vendredi 24 janvier 2014

3ème dimanche du temps ordinaire - année A

« Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière » (Is 9, 1 ; cf. Mt 4, 16). Quelles sont ces ténèbres qui couvrent le peuple en marche ? Il faut remarquer que ce n’est pas un homme qui marche dans la nuit ; c’est un peuple. Un homme qui marche seul dans le noir hésite, tombe, perd son chemin, tâtonne. Mais un peuple qui marche dans les ténèbres est comme une procession où chacun se guide à ce qu’il croit qu’on fait autour de lui. Si son voisin prend à droite, il suit ; et si ce voisin se trompe, il préfère se tromper avec lui pour ne pas rester seul. Et si tout le peuple se trompe, alors tous sont perdus. Jésus aura une phrase assez dure pour décrire cela : « ce sont des aveugles qui guident des aveugles ! Or si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un trou » (Mt 15, 14). Je crois donc que ces ténèbres dans lesquelles marche le peuple ne sont pas seulement une nuit extérieure ; car ainsi, il suffirait d’arrêter de marcher, d’attendre le lever du jour pour se diriger en pleine lumière. Non ; si le peuple marche, c’est que ces ténèbres ne passent pas. Ce sont des ténèbres intérieures, une cécité intime, un aveuglement spirituel. Et voilà bien ce qui est tragique : un aveugle qui se guide sur les pas d’un autre aveugle ne voit pas que l’autre est aveugle ; il ne peut que deviner, ressentir son mouvement et s’y conformer. Mais il ne sait pas qu’il se fie à quelqu’un qui n’est pas fiable, il ne comprend pas qu’il va à sa perte – et pourtant il y va très certainement.
Imaginez bien cette scène terrifiante : un peuple d’aveugles en marche, et chacun, étant aveugle et se sachant aveugle, ignorant que son voisin – sur lequel il se guide – est aussi aveugle, lui faisant confiance uniquement parce qu’il le pense clairvoyant. Regardez cette foule à la démarche erratique, inconsciemment désespérée ; voyez ces déplacements aléatoires et périlleux, cette horrible confiance grégaire et illusoire, ce désarroi inconnu et pitoyable.

Quelle est maintenant cette lumière qui se lève sur le peuple ? Si les ténèbres étaient un aveuglement, la lumière est également une lumière intérieure, disons une guérison de la lucidité. Il ne s’agit pas d’un soleil qui se lève régulièrement après la nuit ; il s’agit de gens aveugles qui se mettent à voir (l’évangile est rempli de cela ; Mt 9, 27-31 ; 11, 5 ; 12, 22, etc.). Et quelle est cette guérison, sinon la prédication du Christ : « Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche » ? (Mt 4, 17) Voilà quelle est cette lumière nouvelle qui brille dans les yeux de ceux qui étaient aveuglés. Par quoi étaient-ils aveuglés ? Par leurs erreurs, par leurs injustices, par leurs idolâtries, par leurs étroitesses d’esprits, par leurs scrupules légalistes… voilà ce qui rend aveugle. Par quoi sont-ils guéris ? Par un appel, par une demande du Christ ; ils sont guéris par sa grâce, par son amour, par son pardon, par sa miséricorde. Voilà ce qui est capable de guérir tout un peuple qui avait choisi les ténèbres intérieures et qui ouvre les yeux pour s’émerveiller de la bonté de Dieu.
La suite du récit nous parle de la vocation d’André et de Pierre, de Jacques et de Jean (Mt 4, 18-22). Là aussi, c’est de lumière qu’il est question. En commençant de constituer son Eglise, en commençant d’appeler à lui des disciples qui deviendront ensuite ses Apôtres, ses envoyés, Jésus fait une œuvre de lumière. En effet, au début de la Genèse, Dieu a créé la lumière par vocation, l’appelant à être : « que la lumière soit » (Gn 1, 3) ; à la suite de cet appel primordial de la lumière dans l’existence, chaque appel de Dieu est une lumière pour celui qui l’entend : « Venez » (Mt 4, 19). Dès la première page de la Bible, lumière et vocation sont une seule et même réalité.

Le monde dans lequel nous vivons n’est pas très différent de celui de l’époque de Jésus. Les ténèbres d’aujourd’hui ne sont plus tout à fait les mêmes, mais il y en a autant qu’autrefois. Les ténèbres d’aujourd’hui seraient plutôt : l’égoïsme, la pauvreté, l’angoisse, la dépression, la solitude, les familles qui se déchirent, les mensonges politiques, le relativisme ambiant, et toutes ces détresses humaines auxquelles la société n’est évidemment pas capable de fournir de réponse juste. Pour aider ceux qui sont aveuglés par leur désarroi à ouvrir les yeux, le Christ a institué son Eglise à qui il a donné la mission de briller. Pourvu qu’elle n’ait pas peur, qu’elle n’ait pas honte, pourvu qu’elle ne se cache pas « sous le boisseau » (Mt 5, 16), l’Eglise est une lampe qui fait rayonner la lumière de la bonté de Dieu. Et chaque chrétien, vous avez, dans l’Eglise, la mission d’être des petites lumières. Certes, Pierre et André, Jacques et Jean ont été des grandes lumières qui ont fait briller la lumière du Christ sur toute la terre. Ce n’est pas cela qui nous est demandé ; ce serait au-dessus de nos forces. Mais là où nous sommes, dans nos familles, au milieu de nos amis, chacun de nous peut, doit, être une lumière.
En appelant, en choisissant des hommes et des femmes pour continuer sa mission, pour annoncer l’évangile, le Christ – qui est « la vraie lumière » (Jn 1, 9) – nous a confié ce travail d’être pour ceux qui nous entourent une lumière d’encouragement, de réconfort, de soutien, une lumière de joie et de paix, une lumière de pardon et de vérité. « Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 14) dit Jésus. Il y a tout un peuple d’aveugles à guérir. Accueillons cette mission avec empressement et gratitude.


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