes.
Paul
suggère également que l’unité du Christ (c’est-à-dire : l’unité de
l’Eglise qui est le corps du Christ) ne peut se maintenir sans une diversité
des ministères (1Co 12, 5). On peut penser tout d’abord aux ministères de
la hiérarchie de l’Eglise : les évêques sont chargés de présider à la
charité dans les diocèses et à pourvoir les paroisses en prêtres ; les
prêtres ont mission de donner à leurs paroissiens la prédication et les
sacrements ; les diacres doivent, selon leur état, organiser la charité,
témoigner de leur foi et assurer un service de prière. Tous ces ministères permettent
à l’Eglise d’être un corps ou personne n’est omnivalent, où les tâches sont
articulées dans la communion et la bonne entente, pour le salut de tous. Si la
mission de l’Eglise est unique (visant le salut du monde), les ministères sont
variés (pour organiser la pérennité de l’institution). Mais on peut également
penser à l’incroyable diversité des ministères des prêtres (curés, éducateurs,
moines, aumôniers), mais aussi des laïcs (catéchistes, économes, animateurs de
pastorale). C’est encore l’unique Esprit qui produit cela.
Enfin, Paul indique
l’incroyable diversité des œuvres bonnes accomplies dans l’Eglise et hors de
l’Eglise par tous les hommes ; et il rattache ce foisonnement du bien à
l’unicité de Dieu le Père, du créateur du ciel et de la terre (1Co 12, 6).
Il ne nous est pas difficile de nous représenter tous les actes de générosité,
de solidarité, de patience, de justice, toutes les bienveillances, toutes les
occasions de partage, tous les actes de tendresse, de pardon, de
réconciliation, bref tout le bien que des hommes accomplissent les uns envers
les autres ici-bas : tout cela vient de Dieu, nous dit Paul. Cette
abondance, cette spontanéité, cette inventivité du bien, cette propagation des
bonnes œuvres, cette contagion de l’amour entre les hommes : cela doit être
rapporté au Créateur unique et souverain.
L’Apôtre nous présente
ainsi une immense fresque du bien ; il a magnifiquement prophétisé cette
histoire du surcroît du bien qui se manifesterait dans l’histoire de l’Eglise :
il y a un bien unique qui se révèle dans une prodigieuse diversité. Ce bien
unique, c’est Dieu ; il manifeste sa bonté dans l’Eglise
« une », au moyen de la diversité des charismes et des
ministères ; il manifeste sa bonté dans l’humanité au moyen de la
créativité des hommes de bonne volonté. Il est trop facile de regarder notre
Eglise ou notre monde en trouvant que tout y va mal. Ce que Paul nous montre,
avec un regard plus lucide et plus profond, c’est que le Bien est là, qu’il est
à l’œuvre, et que ce Bien, c’est Dieu. Ne nous laissons pas impressionner par
les souffrances ou les doutes ; assumons notre part de générosité :
c’est à chacun d’entre nous d’être auprès de nos frères les relais de la bonté
de Dieu, dans la diversité de nos histoires et de nos caractères. Soyons les
musiciens de cette symphonie de la bonté de Dieu.
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