samedi 4 janvier 2014

Epiphanie

Il ne fait pas de doute pour un catholique que le Christ est « la Vérité » (Jn 14, 6). Il ne saurait être question de relativiser et de dire que tout se vaut, que chacun doit chercher sa vérité. Non ; nous qui avons la grâce d’être chrétiens, nous savons que le Christ est la Vérité – il l’a dit lui-même – et que l’Eglise – qui n’est rien d’autre que la présence du Christ sur notre terre, à notre époque – a reçu cette mission de Dieu de faire rayonner le Vrai dans le monde[1].
Cependant, au niveau personnel, le Christ-Vérité nous échappe le plus souvent. La Vérité ne se laisse pas emprisonner dans un cerveau humain, si intelligent soit-il ; la Vérité n’est pas une idée claire ou un système, ou une idéologie quelle qu’elle soit. Ainsi, jamais un homme ne possède la Vérité, jamais un homme ne peut comprendre le Christ. Tout ce que nous pouvons faire, vous comme moi, c’est de le chercher. C’est un peu comme un jeu de piste ou une enquête policière. Et, voilà l’essentiel : un homme qui cherche le Christ ne peut trouver le Christ que s’il rencontre d’autres hommes qui, comme lui, cherchent le Christ.
Ceci est très exactement la logique de la fête de l’Epiphanie. Nous avons dans notre évangile deux groupes d’hommes qui possèdent chacun une partie de la vérité, un indice. L’enjeu du texte est de montrer comment ces deux indices vont pouvoir se rencontrer. D’un côté, nous avons les Mages qui se demandent : « Où est le Roi des Juifs qui vient de naître ? » (Mt 2, 2). Cette question montre ce qu’ils savent : que le Roi des Juifs vient de naître ; mais elle laisse voir également ce qu’ils ignorent : où il doit naître. De l’autre côté, nous avons le peuple juif, qui lui possède la Parole de Dieu. Le Juifs savent d’une manière fiable que le Roi des Juifs doit être issu de David, et donc qu’il doit naître à Bethléem (Mt 2, 5-6 ; cf. Mi 5). Cela, ils le savent depuis longtemps, depuis toujours presque ; mais, les Ecritures ne disent pas quand le Messie doit venir. Ainsi, nous avons d’un côté les Mages qui savent quand, mais ignorent où naît le Roi des Juifs ; de l’autre, nous voyons les Juifs qui savent très bien où, mais qui n’ont aucun indice sur l’époque de la venue du Messie.
Avec leur demi-vérité, aucun des deux groupes ne peut accéder concrètement au Christ. Chacun se trouve démuni. Chacun se trouve riche d’une moitié et pauvre d’une moitié. Et la situation reste bloquée, jusqu’à ce que les mages osent enfin poser la bonne question : celle qui révèle et qui demande, celle qui permet un dialogue d’où peut sortir la mise en commun de deux sagesses, et qui permet ainsi de s’approcher de la Vérité. Mais vous voyez bien que pour découvrir où se trouve le Roi, les Mages doivent révéler qu’ils savent quand il vient. Quand on parle de la Vérité, il faut accepter de se découvrir, de se dévoiler un peu. Ils ne peuvent pas cacher les indices qu’ils ont, sans quoi ils ne pourront pas recevoir ceux qui leur manquent. Ils doivent dire : « Il vient de naître » pour entendre en réponse : « Il est de Bethléem ». Ils ont pris un risque, et même un grand risque, si on regarde la suite de l’histoire (Mt 2, 16). Mais il fallait prendre ce risque qui seul pouvait permettre de rassembler les deux indices et qui offrait dès lors à chaque partie de savoir ensemble où et quand le Messie viendrait.
On ne trouve donc le Christ que dans un risque, un dialogue, un partage. Il faut bien sûr chercher autant qu’on le peut les indices de la présence du Christ ; mais on ne peut pas les chercher de manière égoïste, comme si on pouvait par soi-même, sans rien dire, sans rien révéler, reconstituer l’ensemble de la Vérité. Pour accéder au Christ, il faut accepter de donner quelques uns de ses indices ; il faut partager les fragments de vérité que nous avons pour que, du partage lui-même, surgisse quelque chose d’inattendu, qui nous engage à aller plus loin.
Trop souvent, l’homme cherche sa vérité de manière individualiste, celle qui lui convient, sans se confronter aux autres ; et nous voyons bien qu’il finit par adorer cette petite vérité confortable qu’il s’est construite. Qu’il s’agisse d’une domination, d’un confort, d’une fortune, ou d’une bonne santé, nous voyons bien des hommes qui, ne pouvant par eux-mêmes se donner rien de plus haut, finissent par faire de leur petit sommet l’objet de leur adoration. Cela est très exactement ce que la Bible appelle de l’idolâtrie : adorer l’œuvre de nos mains, croire en sa vérité. La logique chrétienne n’est pas celle-là : il faut adorer celui qu’un autre nous indique ; il faut se prosterner devant celui qui nous est donné ; il faut croire en la Vérité qu’un autre nous révèle. Cela suppose beaucoup d’humilité, mais c’est précisément cette profonde humilité qui est le critère le plus authentique de la vérité.



[1] Le Concile Vatican II a rappelé solennellement l’infaillibilité de l’Eglise lorsqu’elle entend définir une doctrine concernant la foi ou les mœurs. Ceci est exprimé sans hésitation dans la Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium, n° 25. Il n’y a donc pas lieu d’amoindrir ce charisme ecclésial ou de distendre le lien de l’Eglise à la Vérité. 

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