dimanche 31 mars 2013

Dimanche de Pâques


Qu’est-ce donc qu’être croyant ? Nous tous, réunis ce matin, nous sommes croyants – sinon, nous ne serions pas là, sans doute – mais en quoi croyons-nous ? en qui croyons-nous ? Il ne suffit pas de dire que nous croyons qu’il y a un Dieu qui serait là pour nous protéger des malheurs, nous préserver de la souffrance. Cette petite image, cette petite idole d’un dieu confortable et sécurisant ne tient pas longtemps. Nous avons médité vendredi les récits de la mort de Jésus : l’idée que Dieu serait une assurance contre la douleur ne correspond pas à ce que la croix du Christ nous a révélé.
Mais alors, en qui croyons-nous ? quelle est notre foi ? Il ne suffit pas non plus de croire qu’il y a un Dieu qui punit les pécheurs et récompense les saints. Dieu n’est pas simplement une justice finale qui viendrait régler les comptes au jugement dernier. En effet, sur la croix, c’est bien autre chose que Jésus nous a révélé. En mourant, Jésus n’a pas dit : Père, condamne-les, car ce sont des pécheurs. Il a dit : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34). Ainsi, il n’est pas du tout sûr que Dieu soit, en fin de compte, l’accusateur des coupables, le vengeur de tous les crimes.
Mais alors, quel est le cœur de notre foi ? Le cœur de notre foi n’est pas une idée de Dieu, ni même une idée sur Dieu. Le cœur de notre foi est un événement. Le cœur de notre foi est la réponse à cette question : que s’est-il passé le dimanche matin ? Il s’est produit cette chose étonnante : les disciples de Jésus, qui étaient affligés par sa mort douloureuse et injuste le vendredi à trois heures sont allés sur sa tombe pour se recueillir ; c’est un geste étrange, que nous faisons pourtant nous-mêmes. Et là, ils ont été bouleversés de voir le sépulcre ouvert, les linges en place, et le cadavre absent. Et les disciples ont assez vite compris qu’il n’y avait aucune explication humaine à ce tombeau ouvert, qu’il n’y avait pas de raison terrestre à ces linges en place, qu’il n’y avait pas de cause matérielle à l’absence du cadavre. Il n’y a qu’une pensée possible – loin d’être évidente, qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer – que Jésus, cet homme mort le vendredi, enfoui dans le sépulcre le samedi, est, de sa propre initiative, de sa propre autorité, vivant le dimanche matin. Si Dieu n’est pas celui qui a préservé Jésus de la souffrance, si Dieu n’est pas celui qui a puni les bourreaux de Jésus, Dieu est en revanche celui qui manifeste, dans la résurrection de Jésus, combien sa vie est plus puissante que nos morts.
Etre croyant, c’est cela : croire que Jésus était mort le vendredi – vraiment mort – et qu’il est vivant – vraiment vivant, vivant avec son corps – le dimanche matin et que cela n’est l’œuvre que de Dieu. Comprenons bien de quoi il s’agit : la résurrection, ce n’est pas être vivant dans le souvenir de ses amis, être présent spirituellement aux côtés de ses proches, comme on peut le dire d’un défunt dont la personnalité a été marquante. Le ressuscité n’est pas non plus une sorte de fantôme de conte fantastique ni un mort-vivant de film d’horreur. Plus important : la résurrection n’est pas non plus de la simple survie de l’âme, immortelle, tandis que le corps tombe en ruine. A l’époque de Jésus, tous les païens savaient déjà que l’âme est immortelle et si ce n’était que cela, l’apport de la foi chrétienne aurait été nul. La résurrection, c’est Jésus (Jn 11, 25), vivant avec son corps, son propre corps de chair, ce même corps qui était dans le tombeau sans vie la veille.

Mais il y a plus important encore, car la résurrection, qui concerne Jésus tout d’abord, concerne aussi tous les hommes qui partagent avec Jésus la même nature humaine faite d’un corps et d’une âme. Avant Jésus, à quelques exceptions près, Hénoch (Gn 5, 24), Elie (2R 2, 11), tous les hommes mouraient et laissaient sur terre leur cadavre. Ces quelques privilégiés de l’ancien Testament ne sont d’ailleurs pas morts et il est donc logique qu’on n’ait pas leur tombeau. Mais, voici l’essentiel : avant Jésus on pouvait, théoriquement, compter le nombre d’individus passés de vie à trépas, on pouvait compter les cadavres, on pouvait compter le nombre de morts, ces trois résultats coïncidaient car tous les défunts avaient laissé leur cadavre et étaient définitivement morts. Et voilà que ce dimanche matin, si on compte, d’un côté, le nombre des hommes passés de vie à trépas, et, de l’autre, le nombre de cadavres et le nombre de morts, on trouve cette chose stupéfiante : le nombre des trépassés est supérieur d’une unité au nombre des morts. L’humanité doit faire ce constat étrange : il manque un cadavre.
Et vous comprenez sans peine que si un homme est entré dans la mort pour en ressortir, si un homme a réussi à s’enfuir du tombeau, qui était pourtant la prison la plus définitive qu’on puisse imaginer, c’est que les autres vont suivre. Quand un détenu s’évade d’une prison, il part rarement seul ; c’est que la geôle est devenue une passoire. Et c’est bien ce qui se produit aujourd’hui : la mort est une prison ouverte ; il y a eu une mutinerie. Le chef de la bande est un certain Jésus, prince de la vie, condamné injustement à devenir l’otage de la mort. Mais ce prisonnier habile s’est laissé faire, il est entré dans la prison, pour, de l’intérieur, en déverrouiller les portes ; il est sorti en éclaireur et les autres défunts ne vont pas tarder à suivre.
Du point de vue de la mort, cela est une catastrophe ; c’est la ruine. La logique si bien rôdée depuis les origines de l’humanité est prise en défaut. Il manque un cadavre, c’est-à-dire : un défunt n’est plus un mort ; tout est mis sens dessus-dessous. Et il ne s’agit pas d’une image, d’une manière de parler ; il ne s’agit pas d’une grande idée pour dire « la vie est plus forte ». Il s’agit d’un fait, concrètement constaté, irréfutablement établi : il manque un cadavre ; il y aujourd’hui a un homme mort de moins qu’il n’y a d’hommes ayant décédé. Comptez-les : il y a un écart d’une personne. Et sur la base de cet écart entre le nombre des décédés et le nombre des prisonniers de la mort, la foi chrétienne affirme : « je crois en la résurrection de la chair ».
Et pourtant, nous continuons de visiter nos cimetières, et nos tombes familiales se remplissent d’année en année. Et à chaque enterrement, nous réaffirmons notre conviction que l’âme est immortelle (conviction que nous partageons avec la plupart des non-chrétiens) ; et nous affirmons aussi notre foi en la résurrection des corps (conviction qui relève spécifiquement de la foi chrétienne). Et nous ne voyons pas que les morts ressuscitent ; certes. Et pourtant, nous voyons, chaque dimanche des vivants qui n’ont pas peur de la mort, des vivants qui sont certains de ressusciter, des vivants qui n’ont pas besoin de voir eux-mêmes un mort sortir du tombeau, parce que cela est déjà fait et attesté par des témoins dignes de foi. Il ne reste plus qu’à attendre que les murs de la prison tombent définitivement ; mais nous avons déjà la certitude que la partie est gagnée. La mort ne se remettra pas de l’évasion de Jésus.
Qu’est-ce qu’être croyant ? C’est témoigner par notre présence, ce matin, que Jésus est ressuscité. Car, si nous ne voyons pas encore les morts ressusciter, nous voyons tous les chrétiens rassemblés et la conviction de chacun, ce matin, est moins qu’une preuve, mais plus qu’un indice que Jésus est vraiment ressuscité. La foi de chacun est un argument plausible, fiable, crédible, une affirmation de la défaite de la mort. Ayons le courage d’être les uns pour les autres des témoins de cette joie que rien, pas même la mort, ne pourra nous ravir (bénédiction solennelle de Pâques). 

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