vendredi 6 mai 2016

7e dimanche de Pâques - année C


Jésus a-t-il prié pour le monde? Dans l’évangile de Jean, où le terme de “monde” (kosmos) semble péjorativement connoté, il n’est pas certain que l’attitude du Christ soit d’emblée positive. Nous savons que le monde entier gît au pouvoir du Mauvais (1Jn 5, 19): une telle réflexion n’est pas tellement encourageante. Le monde n’est-il pas ce qui est irrémédiablement perdu? Pour sauver l’homme, Jésus n’est-il pas venu l’arracher à ce monde de corruption et de vices? 

Au début de ce chapitre 17, dont nous avons lu un extrait aujourd’hui (Jn 17, 20-26), nous avons entendu Jésus répondre lui-même à notre question: Je prie pour eux [c’est-à-dire: pour mes disciples]; je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m’as donnés; car ils sont à toi (Jn 17, 9). La cause paraît entendue. Cette absence d’intercession, ce refus de prier doit pourtant être bien situé. Comment Jésus pourrait-il renoncer à prier, sinon parce que son Père le lui interdirait? Mais comment Dieu le Père pourrait-il rejeter une prière de son Fils? On trouve dans l’ancien Testament de tels commandements. Ainsi, le Seigneur déclare à Jérémie: Quant à toi, n’intercède pas pour ce peuple-là, n’élève en leur faveur ni plainte ni prière. Car je ne veux pas écouter, quand ils crieront vers moi à cause de leur malheur! (Jr 11, 14). Comment comprendre cela? Le fait que le prophète lui-même se taise alors qu’il devrait intercéder pour le peuple en proie à la détresse et à la culpabilité, ce silence de Jérémie appartient paradoxalement à ces gestes signifiants qui sont un témoignage. Est-ce que cela veut dire que Dieu a rejeté définitivement? Non, sans doute. Mais cela est une mise en garde très sérieuse: si Dieu n’accepte plus la prière de ses saints prophètes, c’est que le peuple s’est enfoncé dans une telle erreur qu’il faudrait plus que la supplication de Jérémie pour le sauver. Mais que peut-il y avoir de mieux que Jérémie? Le Seigneur fournit lui-même à son prophète la réponse : Même si Moïse et Samuel se tenaient devant moi, je n’aurais pas pitié de ce peuple-là!  (Jr 15, 1) Ni Jérémie, ni Samuel, ni Moïse ne peuvent prier pour le salut du peuple… N’y aura-t-il donc personne qui puisse faire entendre un appel à la miséricorde? 

Et voilà donc que, dès le début de cette prière sacerdotale de Jésus, nous l’entendons dire lui-même, avec sa souveraine autorité de Fils de Dieu: je ne prie pas pour le monde (Jn 17, 9). Jésus ne prie que pour ses disciples, pas pour les autres… Ailleurs il dira, pour refuser d’abord un miracle qu’il fera quand même: Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël (Mt 15, 24).

Et pourtant, dans le passage que nous avons entendu, Jésus se reprend, il complète, il ajoute : il ne prie pas uniquement pour ses disciples. Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi: Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé (Jn 17, 20-21). Jésus prend aussi dans sa prière, au-delà de ses disciples, ceux qui se laisseront évangéliser par eux. Et dans quel but Jésus fait-il cela? Pourquoi se soucie-t-il de ceux qui sont plus loin, de ceux qui viendront après, et qui accueilleront sa parole, même s’ils ne l’ont pas connu personnellement? C’est: pour que le monde croie (Jn 17, 21). Mais alors, Jésus prie aussi pour le monde! Jésus prie encore pour ceux qui accueilleront l’évangile, afin que le monde croie. 

Son refus initial était pédagogique: le monde doit comprendre que sa situation est mauvaise et sérieusement dangereuse. Jésus vient sauver ce qui était perdu (Lc 19, 10). Ce salut n’était pas une chose facile ou de peu d’importance: l’état du monde était presque désespéré et en refusant de prier tout d’abord, comme Jérémie avait été empêché d’intercéder, Jésus donnait un signe de cette gravité. Mais Jésus n’est pas venu pour condamner le monde, mais pour que par lui le monde soit sauvé (Jn 3, 17). Cependant, Jésus ne peut pas prier directement pour le monde qui est mauvais; mais il doit bien pourtant prier pour ce monde qu’il veut délivrer du mal. Aussi sa prière se fait-elle progressive: 1° pour ses disciples, 2° pour ceux qui recevront la parole de ses disciples, 3° afin que le monde croie. 

Aujourd’hui, nous appartenons au deuxième cercle de ceux pour qui Jésus a prié. Nous ne sommes pas des témoins oculaires de son ministère, de sa mort, de sa résurrection. Nous sommes de ceux qui ont accueilli un évangile qui nous a été transmis. Nous avons reçu la foi non par constat direct de la personne de Jésus, mais par des témoins fiables dont nous avons reçu l’enseignement. Et Jésus a prié pour nous. Mais si Jésus a prié pour nous, c’est afin que le monde croie. Il ne serait pas juste de nous réjouir de ce que Jésus ait prié pour nous et de délaisser ce pour quoi il a prié en notre faveur. S’il faut que le monde croie, c’est à nous de prendre aussi notre part dans le travail de l’évangélisation. Comment le monde croira-t-il si moi-même, pour qui Jésus a prié, je ne prends pas au sérieux mes responsabilités d’évangélisateur? Chacun verra ce qu’il lui reste à faire, en ayant du moins le réconfort d’avoir été personnellement porté dans la prière du Christ. 

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