vendredi 30 janvier 2015

4ème dimanche - année B

Pourquoi avons-nous besoin de prophètes ? Ne serait-ce pas plus simple si le Seigneur s’adressait à chacun de nous personnellement, nous révélait ainsi son amour, nous enseignait sa volonté, nous encourageait dans la voie du bien ? Pourquoi n’entendons-nous pas la voix de Dieu nous parler directement ? A cette question un peu naïve, nous avons dans le Deutéronome (18, 15-20) une réponse sans complaisance : c’est parce que nous avons dit : « Je ne veux plus entendre la voix du Seigneur mon Dieu » (Dt 18, 16). Ce n’est pas Dieu qui a voulu se taire, c’est nous qui nous sommes bouché les oreilles. Nous avons refusé d’écouter ce qu’il avait à nous dire. Et – plus incompréhensible encore – il nous donnait sa Parole pour que nous vivions par elle, et nous la refusons en prétextant : « Je ne veux pas mourir » (Dt 18, 16). Nous rejetons la Parole de Vie (1Jn 1, 1) sous prétexte qu’elle serait dangereuse pour nous, alors qu’elle seule peut nous conduire au vrai bonheur. Voilà ce que nous avons dit à Dieu.
Michel-Ange, Moïse (Saint Pierre aux liens - Rome)

Et voyez comme Dieu est bon, comme il est doux et aimable. Lorsqu’on dit à quelqu’un de se taire, celui-ci peut se mettre en colère, se mettre au contraire à crier. Ici, rien de tel. Dieu dit : « Ils ont raison, ils ont bien parlé » (Dt 18, 17). Dieu, que nous venons de rejeter, ne s’impose pas, ne nous accable pas, ne nous tient pas rancune. Il va inventer autre chose, moins efficace sans doute que sa Parole directe, mais compatible avec notre refus. Dieu invente les prophètes (Dt 18, 18). Qu’est-ce donc qu’un prophète ? C’est un homme qui, seul, entend la voix de Dieu, avec pour mission d’en donner connaissance au peuple. Evidemment, le prophète seul sait ce que Dieu lui dit ; les autres hommes n’entendent la Parole de Dieu que par ce que le prophète leur en fait connaître. La situation des hommes est donc défavorable : pour connaître la volonté de Dieu, ils dépendent totalement du prophète. Ils n’y ont pas accès eux-mêmes, et ils n’ont aucun moyen de vérifier si le prophète dit bien ce que Dieu a commandé. Cette situation défavorable correspond à leur refus premier. Dieu voulait parler à tout le peuple ; les hommes ont refusé ; Dieu parle maintenant à un homme qui, lui, parle à tout le peuple : c’est assurément moins bien, mais c’est mieux que rien.
Nous n’avons peut-être pas conscience de ce rôle du prophète lorsqu’on lit la Bible, parce qu’il est pour nous évident que ce qui est dans la Bible, transmis par les prophètes, est la Parole de Dieu. Mais représentons-nous ce que cela ferait si nous étions contemporains de Moïse : pour nous, la Parole de Dieu se confondrait exactement avec la voix de Moïse. Moïse est un homme comme tous les autres, mais sa parole est la Parole de Dieu. Je dois faire confiance à Moïse à tel point que j’accueille ses pensées comme les pensées de Dieu, ses mots comme les mots de Dieu, ses colères comme les colères de Dieu, ses émerveillements comme la joie de Dieu. Il me faut croire en Moïse par le même mouvement, de la même manière que je crois en Dieu (Ex 14, 31). C’est très exigeant. Toute relation à la Parole de Dieu passe par Moïse.
Le second prophète que Dieu a promis (Dt 18, 18), aussi grand et même plus grand que Moïse, est probablement Jésus[1]. Jésus était un homme, comme Moïse, et comme Moïse, il est le seul à qui Dieu parle directement. Le seul à connaître en tout la volonté du Père, c’est lui. Pourtant, je ne suis pas pour autant exclu de la connaissance de Dieu, car toute la mission de Jésus est de me faire connaître, par la prédication, ce que lui sait en direct. Car « personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler » (Mt 11, 27 ; cf. Jn 1, 18). Seul le Fils connaît ; moi je ne peut connaître que par le Fils. Dans ma connaissance de la volonté de Dieu, tout dépend de la parole de Jésus. Les commandements de Jésus sont les commandements de Dieu, les reproches de Jésus sont les reproches de Dieu, les encouragements de Jésus sont les encouragements de Dieu, les pardons de Jésus sont les miséricordes de Dieu. Toute ma relation à Dieu ne passe que par Jésus. Dieu ne s’adresse jamais à moi directement – cela nous l’avons refusé au départ – mais dans tout ce que dit Jésus, je suis tenu de reconnaître l’expression adéquate, authentique, complète de la volonté de Dieu.
Le rôle prophétique du Christ est aujourd’hui continué par les ministres et les baptisés dans l’Eglise. L’Eglise, ce sont les hommes à qui Jésus a révélé le Père et qui ont, comme lui, la mission de faire connaître au monde ce qu’ils savent. Ce n’est pas toujours très facile à admettre, car il y a là, de la part de l’Eglise, une prétention qui paraît exorbitante. Il s’agit de dire que la relation à Dieu ne peut se faire en dehors de l’Eglise ; notre connaissance de Dieu ne peut se passer du charisme prophétique de l’Eglise. Lorsque l’Eglise annonce quelque chose qui nous convient, nous sommes heureux de dépendre de son charisme prophétique. Mais lorsque l’Eglise tient une vérité dérangeante, cela est plus difficile pour le monde (et parfois pour les catholiques eux-mêmes) d’admettre qu’il y ait là une parole de bon sens et de sagesse. Lorsqu’un Pape – que ce soit Paul VI avec Humanæ vitæ (1968), Jean-Paul II avec Veritatis Splendor (1993) … – énonce une doctrine que le monde n’est pas encore prêt à recevoir, il faut reconnaître pourtant que c’est bien l’Eglise qui est prophète, c’est elle qui connaît Dieu et qui enseigne sa volonté.
Par définition, ce n’est pas le monde qui est prophète : il y a renoncé. Pour connaître et aimer Dieu nous dépendons donc d’abord de l’Eglise et de sa mission prophétique. Gardons-nous d’écouter les prophètes du monde, les anges de la publicité, les messagers des sondages bien-pensants, les caisses de résonance du mensonge, de l’angoisse et du soupçon. Car Dieu n’aime pas la présomption de ces faux prophètes (Dt 18, 20), et il vaudrait mieux ne pas mourir avec eux.




[1] Que la figure de Moïse annonce l’avènement du Christ est une vérité théologique évidente ; de nombreux passages de l’évangile l’attestent.
Toutefois, on doit signaler qu’une autre interprétation de Dt 18, 18 est possible, qui voit en Paul l’accomplissement de la promesse de Dieu. Le lien entre le Seigneur et Moïse (le législateur) serait alors comparable à la relation qui existe entre le Christ (ressuscité) et Paul (le héraut du salut par la foi). Le passage de la loi à la foi mettrait en correspondance Moïse et Paul, tandis que le Christ, Seigneur, occupe (dans le récit de la conversion ; Ac 9, etc.) la position du Seigneur d’Ex 3.
Si judicieuse qu’elle soit, nous ne pouvons développer ici cette hypothèse stimulante. 

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