vendredi 8 novembre 2013

32ème dimanche - année C

Il y a entre les sept frères de la première lecture (2M 7) et le Christ de l’évangile (Lc 20, 27-38) deux points communs : tout d’abord, ils parlent de la résurrection et développent avec de bons arguments leur foi en Dieu qui est capable de donner la vie aux morts ; ensuite, tous seront confrontés à une mort violente, les sept frères au martyre, Jésus à la Croix. De telle sorte qu’on doit sans doute établir une relation entre ces deux aspects dont la présence conjointe ne peut être fortuite : on ne peut parler de la résurrection que si l’on est capable de donner sa vie sans craindre les souffrances ni les blessures, sans avoir peur de la persécution ni des tortures. Ceux qui ont condamné Jésus, les Sadducéens, et celui qui a condamné les sept frères, le roi Antiochus, ne sont pas capables de parler de la résurrection, tranquillement installés qu’ils sont dans une violence qu’ils entretiennent à leur avantage. Celui-là seul qui est persécuté et qui affronte l’adversité avec courage a le regard assez pur, l’intelligence assez habituée aux vérités de Dieu pour entrevoir le mystère d’une vie future.
Dans ce contexte, on peut aussi comprendre que la résurrection n’est pas simplement l’inverse de la mort. D’une manière trop simple on dit que mourir c’est passer de la vie à la mort et que ressusciter c’est passer de la mort à la vie – c’est vrai, mais ce n’est pas suffisant. Car, dans la Bible, la résurrection est bien plutôt le contraire du meurtre : subir un meurtre c’est être tué pour sa foi, pour la vérité, et faire de cette persécution accomplie dans la haine l’occasion d’un sacrifice célébré dans l’amour – « ceci est mon corps livré, mon sang versé » dira Jésus, indiquant dans la parole eucharistique cette charité inconditionnelle dont il aime chacun de nous. Qu’est-ce donc alors que la résurrection ? On peut dire que c’est, pour celui qui a offert sa vie alors qu’on voulait la lui prendre, la réponse de Dieu à son sacrifice. Un homme a reçu de Dieu la vie une première fois ; cet homme a ensuite lui-même offert sa vie par fidélité à la loi de Dieu ; Dieu, qui est le Vivant, lui donne alors la vie une seconde fois de manière définitive. La résurrection, c’est cela : l’accès à une plénitude de vie, au-delà de l’offrande ; en d’autres termes : le don par Dieu d’une vie plénière à ceux qui ont pris le risque de la fidélité. Ainsi, l’alternative n’est donc pas simplement entre mourir et vivre ; car lorsqu’on veut défendre sa vie, on ne vit pas vraiment, on survit tout au mieux, ce qui n’est pas très épanouissant. Les jeunes israélites mis à mort devant le roi Antiochus ont bien compris que l’homme a plutôt le choix entre, d’une part, persécuter et mourir, et, d’autre part, offrir sa vie et ressusciter.
Si nous sommes invités à la résurrection, cela comporte donc l’exigence de ne pas vivre égoïstement, en faisant des autres des moyens de son confort personnel – l’égoïsme est d’ailleurs une forme de persécution. Si nous sommes invités à la résurrection, c’est parce que nous avons été unis au Christ au jour de notre baptême, et que désormais notre vie est orientée dans la logique du don de nous-mêmes à nos proches, à l’Eglise, et à Dieu. Evidemment, pour la plupart d’entre nous, cela ne prendra pas la modalité violente du martyre, heureusement ; mais l’exigence n’est pas moindre. En servant nos frères quotidiennement, en renonçant à nous-mêmes quotidiennement au profit de notre famille, en prenant chaque jour notre croix à la suite du Christ, nous vivons la même chose, nous sommes unis au même amour, nous agissons avec la même fidélité dont les martyrs ont témoigné en un instant. Et la réponse de Dieu n’est pas moins belle pour nous que pour les témoins qui ont versé leur sang : la vie éternelle qu’il nous propose, la résurrection qu’il nous promet n’est pas une petite récompense, une compensation pour les malheurs de la vie. Elle est, bien plus profondément, la continuation de l’amour dont nous avons aimé nos proches. La résurrection, en définitive, c’est cela : continuer à aimer réellement ceux pour qui nous avons offert notre vie. La doctrine de la résurrection nous permet de comprendre que vivre, c’est aimer ; que vivre, c’est donner sa vie. Aussi paradoxal que cela paraisse, Jésus insiste ailleurs : Quiconque recherche la préservation de sa vie, la perd ; et quiconque risque de perdre sa vie, obtient un surcroît de vitalité (cf. Lc 17, 33).
Cela, les sadducéens de l’évangile, embourgeoisés dans leur intransigeance et leur réflexe de persécution, sont incapables de le comprendre. Leur affaire, ce n’est pas la vie, ce n’est pas l’amour ; leurs préoccupations, c’est le culte et la Loi de Moïse. C’est pourquoi ils sont capables de perdre leur temps à inventer des histoires invraisemblables pour prouver des choses impossibles. Ils vont chercher cette vieille légende de la femme aux sept maris qui traînait dans la littérature orientale (cf. Tob 3, 8) et pensent faire de ce conte absurde un argument contre la résurrection. Voilà bien leur méthode : partir de l’invraisemblable pour démontrer le faux. Jésus les interroge alors avec la seule question qui vaille : avec de telles sornettes, qui est leur Dieu ? Si le Seigneur d’Israël, qu’ils prétendent adorer, n’est pas le Dieu de la résurrection, c’est-à-dire : si Abraham, Isaac et Jacob sont définitivement morts, alors le Seigneur d’Israël n’est qu’un petit dieu infernal, une divinité comparable aux dieux souterrains du paganisme, un gardien du sous-sol. Mais pour comprendre cela, il faut être près à risquer sa vie dans la foi ; cela, Abraham, Isaac et Jacob l’ont fait, et ils sont vivants maintenant. Cela Jésus le fait, et il va mourir bientôt, et il mourra pour ressusciter. Cela les chrétiens le feront, martyrs et croyants, donnant à leur vie terrestre une valeur de charité qui est déjà vie éternelle. Mais les sadducéens, qui n’ont comme seul horizon que leur confort et leur violence, ne pourront jamais comprendre cela, et, dans leur ignorance, ils n’ont même pas l’impression qu’il leur manque quelque-chose.
Retirons de cette page d’évangile, pour nous-mêmes, que pour ressusciter, il nous faut donner notre vie. Certes, le don de nous-mêmes dans la charité, dans le témoignage, n’est jamais complet, absolu, sans retour. Avec toute notre bonne volonté, nos efforts pour nous mettre au service des autres sont marqués par des maladresses, des incompréhensions, des étroitesses, et on peut faire souffrir, on peut persécuter ceux qu’on aime, sans le savoir, sans le vouloir. Y aura-t-il alors une résurrection pour nous ? En faisant confiance à la miséricorde de Dieu (mais les sadducéens ne lui faisaient pas confiance), on peut dire avec espérance que notre résurrection sera ce même amour, aujourd’hui imparfait, purifié alors, illuminé, transfiguré. Et pour tous ceux qui ont aimé vraiment et qui ont offert leur vie dans la foi et la charité, la résurrection sera ainsi l’ultime offrande, l’amour définitif.


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