jeudi 2 février 2017

5e dimanche ordinaire - A


Quels sont les arguments que nous avons pour présenter notre foi? Quels discours raisonnables et attirants pouvons-nous tenir pour inciter des hommes à croire? Quels faits pouvons-nous rapporter pour convaincre nos contemporains que Dieu existe et qu’il nous aime? Si nous voulons suivre la méthode que saint Paul nous indique, il nous faut consentir à être en cela assez démuni: «Je n’ai rien voulu savoir parmi vous, rien, sinon Jésus Christ, le crucifié» (1Co2,2). Voilà qui ne nous simplifie pas la tâche. 

En effet, nous pourrions imaginer qu’une belle louange sur le caractère admirable de la création serait intellectuellement plus séduisante: regardez comment la nature offre un spectacle harmonieux et sublime; peut-on concevoir qu’il n’y a pas, à l’origine de tout cela, une intelligence surhumaine et bienveillante? On pourrait aussi aller du côté des miracles: lisez comment Dieu a libéré le peuple d’Israël au travers de la Mer rouge, comment Jésus a guéri des aveugles, comment il a ressuscité des morts, voyez comment aujourd’hui encore, à Lourdes, à Fatima, la puissance de Dieu rend la santé à des malades incurables et perdus; n’est-ce pas une preuve éclatante de la bonté de notre Créateur? On pourrait enfin mettre en valeur l’extraordinaire effort caritatif de l’Eglise catholique depuis des siècles: voyez comment la générosité des chrétiens accomplit de grandes choses, comment Camille de Lellis s’est préoccupé des malades, comment Vincent de Paul a soulagé les pauvres, comment Padre Pio a fondé des hôpitaux, comment Mère Teresa a réconforté les mourants; n’est-ce pas là le signe le plus éloquent que le Dieu de ces grands saints est le Dieu vrai et plein de bonté? Tout cela, nous pourrions le dire, et ce serait, assurément, de magnifiques paroles, pleines d’une vraie sagesse (1Co2,1). Mais pourtant, Paul choisit une autre voie pour évangéliser. Il ne veut parler que d’un homme cloué sur une croix en train de mourir. 

Pour comprendre les raisons de Paul, il convient sans doute de nous souvenir des circonstances de sa propre conversion. Celui qui lui est apparu sur la route de Damas, c’est Jésus persécuté (Ac9,5; 22,8; 26,15) et, plus précisément encore, c’est Jésus persécuté par Paul lui-même. En un éclair, Paul a été foudroyé par une lucidité aveuglante, blessé par une évidence intime et douloureuse: Paul a compris qu’il était, devant Dieu, celui qui a tué le messie. Bien sûr, Paul sait bien qu’il n’a pas historiquement tué le messie (il n’a pas siégé au sanhédrin, il n’était pas au pied de la croix). Mais par les fautes qu’il a commises, par son opposition injuste envers les chrétiens, il s’est rendu solidaire de tout le mal qui se fait dans le monde, tout le mal que Jésus a pris sur lui pour en être comme l’unique victime non-violente. Jésus a voulu que tout le mal des hommes retombe sur lui-même, afin de le recevoir avec humilité, patience, douceur et miséricorde. Il a voulu que tout le mal se concentre sur sa personne pour être en droit de pardonner à tout homme: «Père pardonne-leur» (Lc23,34). Voilà ce que Paul a perçu tandis qu’il était terrassé par l’appel du Christ: «Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu?» 

Ce qui a converti Paul, ce n’est donc pas un raisonnement bien fait pour lui prouver que Jésus est le Messie. Ce qui l’a déstabilisé, ce qui l’a ébranlé, c’est cette vision d’un homme à qui il voulait du mal, d’un homme dont il voulait détruire l’œuvre alors que l’œuvre de cet homme était précisément de pardonner à ceux qui voulaient lui nuire. La conscience simultanée de sa faute et de son pardon, l’évidence d’être et pécheur, et pardonné, voilà ce qui a bouleversé toutes les certitudes de Paul lorsqu’il a entendu la voix et vu le visage de Jésus douloureux, outragé et bienveillant. Le regard amoureux d’un homme torturé: voilà qui est plus fort que tous les discours persuasifs d’une apologétique bien construite. 

Désormais, Paul ne se présente pas avec les beaux discours qu’il avait appris chez Gamaliel pour disserter sur la loi de Moïse (Ac22,3). Paul vient en portant dans son propre corps les blessures de Jésus (Ga6,17) et c’est cette souffrance du Christ qu’il complète en sa propre chair (Col1,24) qui est l’argument le plus décisif que Paul expose pour convaincre, si possible, ses contemporains de la vérité de l’évangile. 

Ce n’est pas parce que Paul était un orateur éloquent que nous sommes chrétiens aujourd’hui. C’est parce que Paul a pris sa part de souffrance (2Tm2,3). Ce n’est pas parce qu’il a su présenter l’évangile en faisant une bonne publicité que nous connaissons Jésus, c’est parce que Jésus a fait de Paul son témoin jusqu’à l’extrême de la faiblesse et jusqu’à la mort. La méthode est austère. C’est ainsi que Dieu respecte au mieux notre liberté. Si quelqu’un veut croire, si quelqu’un désire annoncer l’évangile, il sait désormais qu’il ne peut s’attendre au triomphe ni aux éloges. Il sait que sa seule vérité, c’est la croix du Christ. 


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