dimanche 7 avril 2013

2ème dimanche de Pâques - Année C


Nous avons rendez-vous avec l’Apocalypse. Je ne parle pas de ce que prépare la Corée du Nord comme projet de fin du monde nucléarisée ; je veux évoquer plutôt la deuxième lecture que nous commençons d’entendre aujourd’hui et qui va nous accompagner pendant le temps pascal. Ce texte est très obscur ; et, pour cette raison, il est souvent mal compris.
Parfois on lit avec grande attention l’Ap, et on se laisse impressionner par les descriptions de catastrophes, des visions terrifiantes en se disant que tout cela est réel, que cela va nous arriver. On réagit avec crainte, comme si Dieu voulait nous faire peur. Cette manière de lire l’Ap est en fait assez incohérente. Jean a écrit dans une lettre : « Dieu est amour » (1Jn 4, 8 ; 16) ; comment imagine-t-on que celui qui a dit « Dieu est amour » aurait aussi écrit que Dieu nous prépare des catastrophes terrifiantes ? C’est impensable. Parfois on lit l’Ap en se laissant griser par l’imaginaire débordant, onirique de l’auteur. De nombreux illustrateurs, du XVIe s. au XXe s., ont exploité cette force des images jusqu’à peindre des choses impossibles, étranges. Le courant surréaliste a pu interpréter jusqu’au paradoxe les expressions de l’Ap pour en tirer une imagerie monstrueuse et cocasse, qui est assez loin en fait de l’intuition de saint Jean. Parfois encore on lit ce texte comme étant un itinéraire mystique aux frontières de la conscience, une sorte d’extase, de sortie de soi, comme si saint Jean avait écrit sous l’influence de stupéfiants. Et on risque alors de donner des interprétations plus ou moins ésotériques des symboles, des nombres et des noms évoqués dans l’Ap.
Plus simplement, plus sobrement, l’Ap est une révélation, un dévoilement – c’est le sens premier du mot grec apokalupsis (αποκαλυψις). La question est donc d’identifier ce que l’Ap dévoile : qu’est-ce qui est ainsi révélé ? La clef de lecture est en fait simple – et si vous recherchiez du sensationnel, vous risquez d’être déçus – elle nous est donnée dans le texte lui-même : « c’était le jour du Seigneur » ; il faut comprendre : c’était un dimanche. Ce qui est décrit dans l’Ap n’est ni une catastrophe finale, ni un poème surréaliste, ni un voyage aux frontières du réel ; ce qui est décrit dans l’Ap est une liturgie dominicale ; pour dire les choses simplement, l’Ap décrit la messe du dimanche à Patmos au Ier s. Ainsi, lorsqu’on nous parle d’un homme vêtu d’une longue tunique avec une ceinture d’or sur la poitrine, voyez que cet homme est décrit comme le prêtre qui représente le Christ ; il est revêtu des ornements dorés pour la messe. Lorsqu’on nous parle des sept chandeliers d’or, ces lampes sont les luminaires du sanctuaire. Lorsqu’on évoque la voix puissante « pareille au son d’une trompette », il n’est pas difficile d’imaginer un diacre oriental qui proclame une litanie tonitruante. Tout ceci, qui est décrit de manière extraordinaire, est finalement très habituel, en même temps que très grandiose : il s’agit du rite eucharistique lui-même. Le climat spirituel de cette Messe est présenté comme étant celui d’une persécution. Au Ier s., vous le savez, on disait du mal de l’Eglise. Les Chrétiens célébraient le culte, ils se rassemblaient chaque dimanche, mais leur assemblée se devait d’être discrète. Ceci explique peut-être qu’elle était particulièrement fervente. Dans un monde hostile, la foi est en effet plus forte, la prière plus intense, la liturgie plus belle ; et dans notre Occident décadent, nous ne retrouverons sans doute jamais plus le faste plein de noblesse, la solennelle simplicité des premières liturgies.
Mais, ce qui est le plus important, pour nous aujourd’hui, n’est pas tellement de savoir comment on célébrait la messe à Patmos au Ier s. La réalité eucharistique est bien la même, à Patmos au temps de saint Jean et aujourd’hui dans nos églises ; la forme extérieure de la liturgie a évolué et il est normal que les rites aient une histoire. Mais là n’est pas l’essentiel. Ce qui est le plus important c’est de comprendre que dans chaque messe du dimanche nous entendons le Christ proclamer sa Résurrection : « Je suis le Vivant ; j’étais mort, mais me voici vivant pour les siècles ». Il est pour nous tellement évident d’aller à la messe le dimanche que nous avons peut-être perdu cette vérité fondatrice : si nous allons à la messe chaque dimanche, c’est pour entendre le Christ proclamer qu’il est Vivant de la vie éternelle depuis le dimanche de Pâques. Chaque dimanche chrétien est un dimanche de Pâques. Chaque dimanche chrétien, le Christ se présente à l’Eglise pour lui dire : « j’étais mort, mais me voici vivant ». Chaque dimanche chrétien, l’Eglise doit proclamer au monde la Résurrection du Seigneur. C’est ce témoignage de la Résurrection qui, de dimanche en dimanche, est affirmé lorsque les Chrétiens se rassemblent. « Le jour du Seigneur a toujours été particulièrement honoré dans l’histoire de l’Église, à cause de son lien étroit avec le cœur même du mystère chrétien. En effet, dans le rythme hebdomadaire, le dimanche rappelle le jour de la résurrection du Christ. C’est la Pâque de la semaine, jour où l’on célèbre la victoire du Christ sur le péché et sur la mort » (Jean-Paul II, Dies Domini).
Cela nous fait comprendre que la messe dominicale n’est pas une cérémonie du souvenir (pour garder la mémoire de ce que Jésus a dit et fait) ; la messe dominicale n’est pas non plus un rassemblement de chrétiens (comme les membres d’une association prévoient des assemblées générales). La messe du dimanche est la rencontre liturgique de l’Eglise et du Ressuscité, de même que les pèlerins d’Emmaüs ont reconnu le Seigneur à la fraction du pain.
Nos vies sont marquées par des croix, des souffrances, des doutes, des angoisses, des persécutions peut-être ; si nous voulons que nos vies soient également soutenues par la Résurrection, la messe dominicale est le lieu où nous entendons proclamer le triomphe de la vie ; la messe dominicale est le lieu où nous recevons le Ressuscité dans sa parole et dans sa présence sacramentelle. Dans toutes nos morts, il nous est bon d’entendre, au plus intime de nous-mêmes, ces paroles qui résonnaient aux oreilles de saint Jean : « Sois sans crainte. Je suis le Vivant ». 

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