vendredi 13 janvier 2017

2e dimanche du temps ordinaire - A


Le ministère de Jean Baptiste est l’une des choses les plus étranges de l’histoire. Au premier siècle (qui, il faut l’avouer, ne manquait pas de personnes et d’événements étonnants), pourquoi un homme sorti de nulle part s’est-il rendu dans le désert pour prêcher la conversion, pour célébrer un rite d’immersion dans le fleuve? Deux questions se posent : à quoi sert tout cela? Qui a pu lui inspirer une telle mise en scène? L’évangile que nous venons d’entendre nous indique les réponses (deux réponses difficiles) à ces deux questions. 

Quel est le but de ce mode de vie tellement déroutant? Jean voulait désigner le messie. Il voulait croiser un jour quelqu’un dont il pourrait dire: «Voici l’agneau de Dieu» (Jn1,29; 36); «celui-ci est le Fils de Dieu» (Jn1,34). Il ne savait pas de qui il le dirait, mais il devait le dire. «Moi, je ne le connaissais pas, mais je suis venu donner ce baptême d’eau pour qu’IL soit manifesté à Israël» (Jn1,31). Jean pensait, croyait, savait (on ne sait comment dire) que telle était sa mission, et il voulait la remplir. Si l’on en croit saint Luc, ce ministère unique avait été prophétisé par son père, Zacharie, lorsque, après une période de mutisme, il avait célébré à nouveau la louange du Seigneur: «Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui visite et rachète son peuple… et toi, petit enfant, tu seras appelé “prophète du Très Haut”» (Lc1,68; 76). Comment Jean pouvait-il devenir ce prophète qui devait préparer le chemin du Seigneur? Un oracle d’Isaïe lui a servi de guide : «Une voix crie: “Dans le désert, frayez le chemin de Seigneur; dans la steppe, aplanissez une route pour notre Dieu”» (Is40,3; Jn1,23). Et Jean est parti au désert. A quoi cela sert-il de crier dans le désert? A rien, bien sûr. Mais c’était cela l’idée qui était venue à Jean, en pensant que c’est là, dans le désert, qu’il pourrait croiser le Messie, le Seigneur qui vient. A-t-il été surpris de voir que des foules venaient à lui? Nous ne le savons pas. Il pensait surtout rencontrer le Sauveur, et voici qu’il accueillait le peuple tout entier. Si le Seigneur était venu à lui, seul, il n’aurait pas eu de mal à le reconnaître: c’est lui! Mais dans cette foule, comment faire? Mais Jean ne se trompe pas. «Il voit Jésus venant à lui, et dit [en toute assurance, en toute certitude, sans l’ombre d’un doute]: “Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde”» (Jn1,29). 

Qu’est-ce qu’un «agneau de Dieu qui enlève le péché du monde»? Les Juifs savaient ce qu’est un agneau consacré à Dieu, offert en sacrifice, qui enlève les péchés du peuple. Mais Jean-Baptiste, en utilisant ces mots très connus, les décale, les subvertit. Mais voilà ce qu’il dit, ce qu’il veut dire, même si tout cela devient encore plus incompréhensible. 

Seconde question: d’où lui viennent cette manière de vivre et ces paroles aussi déconcertantes? Est-il simplement un peu dérangé? Les événements qui ont entouré sa naissance de deux vieillards ne plaident pas pour une enfance qui lui aurait assuré un équilibre émotionnel normal et les psychologues de tous bords, de toutes écoles, peuvent se pencher avec intérêt sur le cas de ce jeune homme qui vit dans le désert dans une ascèse d’une austérité effrayante. Le portrait clinique du Baptiste est, dans sa bizarrerie, assez clair. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. 

Jean est peut-être assez lucide sur lui-même (il l’a montré; Jn1,19-23) pour qu’on prenne au sérieux ce qu’il dit de lui-même: «Moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser, celui-là m’a dit: “Sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, C’EST LUI qui baptise dans l’Esprit Saint”» (Jn1,33). Plutôt que de se demander ce que sont ces voix (étaient-elles intérieures à la conscience, entendues dans l’imagination?) il vaut mieux s’interroger sur l’identité de celui qui parle à Jean. Qui est-il «celui qui [l]’a envoyé baptiser»? Si Jean le désigne mais ne le nomme pas, il ne faut pas nous hâter de donner la bonne réponse: c’est Dieu le Père, bien sûr. Jean ne saurait dire cela. Il est trop ébranlé, sans doute, par le contenu du message qu’il porte et qu’il ne peut pas taire. Comment dans le contexte du Judaïsme peut-il désigner un homme en disant: «c’est lui le Fils de Dieu»; pour des hommes religieux, c’est presqu’un blasphème. A la fin de l’histoire, les Juifs (peut-être certains de ceux qui étaient venus se réjouir auprès de Jean) expliqueront à Pilate: «Nous avons une Loi et d’après cette Loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu» (Jn19,7). Comment Jean doit-il dire: «c’est lui le Fils de Dieu»? Comment dans le contexte du sacerdoce (Jean est prêtre, fils du prêtre Zacharie – ne l’oublions pas) peut-on parler d’un agneau qui enlève le péché du monde, le péché des autres, le péché des non-Juifs? Qui peut inspirer à Jean un message tellement heurtant, tellement contradictoire avec les convictions religieuses ordinaires de son époque et de son milieu? Il ne le nomme pas, il ne sait pas qui l’a envoyé. Mais il sait qu’il lui est impossible de se taire. Et si énigmatique que soit le message qu’il porte, il doit le délivrer – et il le dit: «Voici l’agneau de Dieu» (Jn1,29; 36); «celui-ci est le Fils de Dieu» (Jn1,34). 

Annoncer quelqu’un qui bouscule nos convictions, témoigner de qui vient déranger nos habitudes, proclamer la bonne nouvelle d’un Messie inattendu: voilà quelle fut la mission de Jean. Il l’a fait. Notre monde n’attend pas plus, pas moins, le Christ que la Judée du premier siècle. Jésus ne nous gêne pas plus, pas moins, qu’il ne venait contrarier les Juifs d’alors. C’est ce Christ qu’il faut annoncer. 


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