vendredi 20 mars 2015

5ème dimanche de carême - année B

Quand on lit l’évangile de saint Jean un peu rapidement, on a souvent l’impression que Jésus ne répond pas à la question qu’on lui pose. Un interlocuteur fait une demande simple, et Jésus répond par un discours compliqué qui n’a pas de rapport évident avec la question. Et alors on se dit que cet évangile est incompréhensible, qu’on ne voit pas où Jésus veut en venir. On peut à la limite glaner quelques phrases qui ont, pense-t-on, plus de sens en elles-mêmes, hors de leur contexte, que dans la logique du récit qui nous échappe. Lire ainsi l’évangile n’est ni très sérieux, ni très profond. Dans Jn, quand on pose une question à Jésus, Jésus répond à la question. Sans doute pas de la manière qu’on attendrait, mais il répond. Dans l’extrait entendu aujourd’hui (Jn 12, 20-33), la demande est : « nous voudrions voir Jésus » (Jn 12, 21). A cette question, toute banale, Jésus apporte quatre réponses que nous allons scruter.

1ère réponse : « L’Heure est venue, le Fils de l’homme va être glorifié » (Jn 12, 23). Dans l’évangile de saint Jean, l’Heure désigne le moment de la Passion ; la Gloire désigne la mort sur la croix. La réponse de Jésus est donc que, ceux qui veulent voir Jésus doivent avoir la force intérieure, le courage spirituel de le contempler dans sa Passion – regarder Jésus sur la croix, regarder Jésus humilié, bafoué, torturé. Ce n’est pas très agréable, bien sûr, parce que cela nous renvoie à nos responsabilités : qu’a-t-il fait pour nous ? qu’avons-nous fait pour lui ? On préfèrerait regarder un Christ ressuscité, triomphant, un Jésus sans souffrance et sans stigmate. Mais non, à ceux qui veulent le voir, Jésus prévient qu’ils contempleront un crucifié.
2ème réponse : « Si le grain tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). On sait ce qu’est un grain de blé. Mais, si on le met en terre, on ne le voit plus. Comment peut-on le voir à nouveau ? Pour le voir à nouveau, il faut qu’il meure, qu’il germe et qu’il sorte de terre. Mais ce qui sort de terre n’est pas un grain de blé, identique à celui qui a été planté, c’est un épi ! De même Jésus sera placé, mort, au cœur de la terre. Son cadavre sera mis au tombeau. Comment verrons-nous Jésus alors ? Jésus va sortir de terre, libre, hors du tombeau, ressuscité ; cela, nous le savons, parce qu’on nous l’a répété maintes fois. Mais il y a peut-être quelque chose que nous n’avons pas remarqué : c’est que, désormais, Jésus ne restera plus seul. Il est mort seul ; seul, il a été dans le tombeau. Mais désormais, sorti de terre, il n’est plus seul : il porte des fruits. Le grain de blé meurt seul dans la terre, et il ressuscite comme un épi ; Jésus, enterré seul, ressuscite Eglise. Nous aimerions bien voir Jésus seul, Jésus sans son Eglise qui nous paraît parfois bien pesante, bien compliquée. Et pourtant c’est impossible. Le grain de blé mort que nous avions mis en terre, nous le voyons dans un épi nouveau ; le Christ mort que nous avons mis en terre, nous le voyons désormais dans l’Eglise qui est la présence visible de son corps ressuscité. 
3ème réponse : « Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui n’aime pas sa vie en ce monde, la garde pour la vie éternelle » (Jn 12, 25). Pour voir Jésus, il ne faut pas se regarder soi-même, il ne faut pas sans cesse se préoccuper de soi-même. Seul connaît Jésus, qui a perdu sa vie pour nous, celui qui perd sa vie pour lui. Seul connaît Jésus qui a aimé tous les hommes, celui qui aime tous les hommes. Seul connaît Jésus qui a été fidèle à Dieu son Père, celui qui est fidèle à Dieu notre Père. On ne peut pas voir Jésus avec des yeux remplis d’images de soi ou d’images du monde. Pour voir Jésus, il est absolument nécessaire de perdre sa vie, parce qu’il a perdu sa vie. Alors nous le verrons dans la vie éternelle, parce qu’en offrant sa vie pour nous, il a ouvert les portes de la vie éternelle. On ne doit pas être pressé de voir Jésus pour passer ensuite à autre chose. On ne faut pas être pressé de voir Jésus en ce monde. Lorsque nous verrons Jésus, nous ne verrons plus que lui ; nous ne nous verrons plus nous-mêmes, mais nous verrons la grâce de Jésus en nous ; nous ne verrons plus nos proches, nous verrons la grâce de Jésus en eux. Mais pour cela, il faut se perdre d’abord pour vivre vraiment.
4ème réponse : « Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur » (Jn 12, 26). Pour voir Jésus, il faut être son serviteur. En grec on dit qu’il faut être son diacre ; en latin, on dit : son ministre. On ne voit le Christ que si on le sert, et, en conséquence, quand on voit un serviteur du Christ, on voit le Christ lui-même. Non pas que le ministre soit lui-même le Christ, mais là où se trouve le ministre, là agit la charité du Christ. Hors d’une logique du service dans l’Eglise, il n’y a rien de chrétien. Il ne s’agit pas d’être simplement serviteur – remarquez bien – mais d’être serviteur du Christ : « mon diacre » dit Jésus. Cette voie de l’abaissement est infiniment exigeante : être le serviteur du Christ, de l’Eglise et de tous les hommes. Mais c’est comme cela que le Christ est aujourd’hui visible.

« Nous voudrions voir Jésus » : aurez-vous le courage de regarder un crucifié, défiguré et couvert de sang ? Saurez-vous reconnaître celui qui était mort, vivant dans son Eglise ? Aurez-vous la volonté de perdre votre vie de ce monde pour la vie éternelle ? Accepterez-vous d’être au service de l’Eglise ? La demande n’était pas illégitime, mais sans doute, ceux qui l’ont faite ne mesuraient pas bien jusqu’où elle les engageait. Chacun peut faire maintenant, dans le secret, l’examen de sa conscience : suis-je vraiment disposé à voir Jésus ?


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.