La mission que Dieu
avait donnée à Jonas était perdue d’avance (Jon 3, 1-5 ; 10) :
Jonas devait menacer Ninive des châtiments de Dieu, tout en sachant très bien
que Dieu est plein de miséricorde et que sa bonté convertirait les païens de la
grande ville, et que, finalement, elle ne serait pas détruite. De quoi
aurait-il l’air, alors, ce Jonas ? Il doit crier partout : « Encore quarante
jours et Ninive sera détruite » (Jon 3, 4), alors qu’il sait très bien
que le Seigneur, dans sa bienveillance, ne fera aucun mal à la ville. Il doit
prêcher le châtiment pour que le châtiment n’ait pas lieu ; il doit
prêcher la justice implacable de Dieu pour laisser advenir la manifestation de
la miséricorde immense de Dieu. C’est une mission impossible. Et c’est bien
cela qui se produit : en voyant la conversion des habitants de Ninive, « Dieu renonça au
châtiment dont il les avait menacés » (Jon 3, 10). Car Dieu ne sait faire que cela lorsqu’il s’agit de châtiment :
renoncer. Tous les prophètes le disent ! Joël : « Déchirez votre
cœur, et non vos vêtements, revenez au Seigneur, votre Dieu, car il est tendresse
et pitié, lent à la colère, riche en grâce, et il renonce au châtiment » (2, 13) ; Jérémie, prophétisant au nom du
Seigneur : « Tantôt
je parle, à propos d’une nation ou d’un royaume, d’arracher, de renverser et de
détruire ; mais si cette nation, contre laquelle j’ai parlé, se convertit
de sa méchanceté, alors je renonce au
châtiment que j’avais résolu de lui infliger » (18, 7-8). Toute la
Bible ne dit que cela. Si l’homme est capable de condamner et de punir, s’il
lui arrive aussi de se condamner lui-même (c’est ce qu’on appelle la
culpabilité) et de se punir lui-même (c’est ce qu’on appelle l’enfer), Dieu,
lui, ne sait que pardonner (c’est ce qu’on appelle la grâce) et accueillir
(c’est ce qu’on appelle la vocation).
Cette vérité étonnante
nous montre que les idées de Dieu ne sont pas les idées de l’homme (cf. Is 55, 8-9). Doit-on, pour
autant, présumer de la bonté de Dieu ? Cette vérité de la miséricorde de
Dieu doit-elle nous faire mépriser notre responsabilité morale ? Certains
se disent un peu vite : Dieu pardonne toujours, alors je peux faire ce que
je veux, le bien ou le mal, et je ne crains rien. L’évangile (Mc 1, 14-20)
nous montre plutôt le contraire. C’est
précisément parce que sa miséricorde est infinie, que je dois craindre
d’offenser un Dieu qui est si bon pour moi. La miséricorde de Dieu est en
effet une bonne nouvelle, « la bonne nouvelle », mais cette bonne
nouvelle ne me laisse pas faire indifféremment le bien ou le mal. Cette bonne
nouvelle m’invite à la conversion : « Convertissez-vous et croyez à la Bonne
Nouvelle »
(Mc 1, 15) dit Jésus. « Convertissez-vous » – Pourquoi faut-il se
convertir ? Parce que Dieu punit ? Parce qu’il veut détruire le
monde ? Non ! C’est précisément le contraire : il faut se
convertir parce que Dieu pardonne. « Croyez à la Bonne Nouvelle » – Quelle est cette
bonne nouvelle ? Est-ce qu’il est désormais possible de faire ce qu’on
veut ? Est-ce que tout est permis ? Non ! C’est précisément le
contraire : la bonne nouvelle, c’est que Dieu pardonne et que, donc, il
faut se convertir.
Beaucoup de gens rêvent
d’une vie où tout serait permis. Ils croient que si tout était permis, ils
pensent que s’il était interdit d’interdire, alors ce serait le bonheur
parfait. Ils ne se rendent pas compte que si chacun pouvait faire impunément le
mal comme le bien, le monde serait bien pire. Ce serait un lieu de jalousie,
d’égoïsme, d’orgueil, et finalement un lieu de haine et de solitude. Mais cela
ce n’est pas le paradis ; cette solitude désespérée engendrée par une liberté
absolue, cette jungle où chacun cherche son plaisir individuel sans souci de
personne d’autre, c’est cela que la tradition spirituelle désigne comme un enfer.
Ce serait vraiment une très mauvaise nouvelle que tout soit permis.
Alors il faut des
prophètes et des hommes de Dieu qui crient sans cesse : « convertissez-vous » ; il faut aussi
que ces prophètes montrent l’urgence de la conversion : « quarante
jours »
dit Jonas ; « les
temps sont accomplis
– dit Jésus – le
Règne de Dieu est tout proche » (Mc 1, 15). Il n’y a pas de temps
à perdre. Pourquoi ne faut-il pas perdre de temps ? Parce que la
catastrophe est imminente ? Parce que c’est bientôt la fin du monde ?
Non ! C’est précisément le contraire : il ne faut pas perdre de temps parce que la miséricorde de Dieu est à
l’œuvre dès aujourd’hui. C’est aujourd’hui que la bonté de Dieu nous
interpelle, nous exhorte et nous invite. N’ayons pas peur de Dieu, « car il est
bon »
(cf. Ps 106, 1 ; 107,
1 ; 118, 1 ; 29 ; 136, 1) ; et parce qu’il est bon, ne
mettons pas de retard à nous convertir ; le salut nous est donné,
maintenant et ici-même.
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