dimanche 14 avril 2013

3ème Dimanche de Pâques - année C


« Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5, 29). Cette phrase de saint Pierre est fondatrice de l’Eglise et, en ce sens, il faut bien la comprendre. En réalité, cette affirmation n’est pas totalement nouvelle. Saint Luc, l’auteur des Actes, était un Grec cultivé, qui avait lu Platon, et savait fort bien que Socrate, accusé par le tribunal d’Athènes, avait dit pour sa défense : « Citoyens, j’ai pour vous la considération et l’affection les plus grandes, mais j’obéirai au dieu plutôt qu’à vous ; jusqu’à mon dernier souffle, je continuerai de philosopher » (Apologie de Socrate, 29d). Les citoyens n’aimaient pas la philosophie dérangeante de Socrate ; les juges voulaient le faire taire. Bien que païen, Socrate avait conscience d’obéir à une volonté divine en enseignant la philosophie. C’est pourquoi il ne pouvait renoncer à sa charge, il devait continuer à débusquer les erreurs et les illusions des hommes. C’est pourquoi il est mort en obéissant à son dieu plutôt qu’aux hommes.
Toutefois, dans la bouche de saint Pierre, cette vérité socratique prend un sens nouveau. Car il y a une grande différence entre Jésus et Socrate : une fois Socrate mort, ses disciples ont continué quelques années à faire vivre sa mémoire ; ils ont laissé des ouvrages que nous lisons encore. Mais ils n’ont pas fondé une communauté qui durerait jusqu’à aujourd’hui. En revanche, saint Pierre, en disant qu’il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, a explicité l’acte de fondation de l’Eglise, en montrant que celle-ci n’a pas une origine simplement humaine. C’est bien le Dieu qui a ressuscité Jésus Christ qui fonde l’Eglise et, en lui obéissant, saint Pierre s’insère dans une communauté nouvelle et éternelle dont nous faisons partie aujourd’hui.
Il y a pourtant dans cette expression le verbe « obéir » que notre mentalité moderne n’aime pas trop. Obéir, c’est le contraire d’être libre – pensons-nous. En fait, nous avons une espèce de chimère, d’illusion de l’esprit quand nous imaginons que la liberté consisterait à n’obéir à personne : « ni Dieu ni maître » est un cri de désespoir, ce n’est pas une vérité. Il est irresponsable d’envisager ainsi la liberté comme une autonomie complète ; c’est un rêve fou de dictateur ou d’enfant gâté. Mais ce n’est pas une attitude humaine, adulte, digne. D’ailleurs, le plus souvent, se croire libre, c’est ignorer que nous sommes manipulés par la publicité, par les sondages, par les lobbies, par les moteurs de recherche. Et tous ceux qui profitent de ces intrusions dans nos consciences savent très bien nous faire croire que nous sommes libres, alors qu’ils décident pour nous ce que nous ne voudrions pas ; et nous ne nous rendons compte de rien. Nous croyons n’obéir à personne, alors que tous nos choix sont biaisés.
Car être libre, en vérité, c’est d’abord obéir à sa conscience. Cela suppose d’avoir une conscience morale et de la consulter lorsque l’on prend une décision. Être libre, c’est ensuite choisir librement quels critères, quelles valeurs notre conscience va intégrer dans ses choix. En effet, pour chaque question, il existe en général de nombreuses opinions qui ont toutes une part de vérité. La liberté de la conscience consiste à pouvoir choisir pour soi-même quelles sont les vérités que l’on retient comme fondatrices, essentielles, importantes ou secondaires. Et cela ne peut se faire en allant piocher ici ou là des opinions diverses et contradictoires, car alors, nos décisions risquent de tomber dans une incohérence périlleuse. Il est plus utile, et plus raisonnable aussi, de rattacher nos choix de conscience à une autorité stable, claire et explicite. La liberté consiste alors à obéir en conscience à l’autorité qu’on a librement choisie.
Saint Pierre nous dit que l’autorité à laquelle il a choisi d’obéir est Dieu plutôt que les hommes. Et c’est là que nous devons réfléchir attentivement. Pierre est-il libre ? Oui. Il est même doublement libre : 1° parce qu’il a librement choisi d’obéir à Dieu ; 2° parce que Dieu seul est capable de garantir la liberté de ceux qui le servent. Au contraire, ceux qui obéissent à des hommes mettent en péril leur liberté, de deux manières : 1° parce qu’on obéit à des hommes le plus souvent par crainte ou par intérêt ; 2° à cause du risque de manipulation que j’ai indiqué tout à l’heure. Ceci veut dire que, suivant l’exemple de Pierre, nous pouvons découvrir que l’obéissance à Dieu est la liberté suprême. Pour dire les choses plus précisément : en laissant notre conscience être éclairée par la grâce de Dieu et en obéissant ainsi à notre conscience nous devenons alors vraiment libres.
En disant cela, je ne prêche pas la révolte, la désobéissance à toute autorité humaine, vous le comprenez bien. Car obéir à Dieu, cela veut dire, le plus souvent, obéir à des hommes ; être libre, ce n’est pas se méfier de tout le monde. Dieu demande ainsi que les enfants, en conscience, obéissent à leurs parents, que les évêques, en conscience, obéissent au Pape etc. Mais pour certaines décisions plus importantes, pour certains choix délicats, obéir à Dieu cela veut dire surtout laisser sa conscience être guidée par l’évangile, sans se soucier des voix discordantes. Dans ces cas, assez rares, on peut être ainsi conduit à désobéir à une autorité qui imposerait un acte contraire à la liberté chrétienne. L’Eglise est la communauté de ceux qui, à la suite de saint Pierre, obéissent à Dieu en conscience plutôt que de se soumettre au conseil des prêtres du Temple de Jérusalem ; et il faudrait citer dans cette logique tous ceux qui ont préféré la liberté chrétienne à la compromission politique, parfois au prix de la prison (mais on est libre en prison quand on y est avec Dieu), parfois au prix de leur vie (mais on est libre dans la mort [Ps 88 (87), 6] en compagnie du Ressuscité).
Le Christ a fondé l’Eglise comme une communauté d’hommes libres. Il nous a donné un Esprit de liberté. Cet Esprit de liberté est source de force, de courage ; il nous invite à témoigner. « Nous sommes les témoins de tout cela, avec l’Esprit Saint que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent » – dit encore saint Pierre (Ac 5, 32). Être témoin, dans l’Eglise ancienne, c’est être prêt au martyre. L’Eglise à laquelle nous appartenons est la communion de tous ceux qui, en conscience, sont libres en Dieu. Il est parfois difficile d’être les témoins de cette liberté, parce que bien des hommes aimeraient qu’on leur obéisse plutôt que d’obéir à Dieu ; bien des gens aimeraient que nos consciences soient dociles aux sondages et aux publicités plutôt que de chercher dans l’évangile une lumière différente. La liberté de l’Eglise, qui est sa nature même, n’est pas négociable ; on ne peut marchander notre liberté spirituelle. A notre époque difficile, n’ayons pas peur d’affirmer que servir Dieu dans l’Eglise est, en conscience, la seule liberté véritable. 

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