vendredi 13 mars 2015

4ème dimanche de carême - année B

Dans le passage entendu de la lettre aux Ephésiens (2, 4-10), par deux fois, Paul affirme avec force : « C’est par grâce que vous êtes sauvés » (Ep 2, 5 ; 8). Avant de bien comprendre la réalité bouleversante de cette prise de conscience, il faut peut-être reconnaître que si notre salut ne vient pas de nous, notre existence pure et simple ne vient pas non plus de nous. Paul le dit également : « c’est Dieu qui nous a faits ; il nous a créés » (Ep 2, 10).

Il y a là une vérité très profonde, dont tout homme, croyant ou non-croyant, peut avoir l’intuition : tout homme est capable de comprendre qu’il n’est pas l’auteur de son existence ; pas simplement parce qu’il a des parents, mais parce que sa vie (envisagée avec toutes les exigences morales que comporte le fait d’être vivant), sa vie ne lui appartient pas. Dès lors, tout homme peut reconnaître que vivre, c’est répondre à un appel à vivre. Pour dire autrement : pour moi, vivre, c’est recevoir la vie comme m’étant donnée. Un croyant identifiera l’origine de cette donation ou de cet appel : c’est Dieu ; un non croyant ne voudra pas nommer cette origine et restera dans l’hésitation – et cette attitude honnête est respectable, et aussi très difficile. Mais ce n’est pas tant la question. Bien sûr, Paul est croyant, et il identifie le donateur de la vie : « c’est Dieu qui nous a faits » (Ep 2, 10) ; cela seul un croyant le sait. Mais Paul suggère une autre question qu’un non-croyant pourrait aussi se poser : cette vie dont je ne suis pas la cause, où se déploie-t-elle ? Une tentation serait de répondre trop vite que nous existons dans le monde, et qu’il n’y a là rien que de très ordinaire, de matériel, d’explicable par les lois de la science sans qu’un Dieu intervienne. Mais dire que nous existons seulement dans le monde ne fait pas droit à l’infini que je pressens en l’homme. Peut-on vraiment réduire l’homme à son existence dans un monde de choses ? Dès qu’il porte en lui une certaine exigence spirituelle, l’homme voit bien que son intériorité est plus grande que tout ce qui existe dans le monde ; dès qu’il a conscience de la dignité humaine, l’homme voit bien qu’elle transcende le monde. Aussi, ce n’est pas dans le monde que je vis. Où donc ? Un non-croyant sera gêné par la question, ne parvenant pas à décrire comme réel le lieu de cette transcendance humaine dont il a pourtant une certaine conscience. Paul répond, comme croyant : « il nous a créés dans le Christ Jésus » (Ep 2, 10). En nommant Jésus, Paul indique un homme réel, dont l’existence est incontestable (même pour les incroyants). Et ce Jésus, dit Paul, est celui qui résume en lui toute existence humaine avec sa quête d’intériorité, toute dignité humaine avec sa valeur de transcendance. Tout homme qui prend conscience que sa vie lui a été donnée, et qui constate que le monde est trop étroit pour lui, peut donc se demander où il existe vraiment. Depuis que, dans l’incarnation, le Fils de Dieu s’est, en quelque sorte uni à tout homme[1], chacun peut considérer sérieusement cette hypothèse : n’ai-je pas été créé « dans le Christ » ?
Si donc nous n’existons pas par nous-mêmes, ni dans le monde (si vivre c’est répondre à un appel et si nous sommes créés dans le Christ), alors nous pouvons découvrir aussi, avec un peu de lucidité et d’attention, que notre existence est précaire, vulnérable et que si nous avons une responsabilité par rapport à notre existence, ce qui nous appelle à vivre également est responsable de nous. Dans une deuxième considération, nous devons aussi reconnaître que, si nous ne sommes pas la cause de notre existence, nous pouvons être la cause de notre destruction. L’homme n’a rien fait pour être, mais il œuvre parfois pour sa propre ruine. Aussi, l’homme peut-il s’émerveiller d’exister ; mais il doit s’émerveiller surtout d’exister encore, alors qu’il invente chaque jour ce qui pourrait le détruire. Alors que le mal fait son œuvre, et constatant que je suis complice de ce mal, que j’existe encore devrait m’émerveiller. Ignace de Loyola parlait à ce sujet d’un cri d’admiration[2]. Il est bouleversant de voir que le mal, avec son pouvoir de nuisance et de corruption, ne tient pas en échec le projet du Créateur. C’est par grâce que nous sommes créés ; c’est par grâce que nous sommes sauvés (Ep 2, 5 ; 8). « Nous avons reçu grâce après grâce » disait saint Jean (1, 16) : la grâce d’être créés dans le Christ ; la grâce d’être sauvés dans le Christ. Qui donc peut être fier d’avoir été créé ? Qui peut être fier d’avoir été sauvé ? « Personne ne peut en tirer d’orgueil » (Ep 2, 9) nous prévient Paul. Car en tout cela, c’est la bonté de Dieu seul qui s’exprime, et non quoi que ce soit qui viendrait de nos actes.
Rentrons un instant en nous-mêmes : prenons le temps de reconnaître ce qu’est, en nous, « le don de Dieu » (Jn 4, 10). Voyons que Dieu nous a créés dans le Christ, qu’il nous a sauvés dans le Christ, qu’il « nous a donné la vie avec le Christ » (Ep 2, 5). Au plus profond de notre conscience, cette présence du Christ est inscrite, que nous en ayons conscience ou que nous l’ignorions. Croyants, rendons grâce à Dieu de connaître ce salut, « par le moyen de la foi » (Ep 2, 8) ; et prions pour ceux qui ne croient pas : que Dieu leur donne le courage et la lucidité qui leur fera voir la présence du Christ dans leur vie.




[1] Concile Vatican II, Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n° 22.
[2] « esclamación admirative » (Ignace de Loyola, Exercices spirituels, 60). 

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