Sainte Marie du Trastevere (Rome) |
Le récit de la vocation
de Samuel (1S 3, 3-10) est particulièrement émouvant. L’auteur biblique
nous décrit ce qui se passe dans la conscience de cet enfant, tellement jeune
qu’il n’est pas encore allé (si j’ose dire) au catéchisme (1S 3, 7), qu’il
ignore tout au sujet de la foi. Malgré son manque d’instruction religieuse, le
petit Samuel possède une conscience pure et cette conscience est le sanctuaire
où Dieu lui parle. Mieux que dans un édifice de pierres, mieux que dans le
temple de Silo (1S 1) où Samuel réside et où Dieu également est supposé habiter
(cf. Jr 7), c’est dans son
âme que le juste peut rencontrer le Seigneur présent ; c’est dans un cœur
pur (cf. Mt 5, 8) que le
Seigneur se révèle. Et c’est dans ce dialogue intérieur entre Dieu et Samuel
que nous sommes introduits, nous qui avons aussi une conscience où Dieu nous
parle.
Samuel est un enfant
réaliste, qui se méfie de lui-même, de ses illusions, de ses faux désirs, qui ne
se laisse pas entraîner par la parole reçue. C’est là l’un des grands paradoxes
de la vocation : pour être authentique, un appel qui retentit dans l’âme
doit être authentifié par une autorité. Ce n’est pas la voix entendue qui
constitue la vocation de Samuel ; c’est la confrontation de cette voix au
discernement du prêtre Héli (1S 3, 5) qui permet d’affirmer que l’appel
vient réellement de Dieu (1S 3, 8-9). La chose est curieuse, car ce qu’on
sait par ailleurs de cet Héli n’est pas très édifiant ; il était un
mauvais prêtre, lâche (1S 2, 11-36), acariâtre, aux jugements hâtifs (1S 1,
13-14). Et pourtant, malgré sa consternante médiocrité spirituelle, Héli est
l’interprète accrédité par Dieu pour confirmer la vérité de la vocation
prophétique de Samuel. Evidemment, il aurait mieux valu pour tout le monde que
Héli ait été un bon prêtre ; mais Dieu ne renonce pas à agir, il ne
renonce pas à se révéler, quand bien même ses ministres sont défaillants. Sa
grâce n’est pas tenue en échec par les fautes des hommes – fussent-ils officiellement
prêtres.
Le récit de la vocation
des disciples (Jn 1, 35-42) procède de même. La vocation d’André et de
l’autre disciple passe par la parole de Jean Baptiste : « Voici
l’Agneau de Dieu » (Jn 1, 36) ; ils sont ceux qui ont
« entendu la parole de Jean » (Jn 1, 40). De même la vocation de
Pierre passe par l’interpellation d’André : « Nous avons trouvé le
Messie » (Jn 1, 41). Jésus n’appelle pas directement ses premiers
disciples. Il laisse une parole d’homme résonner d’abord aux oreilles de ceux
qu’il choisit. Lorsqu’il a convié Simon-Pierre, André n’était pas encore le
délégué à la pastorale des vocations ; il était à peine disciple,
certainement pas apôtre. Et pourtant, c’est par cette invitation fragile, peu
consciente, mal éclairée que Jésus a attiré à lui celui qui serait le chef des Douze.
André devait être hésitant en expliquant à Simon qu’il connaissait le
Messie ; son enthousiasme, bien réel mais peu raisonné, devait sembler
contestable. Mais Jésus n’a pourtant pas renoncé à passer par le ministère
d’André pour ‘‘recruter’’ Pierre. Et Pierre est venu.
Ces récits de la
vocation de Samuel, d’André, de Pierre, nous permettent de saisir un aspect
décisif du mystère de l’Eglise : l’expérience
chrétienne fondamentale est que Celui qui parle au cœur de la conscience est
aussi Celui qui parle par les ministres de l’Eglise. Pour les prêtres,
c’est une exigence redoutable : quelle délicatesse, quelle bienveillance
cela suppose ! Il faut que le Saint Esprit soit sans cesse agissant pour
réparer les inévitables maladresses des ministres. Mais ce n’est pas le plus
important ; ce qui compte surtout c’est que chaque chrétien a une
conscience, et que chaque chrétien, en consultant sa conscience, entend Dieu
qui lui parle – non par un langage bruyant, ou autoritaire, mais par des inspirations
très délicates, par des inclinations intimes sereines, heureuses et profondes.
Pourtant, malgré la sincérité de l’écoute, le chrétien ne peut décider par lui
seul de sa vocation. Ce qu’il entend de Dieu, en son cœur, il doit l’exprimer,
le présenter, le soumettre à l’Eglise. C’est bien la parole d’un évêque qui
fait d’un ordinand un prêtre ; le séminariste est celui qui entend l’appel
de Dieu dans son âme, mais qui reçoit[1]
sa vocation par la parole de son évêque, au jour de l’ordination. De même, une
vocation au mariage procède d’un appel entendu en conscience : Dieu, dans
la délicatesse d’un sentiment amoureux, éveille chez un homme et une femme le
désir de fonder un foyer chrétien. Et là encore, ce projet est soumis à
l’Eglise, et la parole du prêtre n’est pas accessoire pour accomplir le
sacrement. Tel est le mystère de l’Eglise : il y a une cohérence entre
l’intimité et la liturgie, entre ce que Dieu murmure dans le cœur des hommes et
ce que Dieu proclame dans les rites de l’Eglise. Croire en l’Eglise (et y
croire jusqu’à confier à l’Eglise toute l’orientation de sa vie, dans le
mariage ou dans la consécration sacerdotale), cela veut dire reconnaître que
c’est bien le même Dieu qui est à l’œuvre dans le cœur des croyants et dans le
ministère des prêtres. C’est ce même Dieu qui, dans le secret de l’âme et dans
la communauté des fidèles, nous veut heureux, charitables et sauvés.
[1] « La vocation et la mission reçues au jour de son ordination,
marquent [le prêtre] d’une façon permanente » (Catéchisme de l’Eglise Catholique, n° 1583).
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