dimanche 17 mars 2013

5ème dimanche de Carême - Année C


         Lorsque le peuple est sorti d’Egypte, et que pendant quarante ans, il a marché sur le sable du désert, le Seigneur, qui l’accompagnait, a pris soin d’écrire sur de la pierre la Loi morale. Cette Loi que Dieu a donnée à son peuple n’était pas une tyrannie de Dieu ; c’était plutôt une pédagogie. Dieu est le père de son peuple, et il ne voulait pas laisser son peuple tâtonner pour ce qui est le plus important. Pour comprendre la vie, pour construire la paix, pour établir la justice, pour trouver le bonheur, le peuple avait besoin d’aide. Et c’est précisément cette aide que Dieu a donnée aux fils d’Israël. C’est cela le Décalogue.
         Et dans cette Loi, Dieu a écrit sur le rocher, sculpté dans le marbre : « Tu ne commettras pas d’adultère » (Ex 20, 14). Ce commandement n’est pas une décision arbitraire de Dieu. Si Dieu prend soin d’interdire l’adultère, c’est parce que l’adultère détruit la confiance dans une famille. Le plaisir de la passion amoureuse est capable d’obnubiler un homme, de le rendre aveugle. Pourtant, ce n’est pas là que se construit le vrai bonheur ; dans le respect et la confiance, le bonheur d’un couple se vérifie par la fidélité mutuelle. Et ce bonheur de la fidélité est incommensurable avec le plaisir de la passion. C’est pour cela que le Seigneur interdit l’adultère. Et comme cette Loi n’est pas susceptible de changer, comme elle est valable pour tous les hommes de tous les temps, Dieu a écrit sur le rocher, il a sculpté sur le marbre (Ex 31, 18). C’est une Loi indélébile.
         Et aujourd’hui, dans l’évangile, on présente à Jésus une femme coupable d’adultère. Jésus sait que Dieu a écrit dans la pierre : « Tu ne commettras pas d’adultère ». Jésus sait également ce que Moïse a dit pour commenter cette Loi : il a ordonné de lapider les adultères – les hommes comme les femmes, d’ailleurs (Dt 22, 22). Mais il y a une différence entre l’écriture de Dieu et celle de Moïse. Ce que Dieu a écrit est indélébile ; ce fut gravé sur la pierre. Ce que Moïse a écrit est un commentaire, écrit avec de l’encre sur un parchemin. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas sur le même plan que le commandement de Dieu. L’autorité de Moïse est très grande, puisqu’elle lui vient du Seigneur. Mais l’autorité du Seigneur lui-même est évidemment supérieure. Ainsi, il y a ce que Dieu a écrit sur le rocher, et ce que Moïse a écrit sur le parchemin. Et ensuite, d’une manière étonnante, il y a Jésus qui écrit sur le sable. Tous les enfants le savent bien : quand on écrit sur le sable, cela ne reste jamais très longtemps. Le vent et l’eau, les pas des promeneurs ont tôt fait d’effacer l’inscription. On n’écrit donc pas sur le sable une parole définitive ; ce serait absurde. Pourquoi Jésus écrit-il sur le sable ? On lui demande d’écrire la sentence, la condamnation de cette femme. Dieu a écrit la Loi sur le rocher, il l’a écrite de manière indélébile, parce que la Loi est pour notre bien, pour que nous trouvions le bonheur. Mais le châtiment, lui, ne peut pas être écrit sur le rocher, il ne peut pas être gravé de façon indélébile ; parce que Dieu est plein de pitié et de miséricorde. Si la Loi a été sculpté dans la pierre pour notre bien, la condamnation, elle, est écrite sur le sable, d’où elle s’efface immédiatement ; et c’est encore pour notre bien. Aussi, aujourd’hui, nous savons ce que Dieu a gravé sur les tables de pierre, nous savons ce que Moïse a écrit sur le parchemin, mais nous ignorons quelle condamnation Jésus avait griffonnée sur la poussière.
         Mais il y a quelque chose de plus étonnant encore. La parole définitive de Dieu, la Loi morale, a été écrite sur le rocher ; le commentaire de Moïse a été écrit sur le parchemin. Aujourd’hui, nous n’avons plus ni le rocher écrit par Dieu, ni le parchemin écrit par Moïse, mais nous avons conservé le texte, dans nos Bibles. Jésus, lui, a écrit sur le sable, et nous n’avons conservé ni son écriture, ni ce qu’il a écrit. Et Jésus, ensuite, a parlé : « Moi, je ne te condamne pas. Va et ne pèche plus ». Une parole, le son d’une voix, c’est encore moins qu’un mot tracé sur le sable. Le mot écrit sur la poussière reste au moins quelques minutes, avant d’être effacé. Mais une parole dite, elle s’envole en un instant, elle ne reste pas. Et pourtant, cette parole que Jésus a prononcée, cette parole qu’il n’a pas écrite, ni sur le sable, ni sur le parchemin, ni sur la pierre, cette parole est définitivement gravée dans nos cœurs. Cette parole de miséricorde, cette absolution, que seule la femme a entendue – tous les autres étaient partis – cette parole qui révèle le pardon que Dieu seul sait donner, cette parole est écrite dans notre conscience, parce que c’est là le message central du Christianisme. La vérité définitive, la vérité complète, la vérité libératrice n’avait pas besoin d’être écrite autre part que dans nos cœurs.
         Ce que Dieu a écrit sur le rocher – « Tu ne commettras pas d’adultère » – est vrai ; c’est une vérité austère, pédagogique, constructive, c’est un repère qui nous détourne des mauvais chemins. Ce que Moïse a écrit sur le parchemin, qu’il faut lapider les adultères, était vrai ; c’était une vérité pour son époque. Cette vérité est incompréhensible aujourd’hui et le commandement de Moïse nous paraît inhumain. Mais il est toujours difficile de comprendre le passé avec nos critères modernes. Dans un monde de violence, Moïse a voulu contenir la violence des hommes, sans parvenir à l’éliminer. La peine de mort prévue dans le système judiciaire de l’ancien Israël est à situer dans ce contexte. Notre époque, d’ailleurs, continue, dans certains pays, de pratiquer la peine de mort. Nous n’avons pas à donner de leçons au passé. Néanmoins, cette sentence de Moïse a été abrogée par la miséricorde du Christ. Ce que Jésus a écrit sur le sable n’a été vrai que dans la mesure où cela devait être effacé – et aujourd’hui nous n’en savons rien. Enfin, ce que Jésus a dit – « Je ne te condamne pas. Va et ne pèche plus » – ce pardon qu’il a donné, cela est vrai pour toujours et est inscrit à jamais dans nos cœurs. Ce qui était écrit sur le rocher était pour mettre l’homme en garde contre le malheur ; ce que Jésus a dit était pour révéler le visage d’un Dieu d’amour et de pitié. Et aujourd’hui, lorsque nous lisons le Décalogue, lorsque nous lisons ce qui fut écrit par Dieu sur le rocher, nous devons aussi nous souvenir de ce que Jésus a dit. Il faut tenir ensemble ces deux paroles qui s’éclairent mutuellement. La miséricorde de Jésus n’a pas abrogé ni relativisé le Décalogue. Jésus n’a pas dit : « Tu peux continuer à pratiquer l’adultère ; le péché désormais n’existe plus ; tout est permis » ; non, il a dit : « ne pèche plus », confirmant ainsi plutôt la valeur de la Loi. Le commandement de Dieu nous protège du péché ; l’absolution de Jésus nous libère de la culpabilité : c’est bien le même projet de bonheur qui s’exprime de ces deux manières complémentaires, et non contradictoires. Il faut donc entendre, comprendre et accepter ensemble : « Tu ne commettras pas d’adultère » et « Moi, je ne te condamne pas. Va et ne pèche plus ».
         En examinant votre conscience – ce qu’il faut bien faire de temps en temps – vous pouvez faire cet exercice spirituel : vous pouvez relire les dix commandements, sérieusement, lucidement. Et après avoir scruté votre vie sur chacun de ces dix commandements, vous pouvez méditer la parole du Christ : « Je ne te condamne pas. Va et ne pèche plus » ; vous pouvez même en faire une sorte de litanie entre chaque commandement. Alors, du plus profond de votre cœur jaillira une lumière, une liberté face au péché et face à la culpabilité ; alors le bonheur sera à portée de la main. 

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