Nous
avons rendez-vous avec l’Apocalypse.
Je ne parle pas de ce que prépare la Corée du Nord comme projet de fin du monde
nucléarisée ; je veux évoquer plutôt la deuxième lecture que nous
commençons d’entendre aujourd’hui et qui va nous accompagner pendant le temps
pascal. Ce
texte est très obscur ; et, pour cette raison, il est souvent mal compris.
Parfois on lit avec grande
attention l’Ap, et on se laisse
impressionner par les descriptions de catastrophes, des visions terrifiantes en
se disant que tout cela est réel, que cela va nous arriver. On réagit avec
crainte, comme si Dieu voulait nous faire peur. Cette manière de lire l’Ap est en fait assez
incohérente. Jean a écrit dans une
lettre : « Dieu est amour » (1Jn 4, 8 ; 16) ; comment imagine-t-on
que celui qui a dit « Dieu est amour » aurait aussi écrit que Dieu
nous prépare des catastrophes terrifiantes ? C’est impensable. Parfois on
lit l’Ap en se laissant griser par l’imaginaire
débordant, onirique de l’auteur. De nombreux illustrateurs, du XVIe
s. au XXe s., ont exploité cette force des images jusqu’à peindre
des choses impossibles, étranges. Le courant surréaliste a pu interpréter
jusqu’au paradoxe les expressions de l’Ap pour en tirer une imagerie
monstrueuse et cocasse, qui est assez loin en fait de l’intuition de saint
Jean. Parfois encore on lit ce texte comme étant un itinéraire mystique aux
frontières de la conscience, une sorte d’extase, de sortie de soi, comme si
saint Jean avait écrit sous l’influence de stupéfiants. Et on risque alors de
donner des interprétations plus ou moins ésotériques des symboles, des nombres
et des noms évoqués dans l’Ap.
Plus
simplement, plus sobrement, l’Ap est une révélation, un dévoilement – c’est le
sens premier du mot grec apokalupsis
(αποκαλυψις). La question est donc d’identifier ce que l’Ap dévoile :
qu’est-ce qui est ainsi révélé ? La clef de lecture est en fait simple – et si vous recherchiez du sensationnel, vous risquez d’être déçus –
elle nous est donnée dans
le texte lui-même :
« c’était le jour du Seigneur » ; il faut comprendre : c’était
un dimanche. Ce qui est décrit dans l’Ap n’est ni une catastrophe finale, ni un
poème surréaliste, ni un voyage aux frontières du réel ; ce qui est décrit
dans l’Ap est une liturgie dominicale ; pour dire les choses simplement, l’Ap
décrit la messe du dimanche à Patmos au Ier s. Ainsi, lorsqu’on nous
parle d’un homme vêtu d’une longue tunique avec une ceinture d’or sur la poitrine,
voyez que cet homme est décrit
comme le
prêtre qui représente le Christ ; il est revêtu des ornements dorés pour la
messe. Lorsqu’on nous parle des sept chandeliers d’or, ces lampes sont les
luminaires du sanctuaire. Lorsqu’on évoque la voix puissante « pareille au
son d’une trompette », il n’est pas difficile d’imaginer un diacre
oriental qui proclame une litanie tonitruante. Tout ceci, qui est décrit de manière
extraordinaire, est finalement très habituel, en même temps que très
grandiose : il s’agit du rite eucharistique lui-même. Le climat spirituel
de cette Messe est présenté comme étant celui d’une persécution. Au Ier
s., vous
le savez, on
disait du mal de l’Eglise. Les Chrétiens célébraient le culte, ils se
rassemblaient chaque dimanche, mais leur assemblée se devait d’être discrète.
Ceci explique peut-être qu’elle était particulièrement fervente. Dans un monde
hostile, la foi est en effet plus forte, la prière plus intense, la liturgie
plus belle ; et dans notre Occident décadent, nous ne retrouverons sans
doute jamais plus le faste plein de noblesse, la solennelle simplicité des
premières liturgies.
Mais,
ce qui
est le plus important, pour nous aujourd’hui, n’est pas tellement de savoir
comment on célébrait la messe à Patmos au Ier s. La réalité eucharistique
est bien la même, à Patmos au temps de saint Jean et aujourd’hui dans nos
églises ; la forme extérieure de la liturgie a évolué et il est normal que
les rites aient une histoire. Mais là n’est pas l’essentiel. Ce qui est le plus important
c’est de comprendre que dans chaque messe du dimanche nous entendons le Christ
proclamer sa Résurrection : « Je suis le Vivant ; j’étais mort,
mais me voici vivant pour les siècles ». Il est pour nous tellement
évident d’aller à la messe le dimanche que nous avons peut-être perdu cette
vérité fondatrice : si nous allons à la messe chaque dimanche, c’est pour
entendre le Christ proclamer qu’il est Vivant de la vie éternelle depuis le
dimanche de Pâques. Chaque dimanche
chrétien est un dimanche de Pâques. Chaque dimanche chrétien, le Christ se
présente à l’Eglise pour lui dire : « j’étais mort, mais me voici
vivant ». Chaque dimanche chrétien, l’Eglise doit proclamer au monde la
Résurrection du Seigneur. C’est ce témoignage de la Résurrection qui, de
dimanche en dimanche, est affirmé lorsque les Chrétiens se rassemblent. « Le jour du Seigneur a toujours été particulièrement
honoré dans l’histoire de l’Église, à cause de son lien étroit avec le cœur
même du mystère chrétien. En effet, dans le rythme hebdomadaire, le dimanche
rappelle le jour de la résurrection du Christ. C’est la Pâque de la semaine,
jour où l’on célèbre la victoire du Christ sur le péché et sur la mort »
(Jean-Paul II, Dies Domini).
Cela nous fait comprendre que la messe dominicale n’est pas une
cérémonie du souvenir (pour garder la mémoire de ce que Jésus a dit et
fait) ; la messe dominicale n’est pas non plus un rassemblement de
chrétiens (comme les membres d’une association prévoient des assemblées
générales). La messe du dimanche est la rencontre liturgique de l’Eglise et du
Ressuscité, de même que les pèlerins d’Emmaüs ont reconnu le Seigneur à la
fraction du pain.
Nos vies sont marquées par des croix, des souffrances, des
doutes, des angoisses, des persécutions peut-être ; si nous voulons que
nos vies soient également soutenues par la Résurrection, la messe dominicale
est le lieu où nous entendons proclamer le triomphe de la vie ; la messe
dominicale est le lieu où nous recevons le Ressuscité dans sa parole et dans sa
présence sacramentelle. Dans toutes nos morts, il nous est bon d’entendre, au
plus intime de nous-mêmes, ces paroles qui résonnaient aux oreilles de saint
Jean : « Sois sans crainte. Je suis le Vivant ».
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