vendredi 16 janvier 2015

2ème dimanche - année B

Sainte Marie du Trastevere (Rome)
Le récit de la vocation de Samuel (1S 3, 3-10) est particulièrement émouvant. L’auteur biblique nous décrit ce qui se passe dans la conscience de cet enfant, tellement jeune qu’il n’est pas encore allé (si j’ose dire) au catéchisme (1S 3, 7), qu’il ignore tout au sujet de la foi. Malgré son manque d’instruction religieuse, le petit Samuel possède une conscience pure et cette conscience est le sanctuaire où Dieu lui parle. Mieux que dans un édifice de pierres, mieux que dans le temple de Silo (1S 1) où Samuel réside et où Dieu également est supposé habiter (cf. Jr 7), c’est dans son âme que le juste peut rencontrer le Seigneur présent ; c’est dans un cœur pur (cf. Mt 5, 8) que le Seigneur se révèle. Et c’est dans ce dialogue intérieur entre Dieu et Samuel que nous sommes introduits, nous qui avons aussi une conscience où Dieu nous parle.
Samuel est un enfant réaliste, qui se méfie de lui-même, de ses illusions, de ses faux désirs, qui ne se laisse pas entraîner par la parole reçue. C’est là l’un des grands paradoxes de la vocation : pour être authentique, un appel qui retentit dans l’âme doit être authentifié par une autorité. Ce n’est pas la voix entendue qui constitue la vocation de Samuel ; c’est la confrontation de cette voix au discernement du prêtre Héli (1S 3, 5) qui permet d’affirmer que l’appel vient réellement de Dieu (1S 3, 8-9). La chose est curieuse, car ce qu’on sait par ailleurs de cet Héli n’est pas très édifiant ; il était un mauvais prêtre, lâche (1S 2, 11-36), acariâtre, aux jugements hâtifs (1S 1, 13-14). Et pourtant, malgré sa consternante médiocrité spirituelle, Héli est l’interprète accrédité par Dieu pour confirmer la vérité de la vocation prophétique de Samuel. Evidemment, il aurait mieux valu pour tout le monde que Héli ait été un bon prêtre ; mais Dieu ne renonce pas à agir, il ne renonce pas à se révéler, quand bien même ses ministres sont défaillants. Sa grâce n’est pas tenue en échec par les fautes des hommes – fussent-ils officiellement prêtres.

Le récit de la vocation des disciples (Jn 1, 35-42) procède de même. La vocation d’André et de l’autre disciple passe par la parole de Jean Baptiste : « Voici l’Agneau de Dieu » (Jn 1, 36) ; ils sont ceux qui ont « entendu la parole de Jean » (Jn 1, 40). De même la vocation de Pierre passe par l’interpellation d’André : « Nous avons trouvé le Messie » (Jn 1, 41). Jésus n’appelle pas directement ses premiers disciples. Il laisse une parole d’homme résonner d’abord aux oreilles de ceux qu’il choisit. Lorsqu’il a convié Simon-Pierre, André n’était pas encore le délégué à la pastorale des vocations ; il était à peine disciple, certainement pas apôtre. Et pourtant, c’est par cette invitation fragile, peu consciente, mal éclairée que Jésus a attiré à lui celui qui serait le chef des Douze. André devait être hésitant en expliquant à Simon qu’il connaissait le Messie ; son enthousiasme, bien réel mais peu raisonné, devait sembler contestable. Mais Jésus n’a pourtant pas renoncé à passer par le ministère d’André pour ‘‘recruter’’ Pierre. Et Pierre est venu.

Ces récits de la vocation de Samuel, d’André, de Pierre, nous permettent de saisir un aspect décisif du mystère de l’Eglise : l’expérience chrétienne fondamentale est que Celui qui parle au cœur de la conscience est aussi Celui qui parle par les ministres de l’Eglise. Pour les prêtres, c’est une exigence redoutable : quelle délicatesse, quelle bienveillance cela suppose ! Il faut que le Saint Esprit soit sans cesse agissant pour réparer les inévitables maladresses des ministres. Mais ce n’est pas le plus important ; ce qui compte surtout c’est que chaque chrétien a une conscience, et que chaque chrétien, en consultant sa conscience, entend Dieu qui lui parle – non par un langage bruyant, ou autoritaire, mais par des inspirations très délicates, par des inclinations intimes sereines, heureuses et profondes. Pourtant, malgré la sincérité de l’écoute, le chrétien ne peut décider par lui seul de sa vocation. Ce qu’il entend de Dieu, en son cœur, il doit l’exprimer, le présenter, le soumettre à l’Eglise. C’est bien la parole d’un évêque qui fait d’un ordinand un prêtre ; le séminariste est celui qui entend l’appel de Dieu dans son âme, mais qui reçoit[1] sa vocation par la parole de son évêque, au jour de l’ordination. De même, une vocation au mariage procède d’un appel entendu en conscience : Dieu, dans la délicatesse d’un sentiment amoureux, éveille chez un homme et une femme le désir de fonder un foyer chrétien. Et là encore, ce projet est soumis à l’Eglise, et la parole du prêtre n’est pas accessoire pour accomplir le sacrement. Tel est le mystère de l’Eglise : il y a une cohérence entre l’intimité et la liturgie, entre ce que Dieu murmure dans le cœur des hommes et ce que Dieu proclame dans les rites de l’Eglise. Croire en l’Eglise (et y croire jusqu’à confier à l’Eglise toute l’orientation de sa vie, dans le mariage ou dans la consécration sacerdotale), cela veut dire reconnaître que c’est bien le même Dieu qui est à l’œuvre dans le cœur des croyants et dans le ministère des prêtres. C’est ce même Dieu qui, dans le secret de l’âme et dans la communauté des fidèles, nous veut heureux, charitables et sauvés.




[1] « La vocation et la mission reçues au jour de son ordination, marquent [le prêtre] d’une façon permanente » (Catéchisme de l’Eglise Catholique, n° 1583). 

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