samedi 2 novembre 2013

31ème dimanche - année C

Zachée ne parvenait pas à voir Jésus « parce qu’il était de petite taille » (Lc 19, 3). Ce léger détail de l’évangile nous aide à comprendre d’une manière profonde ce que c’est que l’humilité. On croit que le succès dans la vie sociale consiste à se grandir, à s’élever, à se hausser. Et un défaut morphologique doit absolument être compensé par une volonté de réussite surdimensionnée. S’il n’est ni possible ni souhaitable de psychanalyser Zachée le petit, on comprend facilement qu’il était de ces hommes ambitieux qui attachent une haute importance à s’élever dans la société. Au gré de compromissions par très honorables, il a laissé de côté sa religion – lui aussi est fils d’Abraham (Lc 19, 9) – pour se mettre au service de l’occupant romain et il a bâti sa fortune personnelle en devenant collecteur d’impôts, puis chef des collecteurs d’impôts. Economiquement, c’est une belle réussite, une belle revanche sur sa petite taille ; mais voilà : quoique riche, Zachée reste de petite taille et lorsque Jésus passe, il n’est, malgré sa richesse, qu’un petit homme qui essaye de se frayer un chemin dans une foule de gens plus hauts que lui. Et comme il sait qu’il faut monter, toujours monter, il trouve un sycomore qui sera pour cette fois l’instrument de son ascension. Il grimpe sur l’arbre et maintenant il voit la foule d’en haut, et d’un beau coup d’œil condescendant il peut contempler tous ceux qui sont restés en bas : quelle réussite !
Mais c’est là, au cœur de son orgueil, de sa “folie des grandeurs”, que Jésus va venir bouleverser le petit monde de Zachée. Les premiers mots de Jésus retentissent comme quelque chose d’inouï, quelque chose que Zachée n’aurait jamais imaginé : « Zachée, descend vite » (Lc 19, 5). Ca, c’est vraiment une parole dont Dieu a le génie, qui vient totalement surprendre l’homme. L’homme voulait monter, monter jusqu’au ciel, et Dieu descend du ciel pour lui annoncer au contraire que l’important est de s’abaisser. « Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé » (Lc 18, 14) entendions-nous dans l’évangile de dimanche dernier. Jésus vient nous révéler une toute autre logique, que nous ne pouvions pas découvrir par nous-mêmes et qui qu’il doit nous apprendre : la logique de l’humilité.
Le point ultime de cette logique c’est la parfaite coïncidence de la plus extrême déréliction du Christ, mourant sur la Croix, et de son exaltation souveraine. « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12, 32). La Croix du Christ, ce bois atroce, est en même temps son extrême infamie et son triomphe le plus absolu. D’une manière paradoxale saint Paul dit qu’il ne se glorifie de rien, sinon de la Croix du Christ (Ga 6, 4). Comment peut-on se glorifier de l’humiliation de Jésus ? Cela n’a humainement pas de sens. Mais c’est là pourtant que le Christ nous appelle. Il nous voit surplombant les autres, essayant par tous les moyens de nous élever encore un peu plus : « Jusqu’où ne monterais-je pas ? ». Et devant nos efforts dérisoires, inutiles et vains, le Christ vient nous donner cet ordre inimaginable : « Descends vite ».
Aussi incroyable que cela puisse paraître, Zachée qui n’était aucunement préparé à une telle irruption de la logique de l’humilité dans sa vie, s’est laissé faire ; il a accepté. Il est descendu. Il ne faut pas croire que Zachée était un riche au cœur bon avant de rencontrer le Christ. Zachée n’était qu’un arriviste qui ne préoccupait que de sa place dans la hiérarchie sociale ; ça ne fait pas de lui un brigand, certes, mais ça ne fait pas de lui non plus un petit saint. C’est très précisément « un pécheur » comme le disent justement ceux qui s’étonnent (Lc 19, 7). Ce qui est extraordinaire c’est que la puissance de la parole de Jésus vient le toucher et terrasser en un instant toutes ses convictions terrestres. Dès cet instant, Zachée est complètement retourné et s’engage dans une nouvelle voie. De même que saint Paul, le pharisien, sera anéanti sur le chemin de Damas, en une seconde Zachée, le publicain, a été converti, retourné, changé du tout au tout.
Ainsi bouleversé, Zachée va enfin pouvoir rencontrer Jésus. Il cherchait à le voir et pensait que sa petite taille était un obstacle ; maintenant il le voit parce qu’il a été débarrassé de son ambition folle. Et alors il abandonne tout, il laisse tout. Il a trouvé le trésor, la perle fine, la vraie richesse et il vend tout ce qu’il a et le donne aux pauvres. Et désormais son trésor est dans le ciel, là où il ne pouvait pas monter tout seul.
Assurément, dans cette rencontre imprévue avec Jésus, Zachée a trouvé une joie authentique, une joie qu’il n’a jamais goûtée auparavant. Trop souvent, notre ambition nous rend tristes. En vérité, c’est un peu dommage de nous gâcher la joie à cause de nos désirs de grandeur, à cause de tous les petits calculs mesquins, les manœuvres politiques, les hypocrisies que cela impose. Demandons alors au Seigneur la grâce d’oser être heureux, humblement heureux. 

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