jeudi 1 décembre 2016

2e dimanche de l'Avent - A


Quelle sorte d’illuminé est ce Jean-Baptiste? Voilà bien un homme étrange. Nous connaissons ses parents: Zacharie, un prêtre estimé, issu d’une lignée prestigieuse, qui a rempli dans le Temple de Jérusalem les fonctions liturgiques les plus solennelles (Lc1,8); Elisabeth, une femme discrète et pieuse. Tous deux sont irréprochables devant Dieu (Lc1,6) et, dans leur malheur de n’avoir pas d’enfants, ils ont obtenu par leurs prières (Lc1,13) d’être exaucés. Ce fils, grâce de Dieu en réponse à leurs supplications, c’est donc ce Jean. Alors qu’il aurait pu suivre consciencieusement la carrière sacerdotale comme son père, quelle folie l’a saisi pour qu’il aille vivre dans le désert? Etait-ce par un enfant aussi étrange que Dieu voulait récompenser la fidélité impeccable de Zacharie et d’Elisabeth? 

Qui donc est-il? Aller vivre dans le désert (Mt3,1), est en effet une décision bizarre, alors qu’il pouvait mener à Jérusalem une existence honorable et religieuse. Mais Jean (qui est prêtre par sa généalogie) est aussi prophète. Et comme les prophètes de l’ancien Testament, il accomplit de ces actions étonnantes. N’a-t-on pas vu Ezéchiel refuser de prendre le deuil de sa femme (Ez 24,16-27) pour annoncer la ruine de Jérusalem? Ne l’a-t-on pas vu se déguiser en voyageur (12,3-16) pour préfigurer l’exil à Babylone? N’a-t-on pas vu Jérémie faire pourrir sa ceinture pour dénoncer l’infidélité du peuple? (Jr13,1-11)… tout cela est très étrange, en effet, et les prophètes sont des gens bizarres – et ce n’étaient, chez Jérémie ou Ezéchiel, que des actes ponctuels, des mises en scènes provocatrices pour susciter de la part des hommes une question et délivrer un oracle. C’est un peu ce que fait Jean, mais dans une dimension nouvelle, parce que cela devient pour lui un mode de vie; son prophétisme occupe toute son existence. Son geste à lui n’est pas une petite parabole mimée; son geste, c’est de vivre dans le lieu le plus inhospitalier qui soit, vêtu de la manière la plus étrange (une peau de chameau) en se nourrissant des aliments les plus curieux (des sauterelles et du miel; Mt3,4). 

Pour Jean, qu’est-ce que le désert? qu’est-ce que ce mode de vie ascétique d’une frugalité effrayante? Son intention n’est pas facile à cerner. Pour mieux comprendre, on peut se laisser instruire par les premiers moines chrétiens qui ont choisi, à la suite de Jean, de vivre au désert. Ces ermites voyaient dans le lieu aride un cadre des plus propices à s’engager dans le combat spirituel (1). Pour lutter contre le mal, nous disent les saints de l’Antiquité, rien de tel qu’une privation de tout confort (ce n’est pas tellement une idée moderne, mais sans doute que plus grand monde ne se préoccupe aujourd’hui de lutter contre le mal). Jean se souvient également que c’est dans le désert que Dieu a d’abord appelé son peuple à la liberté en le faisant sortir d’Egypte. Aussi, vivre au désert, c’est lutter contre le mal, mais c’est aussi rencontrer Dieu, se faire attentif à sa parole; Dieu conduit son peuple au désert pour lui parler cœur à cœur remarquait le prophète Osée (2,16). Ecole de liberté, la vie au désert devient encore un témoignage solennel adressé aux hommes. De même que les premiers moines des déserts égyptiens étaient visités par toutes sortes de gens qui venaient chercher auprès d’eux conseils, réconfort et prières, de même, nous voyons que Jean-Baptiste attire à lui des pécheurs de toutes espèces. 

Jean voit en effet des Pharisiens et des Sadducéens venir à lui (Mt3,7); Luc ajoute qu’il y avait des publicains et des soldats (Lc3,12-14); Marc, plus enthousiaste encore, dit que «tous les habitants de Jérusalem» (Mc1,5) venaient se faire baptiser par lui. Et ceux qui venaient à lui n’y allaient pas pour entendre des compliments. Ce n’est pas par plaisir qu’on se laisse insulter: «Engeance de vipères!» (Mt3,7). Que cherchaient ces gens qui venaient consulter le Baptiste? Il y avait sans doute un peu de curiosité dans leur démarche: Jésus remarque qu’on allait «voir» Jean (Lc7,24-26), plus qu’on allait l’écouter. Ceux pourtant qui allaient le voir, devaient supporter de l’écouter, car il est une «voix qui crie» (cf. Mt3,3) – et une voix qui crie, cela ne se voit pas, cela s’entend. De la curiosité des yeux, ils passaient donc à l’écoute, puis à la remise en cause, à l’examen de conscience et à la conversion. 

Tout l’évangile ne pose en fait que cette seule et étonnante question: que faut-il pour qu’un homme se convertisse? Faut-il qu’il rencontre un Ressuscité? Parfois, cela ne suffit pas à donner la foi (Lc16,31). Faut-il qu’il assiste à un miracle? Mais pour qui refuse et s’endurcit, cela reste sans effet (Mt13,58). D’une manière originale et positive, ces récits concernant Jean-Baptiste nous montrent des gens qui se convertissent parce qu’ils ont rencontré un prophète libre. La liberté est un charisme prophétique; et l’austérité de la vie, la pauvreté volontairement choisie, fait partie de cette liberté prophétique qui peut annoncer de manière convaincante le message de l’évangile. Aujourd’hui encore, des hommes vont au désert, quittent le monde, font de leur ascèse un signe de liberté qui puisse convertir les autres. Les moines et les moniales qui vivent loin du monde et tout à Dieu sont les héritiers de Jean. Ils sont retirés et accueillants, silencieux et disponibles, discrets et ouverts pour entendre toutes les confidences, toutes les histoires, toutes les blessures de leurs frères qui vivent dans le monde. On ne rencontre jamais un moine ou une moniale sans repartir un peu meilleur; on ne fréquente jamais une abbaye sans se convertir un peu. Le mode de vie de ces hommes de la pauvreté et du silence est tellement frugal, tellement détaché des contingences matérielles que nous en sommes effrayés peut-être; leur liberté pour Dieu nous paraît vertigineuse. Nous ne sommes pas tous appelés à une telle consécration, bien sûr. Mais la parole de ces moines et moniales, leur écoute ne nous font que du bien. Ceux qui vivent ainsi, entièrement convertis, peuvent nous convertir nous aussi. Ils font pour aujourd’hui ce que Jean-Baptiste faisait afin de préparer le ministère de Jésus. Ceux qui, aujourd’hui, veulent lutter contre le mal et grandir dans l’intimité avec Dieu, ceux qui veulent accueillir Jésus, peuvent refaire l’expérience d’une telle rencontre avec la radicalité des saints; ils en sortiront changés, pour leur propre salut et pour le bien de tous. 

(1) pour ceux qui veulent approfondir: Antoine GUILLAUMONT, « Conception du désert chez les moines d’Egypte », in Aux origines du monachisme chrétien, 1979 ; p. 69-87. 

http://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1975_num_188_1_6077


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