vendredi 15 mai 2015

7e dimanche de Pâques - année B


Malgré quelques bizarreries qui ne peuvent manquer de nous étonner, le récit de l’élection de Mathias (Ac 2, 15-26) est un texte très important pour comprendre ce qu’est l’Eglise. Regardons tout d’abord ce qui est curieux : ce tirage au sort, assurément, est un usage qui est tombé en désuétude. Pour choisir un Pape, un évêque ou un curé, il semblerait absurde d’interroger le hasard. Cette pratique qui est aujourd’hui impossible était pourtant en vigueur dans l’histoire ancienne d’Israël. Le grand prêtre possédait sur son vêtement liturgique une sorte de bijou appelé le « Urim et Tummim » (Ex 28, 30 ; Lv 8, 8) dont on ignore la forme précise, mais dont on sait qu’il servait à dire « oui » ou « non », un peu comme quand on joue à pile ou face (1S 14, 41). Lorsqu’on voulait questionner le Seigneur sur une affaire importante, on formulait une demande en « oui ou non » au grand prêtre, qui répondait en consultant son Urim et Tummim. Cela est donc très loin de notre mentalité, mais nous pouvons comprendre que, dans l’histoire d’Israël et encore à l’époque des Apôtres, on pouvait retenir ce moyen de consulter la volonté de Dieu.

Mais ce n’est pas cela le plus important. Ce qu’il faut voir, dans ce récit, c’est que le groupe des Apôtres se considère comme une totalité. Ils sont les Douze (Lc 6, 13) que Jésus avait choisis personnellement et, après la trahison et le suicide de Judas, ils ne sont plus que les Onze (Lc 24, 9 ; 24, 33). Et cela constitue un manquement grave à la plénitude que Jésus avait voulu instituer. Il faut donc, avant de recevoir l’Esprit Saint, que le collège des Douze Apôtres se reconstitue en tant que communauté complète.
Qu’est-ce donc que l’Eglise ? S’agit-il, pour former l’Eglise, de juxtaposer des évêques les uns à côté des autres ? Si c’était cela, la hiérarchie de l’Eglise serait une collection d’individualismes. Mais telle n’est pas l’Eglise que le Christ a confiée à Pierre ; et Pierre l’a bien compris : c’est en tant que groupe, en tant que communauté que les Apôtres ont été choisis. Certes, dans ce groupe, il y avait de fortes personnalités, des caractères très différents. Mais l’Eglise fondée par le Christ, ce n’est pas chacun des Douze pris individuellement ; l’Eglise, c’est la communion qui existe entre ces Douze. Aussi, lorsqu’il en manque un, lorsque la communion est amoindrie, l’Eglise est blessée et il faut restaurer le collège apostolique dans son intégrité. Aujourd’hui encore, l’Eglise ce n’est pas chaque évêque tout seul dans son diocèse. L’Eglise, dans son aspect hiérarchique, c’est la communion des évêques entre eux et avec le Pape. Cela, le Concile Vatican II l’a rappelé avec force, montrant que l’exigence de communion épiscopale appartenait à la pratique immémoriale de l’Eglise.

« De même que saint Pierre et les autres apôtres constituent, de par l’institution du Seigneur, un seul collège apostolique ; de même le Pontife romain, successeur de Pierre, et les évêques, successeurs des apôtres, forment entre eux un tout. Déjà la plus antique discipline en vertu de laquelle les évêques établis dans le monde entier vivaient en communion entre eux et avec l’évêque de Rome par le lien de l’unité, de la charité et de la paix (…) signifie le caractère et la nature collégiale de l’Ordre épiscopal »[1].

Certes, chaque évêque est responsable de son diocèse et possède la compétence pour mettre en œuvre la pastorale qui correspond, pour ses diocésains, à la volonté de Dieu. Mais chaque évêque ne possède ce pouvoir, cette mission de gouverner une Eglise particulière, que parce qu’il est en communion avec les autres évêques, concrètement : avec les membres de sa conférence épiscopale nationale et, ultimement (ou plutôt : fondamentalement), avec l’évêque de Rome. Et c’est aujourd’hui le rôle du Pape de faire ce que saint Pierre a fait : lorsqu’il manque un évêque quelque part, c’est au Pape qu’il revient de compléter le collège amoindri et de désigner, parmi les fidèles, un nouveau membre de l’ordre épiscopal : « que l’un d’entre eux devienne, avec nous, témoin de sa résurrection » (Ac 2, 22). L’expression utilisée par Pierre, « avec nous », indique clairement ce qu’est la communion charitable dont les évêques se lient les uns aux autres. Ainsi, l’Eglise c’est d’abord et avant tout la communion des évêques entre eux, c’est la prière des évêques ensemble, c’est la charité mutuelle des évêques, c’est l’accord des évêques sur les grandes questions concernant la foi et les mœurs.
Et pour nous qui ne sommes pas évêques, nous devons prendre exemple sur ce modèle. L’Eglise, ce n’est pas une juxtaposition d’individus qui ont la foi ; l’Eglise, c’est la communion des chrétiens entre eux, c’est la prière des chrétiens réunis, c’est l’amour fraternel dont nous vivons quotidiennement, c’est notre adhésion générale à l’évangile et au symbole de la foi que nous proclamons chaque dimanche. Voilà ce qu’est l’Eglise.
C’est dans cette Eglise, dans une Eglise comprise comme communion entre évêques et communion entre fidèles, que l’Esprit Saint peut venir. L’Esprit Saint ne désire pas venir si chacun se préoccupe de lui seul, si chacun fait ce qu’il veut sans tenir compte des autres. L’Esprit Saint ne peut venir sur ce qui est divisé, sur ce qui est égoïste. L’Esprit Saint ne sait que rassembler, il ne sait qu’unir ; il ne sait que renforcer la communion entre les hommes. Dans l’attente de la Pentecôte, nous aurons à cœur de vivre consciemment, concrètement, de l’unité ecclésiale. Alors nous pourrons prier d’un cœur sincère : « Viens, Esprit Saint en nos cœurs ».




[1] Concile Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium, n° 22.

Illustration : Le Concile Vatican II (porte de la Basilique de Saint Marie Majeure – Rome). 

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