jeudi 4 février 2016

5e dimanche du temps ordinaire - année C


Si on écoute un peu distraitement la 1ère lecture et l’évangile, on pourrait avoir l’impression que la vocation est une chose terrible. Isaïe dit : « Malheur à moi, je suis perdu » (Is 6, 5) ; et saint Pierre est saisi d’effroi : « Seigneur, éloigne-toi de moi » (Lc 5, 8). Cette idée selon laquelle l’appel de Dieu est une malchance est curieusement tenace. Etre choisi par Dieu pour une mission particulière serait comme un fardeau impossible, une sorte d’assurance d’être malheureux tout le restant de sa vie. Avec une belle éloquence (qu’on me pardonne cette longue citation hors de propos), un poète français faisait dire à un prophète du Seigneur :

« Que vous ai-je donc fait pour être votre élu ?
J’ai conduit votre peuple où vous avez voulu…
Pourquoi vous fallut-il tarir mes espérances,
Ne pas me laisser homme avec mes ignorances…
Hélas ! vous m’avez fait sage parmi les sages !
Mon doigt du peuple errant a guidé les passages…
Hélas ! je sais aussi tous les secrets des cieux,
Et vous m’avez prêté la force de vos yeux.
Je commande à la nuit de déchirer ses voiles ;
Ma bouche par leur nom a compté les étoiles…
Vos anges sont jaloux et m’admirent entre eux.
Et cependant, Seigneur, je ne suis pas heureux »[1].

« Hélas ! » semble ici résumer le mystère de l’appel. Chaque grâce, chaque talent que le Seigneur donne à son élu deviendrait ainsi une pénible charge, une responsabilité douloureuse. La vocation est alors interprétée comme une malédiction.
Vous avouerez que cette présentation est pour le moins étrange. Certes, sous la plume du poète, cela donne un beau morceau de littérature ; l’épuisement du prophète est mis en scène avec force. Mais, d’un point de vue spirituel, il est effrayant de penser que l’appel de Dieu soit un si grand malheur. Lorsque Dieu appelle un homme, lorsqu’il choisit quelqu’un, ce n’est pas pour le perdre, ce n’est pas pour l’accabler au milieu des tourments. Lorsque Dieu appelle un homme, c’est afin de mettre en œuvre son projet qui est de sauver tous les hommes. Ce projet de Dieu est donc une volonté de salut, de grâce, de bonheur. Dieu ne cherche jamais à nous rendre malheureux ; ce n’est pas pour nous faire souffrir qu’il nous a créés, mais bien pour que nous puissions partager son bonheur.

Il faut reconnaître pourtant que, celui qui accepte de la part de Dieu une haute vocation, doit bien s’attendre à quelques épreuves. Mais, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que si la vocation vient de Dieu, les épreuves, elles, viennent du monde, des hommes et de nous-mêmes. Lorsqu’Isaïe a commencé d’annoncer la parole du Seigneur, il a dû se heurter à tous ceux qui refusaient d’entendre les commandements de Dieu. Et cela n’a pas été facile ; les traditions juives nous disent qu’il a payé de sa vie son ministère prophétique. Il est mort martyre dans sa fidélité à proclamer la Parole. Saint Pierre également, n’a pas eu une vie facile. Il a dû d’abord lutter contre lui-même, contre son caractère bouillonnant et maladroit, généreux et lâche ; il lui a fallu passer de la trahison au repentir, et ce ne fut assurément pas simple. Puis, après la Résurrection, après la Pentecôte, il a eu la mission de gouverner l’Eglise, d’évangéliser jusqu’à Rome, pour finalement mourir dans les persécutions aveugles et cruelles de Néron. Certes, rien de cela n’a été drôle. Mais dans toutes ces vicissitudes, Isaïe d’une part, saint Pierre d’autre part, ont toujours trouvé en Dieu un soutien, un réconfort, une lumière. Je ne crois pas que l’un ou l’autre ait accusé Dieu en lui reprochant leur vocation ; au contraire, au milieu des difficultés, l’un et l’autre ont prié Dieu de les soutenir dans leur ministère.
Et cela vaut encore pour les prêtres, les moines, les religieuses d’aujourd’hui. J’entends dire parfois que la vocation serait une catastrophe. J’ai reçu une fois la confidence d’un jeune qui m’avait avoué qu’étant enfant il avait prié pour « ne pas ‘‘avoir la vocation’’ » (comme il aurait dit : « pour ne pas avoir la tuberculose »). Je ne sais si l’on doit dire qu’il a été exaucé ; ce que je sais, c’est que, n’étant effectivement devenu ni religieux ni prêtre, sa vie spirituelle ne s’en est pas trouvée tellement épanouie pour autant. A force de craindre leur vocation, certains passent à côté du bonheur.
Il est vrai qu’un homme ou une femme qui donne sa vie n’a pas une existence très confortable ; un prêtre (par exemple, mais il y a d’autres manières de donner sa vie) c’est, en général, un homme qui consacre beaucoup de son temps à écouter les reproches de ceux qui en veulent à Dieu, au Pape, à l’Eglise, au hasard, ou bien qui s’en veulent à eux-mêmes – et ce n’est pas très plaisant. Mais pour autant, la mission que Dieu a donnée au prêtre c’est d’apporter la joie, de donner le salut, de proclamer une parole capable de guérir, de libérer. Et dans cette vocation le prêtre rencontre heureusement des chrétiens fervents, des hommes de bonne volonté qui veulent vivre du bonheur de l’évangile. Ainsi, plus que les tracas ou les obstacles, c’est bien cette joie spirituelle qui définit la vocation. Il n’y pas de vocation confortable ; mais il n’y a pas non plus de vocation malheureuse. Et dans les difficultés, un prêtre, une religieuse, des parents chrétiens n’ont pas l’idée de reprocher à Dieu de les avoir appelés ; ils font plutôt monter vers le Seigneur une prière d’action de grâces, cette belle Eucharistie : « et nous te rendons grâce, car tu nous as choisis pour servir en ta présence »[2]. Ne nous laissons pas voler cette joie.




[1] Alfred de Vigny, « Moïse », in Poèmes antiques et modernes.
[2] Missel Romain, Prière eucharistique n° 2. 

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