vendredi 2 janvier 2015

Epiphanie

En écrivant aux chrétiens d’Ephèse (Ep 3, 2-6), Paul porte à leur connaissance le cœur du message évangélique, la vérité centrale qui l’a converti du Judaïsme pharisien au christianisme. Les termes qu’il utilise sont extrêmement précis ; il veut qu’on le comprenne bien. Il vaut la peine de définir quelques-uns de ces mots qui expriment le salut que Dieu vient nous offrir dans la fête de Noël.

L'adoration des mages, sarcophage chrétien, musée d'Arles (Bouches du Rhône)

« Vous avez entendu la dispensation de la grâce de Dieu, celle qui m’a été donnée en votre faveur » (Ep 3, 2). Paul parle d’une grâce qu’il a reçue ; mais Paul n’est pourtant pas le propriétaire de ce don de Dieu. Qui pourrait penser en effet recevoir la grâce pour son usage personnel, égoïste ? Paul sait bien que, s’il a reçu la grâce de la foi, cette grâce qui l’a foudroyé alors qu’il se rendait à Damas pour persécuter les chrétiens (Ac 9), ce n’est pas simplement pour qu’il soit sauvé, lui, tout seul. Cette grâce de la foi, il l’a reçue afin de devenir évangélisateur. Cette grâce qui lui « a été donnée en faveur », des hommes d’Ephèse, Paul l’a vraiment mise à la disposition de tous ceux qui devaient être sauvés en accueillant le message de l’évangile. C’est cela que Paul appelle la « dispensation » ; le terme grec oikonomia a donné notre mot français « économie ». L’économie est la loi de justice par laquelle chacun reçoit ce qui lui est dû ; cela est vrai (ou devrait être vrai) dans le domaine matériel, dans le monde. Mais cela est vrai d’abord dans le domaine spirituel, dans l’Eglise. Dieu a organisé l’Eglise selon une économie, confiée aux évangélisateurs, aux évêques et aux prêtres, afin que tous les hommes puissent recevoir la grâce d’entendre le message de la foi. Mais cela ne fonctionne que si chacun comprend bien qu’il n’a pas reçu la foi pour croire, mais pour aider les autres à croire. Tout homme a le droit d’entendre l’évangile. Chacun peut s’interroger : quelle part est-ce que j’accepte d’assumer dans cette économie de l’évangélisation ?
« Par révélation, il m’a donné connaissance du mystère » (Ep 3, 3). Paul a bénéficié d’une révélation ; le mot grec (apokalupsis ; d’où notre : apocalypse) possède une très grande intensité. L’homme qui ne connaît pas le Christ vit dans un certain aveuglement ; il voit son intérêt personnel, son confort, ses affaires, mais il refuse de voir la misère des autres. Il refuse de voir la part qu’il pourrait prendre à l’édification d’un monde meilleur. Certes, la générosité n’est pas le monopole des chrétiens, mais l’égoïsme est néanmoins plus répandu que la vraie solidarité. En ce qui concerne Paul, il vivait centré sur sa propre perfection morale, sur sa pratique du Judaïsme, sur la défense de sa conception religieuse – au point de souhaiter la mort de ceux qui quittaient la pratique de la loi de Moïse (Ac 8, 1). Et Jésus est venu lui ouvrir les yeux (Ac 9, 18) ; Paul a eu alors la révélation de ce qu’il refusait de voir. Il refusait de voir que Dieu aimait tous les hommes (il pensait qu’il n’était que le Dieu des fils d’Israël). Et voilà que le « mystère » lui apparaît : « les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus » (Ep 3, 6 ; cf. Ac 26, 16-18). Le mystère n’est pas une affaire fumeuse, un secret compliqué qu’il faudrait gardé méconnu ; le mystère est une vérité toute simple, lumineuse, une vérité tellement belle qu’il suffit d’ouvrir les yeux pour se laisser éclairer par elle – mais encore faut-il accepter d’ouvrir les yeux pour voir ! Le mystère, c’est que Dieu aime tous les hommes, qu’il « veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2, 4), qu’il demande à chacun d’aimer tous ses frères. Le monde antique vivait cloisonné : les Juifs d’un côté, les païens de l’autre ; les Grecs d’un côté, les barbares de l’autre ; les hommes libres d’un côté, les esclaves de l’autre. Et tous ces cloisonnements, ces murs entre les hommes, entretenaient la méfiance et la haine ; et la religion aussi contribuait à cette indifférence malveillante entre les hommes. Voilà donc le message que le Christ a confié à Paul, le mystère qu’il lui a révélé : il n’y a pas les uns à droite, les autres à gauche. Tous les hommes sont frères.
Ce mystère sera connu, dit Paul, « par l’annonce de l’évangile » (Ep 3, 6). Qu’est-ce que l’évangile sinon cette annonce de la fraternité universelle ? Qu’est-ce que l’évangile sinon cet appel à nous aimer les uns les autres ? Voilà ce dont Paul a été l’apôtre, le ministre, le héraut, depuis ce jour où il a vu le Christ. Si nous fêtons aujourd’hui l’épiphanie, ce n’est pas seulement pour nous souvenir que l’enfant Jésus a été vu par des Juifs (par les bergers, par Syméon et Anne) et par des païens (les mages de l’évangile ; Mt 2, 1-12). C’est aussi pour que nous comprenions que l’épiphanie, la manifestation plénière du Christ n’a pas encore eu lieu. Tant que tous les hommes n’ont pas conscience d’être frères, tant qu’il subsiste de la haine entre les uns et les autres, c’est que le mystère dont Paul était l’apôtre n’a pas encore rejoint son but universel. L’enjeu, évidemment, c’est « l’annonce de l’évangile ». Et chacun doit se demander : où est-ce que j’annonce l’évangile ? comment est-ce que j’annonce l’évangile ? L’épiphanie aux mages était une promesse, la préfiguration d’une épiphanie universelle qui n’a pas encore eu lieu et dont « je » suis responsable. Alors que dois-je faire pour que le Christ soit manifesté à tous les hommes ?
Nous savons comment saint Paul a pris au sérieux, en faveur de tout homme, la révélation du mystère dont il a bénéficié. Il ne serait sans doute pas inutile que nous nous mettions à son école.


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