vendredi 8 janvier 2016

Baptême du Seigneur - année C


Pour clore le cycle des manifestations de Dieu – la manifestation aux bergers (Noël), la manifestation aux mages (Epiphanie), la manifestation à Israël (Baptême) – la liturgie de ce jour nous fait entendre un passage de l’épître à Tite qui expose ce grand mystère de l’apparition du projet de Dieu (Tt 2, 11-14 ; 3, 4-7). Deux fois, dans le passage que nous avons écouté, est employé le verbe « apparaître », « se manifester » (en grec : epephanè, qui a donné précisément notre « épiphanie »). Cette forme verbale n’avait été employée dans l’ancien Testament grec (la traduction des Septante) que pour désigner l’apparition de Dieu à Jacob au lieu-dit de Béthel : « Là, [Jacob] construisit un autel et appela le lieu El-Béthel, car Dieu s’y était manifesté à lui » (Gn 35, 7). Il s’agit donc d’une apparition d’une intensité décisive, personnelle, qui provoque la stupeur de l’homme et l’invite à rendre un culte à Dieu qui s’est fait connaître.
Dans le texte de saint Paul, il convient de relever une subtilité théologique d’une très grande importance pour bien comprendre la portée de son propos. On doit constater, pourvu qu’on lise attentivement, que les phrases de Paul procèdent avec une certaine incohérence, ou plutôt avec une apparente diversité entre ce qui se manifeste et ceux qui sont concernés par cette manifestation. Il le dit de manière allusive dans la seconde phrase, plus claire dans la première. Voyons donc tout d’abord le texte le moins évident : « Lorsque Dieu notre Sauveur a manifesté sa bonté et son amour pour les hommes, il nous a sauvés » (Tt 3, 4-5). Qui Dieu aime-t-il ? Il est dit qu’il aime les hommes – et non pas une catégorie d’hommes. Il n’est pas dit que Dieu aime les Juifs seulement, ou les croyants seulement, ou les catholiques seulement. Ce qui se manifeste, c’est sa bonté et son amour pour les hommes en général – et non pour quelques hommes. Et pourtant, les possessifs et les pronoms personnels qui sont utilisés ensuite sont à la première personne du pluriel : « notre Sauveur » ; « nous a sauvés ». Y a-t-il contradiction ? Paul vient de dire que Dieu aimait les hommes ; veut-il affirmer immédiatement après que, bien qu’il aime tous les hommes, il n’en sauverait qu’un petit nombre ? qu’il n’agirait qu’en « notre » faveur à « nous », les bons catholiques du dimanche matin ? Sans doute pas. Paul n’est pas inconséquent à ce point. Alors il faut mieux lire, mieux comprendre.
Allons voir la description de la première manifestation, qui nous semblera plus explicite : « Car la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. Elle nous apprend à renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde » (Tt 2, 11-12). Le texte est là parfaitement clair, indiscutable. Paul affirme sans aucune hésitation « le salut de tous les hommes » et il n’y a donc pas lieu de tergiverser à ce sujet ; il n’y a pas à mettre de conditions, de frontières, d’exclusion, de critères trop étroits. La grâce de Dieu qui se manifeste, se manifeste comme grâce universelle dont personne n’est exclu par décret divin. Ceci étant acquis, on retrouve ensuite nos pronoms personnels à la première personne du pluriel : la grâce « nous apprend à renoncer à l’impiété ». Il est vrai que la grâce de Dieu sauve tous les hommes ; il est vrai également que tous les hommes ne renoncent pas à l’impiété, mais ceux-là seulement qui se laissent vraiment toucher par l’évangile. Aussi, il y a un décalage entre l’universalité du salut (et c’est bien l’universalité que Dieu manifeste dans toutes ces fêtes de Noël) et le caractère restreint de l’Eglise (ce « nous » pas très nombreux qui se rassemble le dimanche matin pour l’eucharistie). Il y a un écart douloureusement constatable : comment se fait-il que tous soient sauvés, et que si peu accueillent pourtant l’évangile ? Ce mystère ne peut qu’être vécu comme une souffrance ; c’est une souffrance pour des parents de voir que leurs enfants ne pratiquent pas ; c’est une souffrance dans un couple quand l’un est croyant et pas l’autre ; c’est une souffrance d’être le seul chrétien dans son milieu professionnel ; c’est une souffrance d’être, dans une école, le seul à aller au catéchisme. Cette souffrance n’est supportable que si l’on assume la charge, prudente et charitable, bienveillante, d’être un évangélisateur. Mais ce mystère révèle aussi la puissance de la grâce de Dieu qui s’appuie sur la faiblesse, sur le petit nombre, pour sauver la totalité. Que « nous » soyons chrétiens (et que « nous » soyons peu nombreux à être chrétiens) est le signe fort, éloquent, irréfutable que tous les hommes sont sauvés, parce que la bonté de Dieu ne s’embarrasse pas d’agir avec prestige : tant qu’il reste, sur terre, deux chrétiens qui vivent selon la foi et annoncent l’évangile, alors Dieu manifeste sa grâce et sa bonté pour le salut de tous les hommes. Il est vrai qu’on a parfois peur d’être seul, qu’on est triste de se sentir isolé spirituellement dans un monde matérialiste. Mais cette situation vécue avec courage est, pour le monde, un signe de salut et nous ne pouvons renoncer à être, par notre faiblesse même, la manifestation de la grâce de Dieu. Ce message de saint Paul retentit comme un puissant encouragement au terme du temps de Noël ; qu’il soutienne l’activité des évangélisateurs tout au long de cette année pastorale, au service de la miséricorde.


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