« Je leur donne la vie
éternelle » (Jn 10, 28). Cette phrase toute simple, presque anodine en
apparence, est riche d’un sens spirituel très profond que je voudrais scruter
avec vous. Reprenons les mots les uns après les autres.
Tout d’abord le verbe « donner » :
qu’est-ce que donner ? D’une manière ordinaire, c’est l’acte par lequel
quelqu’un (le donateur) transfère gratuitement sa propriété sur un objet, en
l’offrant à quelqu’un d’autre (le donataire). Ceci paraît très simple. Il faut
cependant remarquer une vraie difficulté : l’acte de donner est très bref,
et une fois qu’il est accompli, il devient insaisissable ; le cadeau reste,
mais le donateur, lui, peut être oublié depuis longtemps. Prenons un exemple :
lorsque des grands-parents donnent un billet de cinquante euros à un
petit-fils, ce billet est normal, semblable à tous les billets qui sont en
circulation, indiscernable d’un billet gagné par le travail, d’un billet trouvé
par terre, ou d’un billet volé. C’est un billet de cinquante euros, rien de
plus. Si le petit-fils a de la reconnaissance, il se souviendra, au moment de
le dépenser, que ce billet lui a été donné et il exprimera alors sa gratitude
envers ses grands-parents, les donateurs. Mais si ce petit-fils est insolent,
il pensera simplement que ce billet est à lui, qu’il peut en faire ce qu’il
veut, et il oubliera de remercier les donateurs dont il se souvient à peine. Ainsi,
ce qui a été donné devient, une fois que le don a eu lieu, un objet comme un
autre et son nouveau propriétaire peut choisir d’être reconnaissant, ou pas.
Ensuite :
« donner la vie ». La vie n’est pas une chose, ce n’est pas un billet
de cinquante euros. Donner la vie, c’est l’acte des parents qui, dans un geste
d’amour, font advenir une existence nouvelle dans l’humanité. Celui qui reçoit
la vie, la reçoit en passant du non-être à l’existence. Qu’est-ce qui reçoit la
vie ? Rien, précisément, puisque avant de recevoir la vie, il n’y a rien.
C’est parce que j’ai reçu la vie que j’existe ; si je n’avais pas reçu la
vie, je n’existerais pas, tout simplement. Il y a encore autre chose : la
vie reçue est plus durable que l’acte de recevoir la vie. Être créé, c’est un
instant, une étincelle dans la vie d’amour des parents. Vivre, c’est toute une
durée qui s’épanouit de l’enfance à la vieillesse. Le plus souvent, lorsque les
parents meurent, les enfants restent en vie – lorsque c’est le contraire qui se
produit, c’est d’ailleurs une immense douleur. Pour autant, avoir reçu la vie,
oblige à conserver un certain lien avec les donateurs de la vie. Personne ne
peut vivre comme s’il n’avait pas de parents. Même un orphelin, même un enfant
dont les parents sont inconnus sait qu’il vient de l’amour d’un père et d’une
mère et il porte en lui-même une hérédité qui l’identifie ; les scientifiques
diraient : un patrimoine génétique. Cet homme peut n’être pas
reconnaissant envers ses parents, il peut leur en vouloir, mais il porte en
lui-même, qu’il le veuille ou nous, le souvenir toujours présent que c’est
d’eux qu’il a reçu la vie.
Enfin :
« donner la vie éternelle ». L’éternité est quelque-chose dont nous
n’avons pas l’expérience et qui est difficile à définir. Les premiers chrétiens
voyaient dans l’éternité la possession plénière d’une vie toujours présente.
L’éternité est donc, par définition, quelque-chose de vital : si la mort
est définitive, la vie seule est éternelle. Saint Jean explique aussi :
« la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, Dieu unique et
véritable, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17, 3). La vie éternelle
ne peut donc être que connaissance de Dieu et libre reconnaissance à Dieu pour
la vie reçue.
Les dons matériels
peuvent déboucher sur l’égoïsme ; ou peut pourrir un enfant à force de le
gâter. Le don de la vie peut-être un fardeau, si l’hérédité est pesante, si
l’histoire familiale est conflictuelle. Le don de la vie éternelle coïncide
nécessairement avec la plus belle et la plus heureuse gratitude.
Pour conclure, il faut
remarquer le sujet du verbe « donner la vie éternelle » :
« je ». En Grec, ce pronom est le plus souvent sous-entendu ;
lorsqu’il est exprimé, il indique une insistance. Dans ce passage, il est
exprimé. Jésus veut qu’on fasse attention : « celui qui donne la vie
éternelle, dit-il, c’est moi ». Car il n’y a pas d’autre manière de
recevoir la vie éternelle que de reconnaître le donateur. Ceux qui oublient que
Dieu seul est source de la vie éternelle, ceux-là comment pourraient-ils recevoir
de lui cette vie ? Oublier que Jésus est la source de la vie éternelle,
c’est refuser la vie éternelle, dit saint Jean.
« Je leur donne la vie
éternelle ». Ces quelques mots, trop simples, contenaient, vous le voyez,
un immense mystère qui nous invite à relire au plus intime de nous-mêmes ce
qu’il en est de notre reconnaissance envers Jésus, envers Dieu.
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