Lorsque le peuple est sorti d’Egypte, et
que pendant quarante ans, il a marché sur le sable du désert, le Seigneur, qui
l’accompagnait, a pris soin d’écrire sur de la pierre la Loi morale. Cette Loi
que Dieu a donnée à son peuple n’était pas une tyrannie de Dieu ; c’était
plutôt une pédagogie. Dieu est le père de son peuple, et il ne voulait pas
laisser son peuple tâtonner pour ce qui est le plus important. Pour comprendre
la vie, pour construire la paix, pour établir la justice, pour trouver le bonheur,
le peuple avait besoin d’aide. Et c’est précisément cette aide que Dieu a
donnée aux fils d’Israël. C’est cela le Décalogue.
Et dans cette Loi, Dieu a écrit sur le
rocher, sculpté dans le marbre : « Tu ne commettras pas
d’adultère » (Ex 20, 14). Ce commandement n’est pas une décision
arbitraire de Dieu. Si Dieu prend soin d’interdire l’adultère, c’est parce que
l’adultère détruit la confiance dans une famille. Le plaisir de la passion
amoureuse est capable d’obnubiler un homme, de le rendre aveugle. Pourtant, ce
n’est pas là que se construit le vrai bonheur ; dans le respect et la
confiance, le bonheur d’un couple se vérifie par la fidélité mutuelle. Et ce
bonheur de la fidélité est incommensurable avec le plaisir de la passion. C’est
pour cela que le Seigneur interdit l’adultère. Et comme cette Loi n’est pas
susceptible de changer, comme elle est valable pour tous les hommes de tous les
temps, Dieu a écrit sur le rocher, il a sculpté sur le marbre (Ex 31, 18). C’est une Loi
indélébile.
Et aujourd’hui, dans l’évangile, on
présente à Jésus une femme coupable d’adultère. Jésus sait que Dieu a écrit
dans la pierre : « Tu ne commettras pas d’adultère ». Jésus sait
également ce que Moïse a dit pour commenter cette Loi : il a ordonné de
lapider les adultères – les hommes comme les femmes, d’ailleurs (Dt 22, 22).
Mais il y a une différence entre l’écriture de Dieu et celle de Moïse. Ce que
Dieu a écrit est indélébile ; ce fut gravé sur la pierre. Ce que Moïse a
écrit est un commentaire, écrit avec de l’encre sur un parchemin. Ce n’est pas
rien, mais ce n’est pas sur le même plan que le commandement de Dieu.
L’autorité de Moïse est très grande, puisqu’elle lui vient du Seigneur. Mais
l’autorité du Seigneur lui-même est évidemment supérieure. Ainsi, il y a ce que
Dieu a écrit sur le rocher, et ce que Moïse a écrit sur le parchemin. Et ensuite,
d’une manière étonnante, il y a Jésus qui écrit sur le sable. Tous les enfants
le savent bien : quand on écrit sur le sable, cela ne reste jamais très
longtemps. Le vent et l’eau, les pas des promeneurs ont tôt fait d’effacer
l’inscription. On n’écrit donc pas sur le sable une parole définitive ; ce
serait absurde. Pourquoi Jésus écrit-il sur le sable ? On lui demande
d’écrire la sentence, la condamnation de cette femme. Dieu a écrit la Loi sur
le rocher, il l’a écrite de manière indélébile, parce que la Loi est pour notre
bien, pour que nous trouvions le bonheur. Mais le châtiment, lui, ne peut pas
être écrit sur le rocher, il ne peut pas être gravé de façon indélébile ;
parce que Dieu est plein de pitié et de miséricorde. Si la Loi a été sculpté dans
la pierre pour notre bien, la condamnation, elle, est écrite sur le sable, d’où
elle s’efface immédiatement ; et c’est encore pour notre bien. Aussi,
aujourd’hui, nous savons ce que Dieu a gravé sur les tables de pierre, nous
savons ce que Moïse a écrit sur le parchemin, mais nous ignorons quelle
condamnation Jésus avait griffonnée sur la poussière.
Mais il y a quelque chose de plus
étonnant encore. La parole définitive de Dieu, la Loi morale, a été écrite sur
le rocher ; le commentaire de Moïse a été écrit sur le parchemin.
Aujourd’hui, nous n’avons plus ni le rocher écrit par Dieu, ni le parchemin
écrit par Moïse, mais nous avons conservé le texte, dans nos Bibles. Jésus,
lui, a écrit sur le sable, et nous n’avons conservé ni son écriture, ni ce
qu’il a écrit. Et Jésus, ensuite, a parlé : « Moi, je ne te condamne
pas. Va et ne pèche plus ». Une parole, le son d’une voix, c’est encore
moins qu’un mot tracé sur le sable. Le mot écrit sur la poussière reste au
moins quelques minutes, avant d’être effacé. Mais une parole dite, elle
s’envole en un instant, elle ne reste pas. Et pourtant, cette parole que Jésus
a prononcée, cette parole qu’il n’a pas écrite, ni sur le sable, ni sur le
parchemin, ni sur la pierre, cette parole est définitivement gravée dans nos
cœurs. Cette parole de miséricorde, cette absolution, que seule la femme a
entendue – tous les autres étaient partis – cette parole qui révèle le pardon
que Dieu seul sait donner, cette parole est écrite dans notre conscience, parce
que c’est là le message central du Christianisme. La vérité définitive, la
vérité complète, la vérité libératrice n’avait pas besoin d’être écrite autre
part que dans nos cœurs.
Ce que Dieu a écrit sur le rocher –
« Tu ne commettras pas d’adultère » – est vrai ; c’est une
vérité austère, pédagogique, constructive, c’est un repère qui nous détourne
des mauvais chemins. Ce que Moïse a écrit sur le parchemin, qu’il faut lapider
les adultères, était vrai ; c’était une vérité pour son époque. Cette
vérité est incompréhensible aujourd’hui et le commandement de Moïse nous paraît
inhumain. Mais il est toujours difficile de comprendre le passé avec nos
critères modernes. Dans un monde de violence, Moïse a voulu contenir la
violence des hommes, sans parvenir à l’éliminer. La peine de mort prévue dans le
système judiciaire de l’ancien Israël est à situer dans ce contexte. Notre
époque, d’ailleurs, continue, dans certains pays, de pratiquer la peine de
mort. Nous n’avons pas à donner de leçons au passé. Néanmoins, cette sentence
de Moïse a été abrogée par la miséricorde du Christ. Ce que Jésus a écrit sur
le sable n’a été vrai que dans la mesure où cela devait être effacé – et
aujourd’hui nous n’en savons rien. Enfin, ce que Jésus a dit – « Je ne te
condamne pas. Va et ne pèche plus » – ce pardon qu’il a donné, cela est
vrai pour toujours et est inscrit à jamais dans nos cœurs. Ce qui était écrit
sur le rocher était pour mettre l’homme en garde contre le malheur ; ce
que Jésus a dit était pour révéler le visage d’un Dieu d’amour et de pitié. Et
aujourd’hui, lorsque nous lisons le Décalogue, lorsque nous lisons ce qui fut
écrit par Dieu sur le rocher, nous devons aussi nous souvenir de ce que Jésus a
dit. Il faut tenir ensemble ces deux paroles qui s’éclairent mutuellement. La
miséricorde de Jésus n’a pas abrogé ni relativisé le Décalogue. Jésus n’a pas
dit : « Tu peux continuer à pratiquer l’adultère ; le péché désormais
n’existe plus ; tout est permis » ; non, il a dit :
« ne pèche plus », confirmant ainsi plutôt la valeur de la Loi. Le
commandement de Dieu nous protège du péché ; l’absolution de Jésus nous
libère de la culpabilité : c’est bien le même projet de bonheur qui s’exprime
de ces deux manières complémentaires, et non contradictoires. Il faut donc
entendre, comprendre et accepter ensemble : « Tu ne commettras pas
d’adultère » et « Moi, je ne te condamne pas. Va et ne pèche
plus ».
En examinant votre conscience – ce qu’il
faut bien faire de temps en temps – vous pouvez faire cet exercice
spirituel : vous pouvez relire les dix commandements, sérieusement,
lucidement. Et après avoir scruté votre vie sur chacun de ces dix
commandements, vous pouvez méditer la parole du Christ : « Je ne te
condamne pas. Va et ne pèche plus » ; vous pouvez même en faire une
sorte de litanie entre chaque commandement. Alors, du plus profond de votre cœur
jaillira une lumière, une liberté face au péché et face à la culpabilité ;
alors le bonheur sera à portée de la main.
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