Nous entendons aujourd’hui le début de l’épître de saint Paul aux Romains. Ce texte est, presque deux mille ans après sa rédaction, d’une actualité toujours urgente, plus que les autres lettres adressées à d’autres villes, étant donné la situation particulière de Rome dans l’Eglise catholique. En s’adressant pour la première fois aux chrétiens de la capitale impériale, Paul consacre les débuts si glorieux (et pourtant si méconnus) d’une très longue et belle (et compliquée) histoire de la foi.
A l’époque où Paul écrit (vers 56 ou 57 ap. J.C.), qu’est-ce que Rome? Et qui sont les chrétiens de Rome? Néron règne depuis 54 (et jusqu’en 68). Accédant au pouvoir suprême à l’âge de dix-sept ans, il fut d’abord conduit, éduqué, modéré par le philosophe stoïcien Sénèque qui eut sur lui, au début, une influence bénéfique. Les cinq premières années de son empire donnent de Néron l’image d’un bon administrateur. Les choses ne tarderont pas à devenir glauques et sordides, mais nous n’en sommes pas là.
Qui sont alors les chrétiens de Rome? Nous savons par les Actes des Apôtres qu’il y avait à la Pentecôte qui suivit la résurrection de Jésus (vers mai ou juin, 30 ou 33), présents à Jérusalem, des Juifs venus de Rome (Ac2,10). Rien n’interdit de penser qu’ils soient rentrés chez eux en ayant entendu la prédication de Pierre, reçu le baptême et porté au cœur de l’Empire les premiers éléments de la foi chrétienne. A cet événement fondateur, qui échappe largement à l’historiographie, il faut ajouter un second fait, mieux documenté: vers 49 ou 50 ap. J.C., l’Empereur Claude (qui règne de 41 à 54 ap. J.C.) expulse les Juifs de Rome (ce fait est connu par Suétone, et par saint Luc – Ac18,2) et cette diaspora modifie profondément l’équilibre religieux de la Ville. Il semble que des chrétiens subsistent à Rome, jusque dans la haute société et dans l’entourage même de Néron (Ph4,22), mais seuls sont qui sont des convertis du paganisme ont encore droit de cité. Vers 56-57 donc, quand Paul écrit, on peut faire l’hypothèse qu’il s’adresse donc majoritairement à des Romains chrétiens issus de la religiosité naturelle ou civique (d’anciens dévots de Jupiter ou de Bacchus, d’anciens initiés des mystères d’Eleusis) tandis que les chrétiens issus du Judaïsme (dévots de Moïse, pour ainsi dire) sont en train de revenir d’un bref exil et trouvent, à leur retour sur place, une Eglise très différente de celle qu’ils avaient quittée.
Un des enjeux de cette lettre aux Romains pourrait être, de la part de Paul, citoyen romain (Ac22,25-29), chrétien converti du Judaïsme, un appel aux pagano-chrétiens pour qu’ils accueillent avec bienveillance leurs frères judéo-chrétiens. Paul a le souci de la paix ecclésiale; il plaide en faveur de ses frères.
Dans ce prologue de la lettre, le mot le plus important est sans aucun doute «Evangile de Dieu» (Rm1,1). Qu’est-ce qu’un évangile? Il est toujours utile de rappeler la définition qu’en donne le grand exégète du III° siècle, Origène: «Un évangile est un discours contenant l’annonce d’événements qui, par les avantages qu’ils procurent, sont normalement un sujet de joie pour ceux qui les apprennent, du moment où ils en accueillent la nouvelle (…) Ou bien, un évangile est un discours qui comporte pour celui qui l’accepte la présence d’un bien; ou encore un discours annonçant la présence d’un bien attendu» (1). Pour des Romains, un Evangile est donc la proclamation officielle d’une nouvelle favorable: une victoire militaire, une naissance dans la famille impériale, un heureux présage obtenu lors d’un sacrifice solennel… Evidemment, en recevant un usage chrétien, le mot «évangile» se charge d’un sens nouveau auquel nous sommes habitués et qui ne nous surprend plus. Il en est venu à désigner ces quatre récits authentiques qui proclament la mort et la résurrection de Jésus. Mais, à force de réduire l’«Evangile» (au singulier) aux «évangiles» (les quatre), nous avons peut-être perdu quelque-chose de la force de ce mot. Pour Paul, qu’est-ce que l’«Evangile»? Il énonce ainsi le contenu de ce bon discours, ce bien présent qui réjouit les auditeurs: «les païens sont admis au même héritage, membres du même Corps, bénéficiaires de la même Promesse, dans le Christ Jésus» (Ep3,6). Pour Paul, l’«Evangile» est cette chose impensable que ni les Juifs, ni les païens, ne pouvaient imaginer: les uns comme les autres sont sauvés par la Pâque de Jésus et se trouvent unis en lui dans une fraternité nouvelle, dans une communion de foi et de charité. Certes, Jésus est «né de la descendance de David» (Rm1,3); mais «établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa Résurrection d’entre les morts» (Rm1,4) il conduit «à l’obéissance de la foi toutes les nations païennes» (Rm1,5). Qui donc est appelé? Abraham a été appelé, Moïse a été appelé, les Juifs ont été appelés, et les Romains aussi ont été appelés, si imprévisible que cela paraisse! Et quelle est la mesure de cet appel? A quoi sont-ils appelés? «à être saints» (Rm1,7)! Rien de moins que cela!
Dans quelques jours, l’heureuse annonce de la naissance de Jésus va retentir une fois encore. Nous allons redevenir en quelque sorte contemporains de ces Romains qui ont entendu au milieu du premier siècle cet «Evangile» qui n’annonçait pas le triomphe de quelque général ou l’avènement de quelque roi terrestre, mais de cet «Evangile de Dieu» qui proclame que tous les hommes sont frères, que nous sommes tous sauvés, et que Dieu nous appelle à la sainteté. Fêter Noël sans vouloir aimer tous les hommes, sans penser à devenir des saints serait vraiment, de notre part, une curieuse amnésie.
(1) ORIGENE, Sur l’évangile de Jean, I, 27; Sources Chrétiennes 120, le Cerf, Paris, 1966; p. 74-75.
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