samedi 13 juillet 2013

15e dimanche du temps ordinaire - Année C

Est-il vrai qu’en Israël on répond toujours à une question par une question ? C’est ici ce que fait Jésus : un docteur de la Loi lui demande : « qui est mon prochain ? » (Lc 10, 29) et Jésus répond par une petite histoire qui s’achève par une autre question : « lequel des trois a été le prochain de l’homme qui était tombé entre les mains des bandits ? » (Lc 10, 36).
Il y a dans cette manière de faire une vraie sagesse. Le docteur de la Loi voulait piéger Jésus dans une réponse ; pour obtenir une réponse, le plus simple, en effet, est de poser une question et le piège se trouve dans la manière de formuler, d’orienter la demande. Le juriste scrupuleux voulait que Jésus lui présente une liste de tous ceux qu’il devait considérer comme ses prochains. Car il est facile de dire qu’il faut aimer son prochain ; mais pour savoir si je dois aimer telle ou telle personne concrètement, il me faut décider si elle est, ou non, mon prochain. Ce docteur de la Loi vit dans un système assez simple : il possède un répertoire de ses prochains et lorsqu’il rencontre quelqu’un, il le confronte à sa liste, et décide alors s’il doit aimer, ou non, cet homme. Inutile de dire que la plupart des prochains de ce légiste sournois devaient être eux aussi des docteurs de la Loi ; c’étaient certainement tous des fils d’Israël. L’amour de ce docteur de la Loi ne s’étendait aucunement au-delà d’un petit monde très restreint et un peu étriqué. Voilà donc ce que cet homme voulait obtenir : une énumération de personnes ou de catégories de personnes ; si la liste que lui aurait fourni Jésus était la même que la sienne, la discussion en serait restée là ; si elle avait différé de la sienne, il y aurait eu matière à polémique, à contestation, à accusation.
Mais Jésus est trop fin pour tomber dans un piège aussi grossièrement tendu. Jésus sait bien que s’il dit qu’il faut aimer les pharisiens, les sadducéens, les esséniens, les hérodiens, tous bons Juifs qui se haïssaient les uns les autres, mais aussi les stoïciens, les épicuriens, les cyniques, tous infâmes païens, et tous les hommes par-dessus le marché, il va au devant d’une embuscade. Et Jésus ne souhaite pas qu’on polémique au sujet de la charité ; c’est trop important pour être l’enjeu d’une dispute. Aussi, avec habileté, il se souvient qu’on peut répondre à une question par une autre question, et c’est ce qu’il fait. Et la question qu’il pose, lui, est déstabilisante, elle déplace la logique trop simple, faussement rassurante, du juriste : il ne s’agit pas de savoir si un tel appartient, ou non, à la liste de mes prochains ; il s’agit de reconnaître en tout homme, spécialement en celui qui est dans la détresse, quelqu’un dont je dois me faire le prochain. Il est trop confortable de décider qui je dois aimer et qui je peux me dispenser d’aimer en toute bonne conscience (voilà ce que souhaitait le docteur de la Loi) ; l’évangile nous suggère, nous invite, nous oblige à voir en tout homme quelqu’un dont je peux, dont je dois me faire le prochain, quels que soient par ailleurs son origine, sa situation sociale, ses opinions religieuses. Voilà pour l’enseignement moral.
Disons enfin un mot de la petite histoire qui permet à Jésus d’introduire sa question. S’il parle d’un Samaritain, c’est probablement parce que les Juifs de Jérusalem, bien pensants et fiers de leur Temple, le traitaient avec mépris : « Ne disons-nous pas justement que tu es un Samaritain et que tu as un démon ? » (Jn 8, 48). « Samaritain », dans la bouche d’un Juif, c’est une insulte, et c’est une insulte que Jésus a précisément entendue sur son compte. Aussi, en mettant en scène un Samaritain, Jésus se désigne lui-même avec le nom injurieux qu’on lui donnait. Le pauvre homme roué de coups est habituellement identifié avec l’humanité, blessée par le péché. Le sens de la parabole n’est donc pas seulement moral, il est aussi théologique. Cette petite histoire raconte, par des symboles, l’œuvre de salut que Dieu a entreprise : si le Fils de Dieu – aujourd’hui conspué comme Samaritain – n’avait pas pansé les plaies du pécheur roué de coups, laissé à moitié mort, où en serions-nous maintenant ? Si le Fils de Dieu avait refusé de se considérer comme le prochain de l’humanité blessée, nous serions aujourd’hui privés de l’évangile : sans foi, sans espérance et sans amour. Enfin, l’auberge est vue comme une image de l’Eglise. Si le Christ n’avait pas laissé une communauté où nous puissions faire preuve de bonté et de pardon les uns envers les autres, personne ne pourrait guérir de ce mal moral et spirituel qui est si douloureux.

Ainsi, l’enseignement éthique de cette parabole se fonde sur une vérité théologique d’une profondeur admirable : en nous approchant des autres, en leur témoignant de l’attention et de la bienveillance, nous reproduisons, à notre mesure, ce que le Fils de Dieu a fait en faveur de l’humanité. En nous faisant le prochain de ceux qui sont dans la détresse, nous rendons présente et active la charité même du Christ en faveur de tout homme. 

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