samedi 28 décembre 2013

Sainte famille - année A

Dès après la naissance de Jésus, commence le premier acte de la persécution (Mt 2, 13). A une époque où la situation politique était très incertaine et tendue, sauvegarder une dynastie au prix du meurtre d’un enfant paraissait peu de choses : l’Antiquité, d’ailleurs, est pleine de ces histoires de rois qui ont tué des enfants, parfois leur propre fils, pour préserver leur royauté. Le cas de Laïos exposant Œdipe est devenu le mythe d’un fait divers assez courant. Aussi, lorsque Hérode se sent mis en péril par ce petit Jésus, né à Bethléem, il est naturel pour lui de chercher à le faire périr ; ce que la raison d’Etat exige, la morale de l’époque l’excuse. Et Hérode, voulant être bien certain de tuer celui qui pouvait le gêner, n’aura aucun scrupule à faire massacrer de nombreux enfants – un de plus, qu’importe, pourvu que celui qui doit mourir n’en réchappe pas.
Le récit de l’exposition d’Œdipe par Laïos est pourtant un échec ; ce que craignait le père, le fils l’accomplira tragiquement. Pareillement, le passage d’évangile de ce jour nous rapporte, d’une tout autre manière, comment la protection de Dieu a tenu en échec le plan d’Hérode pour sauvegarder la vie de l’enfant Jésus. Il convient de faire à ce sujet quelques remarques. Dieu n’est pas toujours là pour protéger le juste persécuté. Cette fois-ci, l’enfant Jésus incapable de se défendre par lui-même, est protégé par Dieu son Père. Mais, à la fin de l’évangile, Jésus n’est plus défendu ; il va à la mort et saint Paul a raison de dire que « Dieu n’a pas épargné son propre Fils » (Rm 8, 32), bien qu’il l’ait préservé du premier massacre. On remarquera d’ailleurs, que Jésus lui-même ne sollicite pas de protection. Dans le jardin des Oliviers, les apôtres auraient voulu que Dieu lui sauve la vie. Mais Jésus leur imposera le silence en affirmant, solennellement, qu’il est venu pour affronter la mort. Devant la colère bouillonnante de saint Pierre, il le rabroue en disant : « Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? » (Mt 26, 53). C’est pour dire : « si j’avais envie d’être protégé, je pourrais bien, par moi-même, demander à Dieu de me sauver miraculeusement de mes ennemis ; mais je suis venu pour offrir ma vie. Maintenant que l’évangile a été annoncé, j’ai accompli ma mission ; il me reste à lui donner son achèvement plénier en triomphant de la mort ». Et la suite de l’Histoire de l’Eglise est pleine de ces récits de persécution ; des femmes et des hommes, remplis de courage, sont allés vers la mort sans demander à Dieu d’être délivrés de leurs bourreaux. Combien de pages douloureuses ont été écrites avec le sang des martyrs ? Parfois, Dieu sauve le Juste de la mort en le préservant de ses persécuteurs – comme l’enfant Jésus aujourd’hui – parfois Dieu sauve le Juste de la mort en le faisant entrer, au-delà de la mort, dans la résurrection et la vie éternelle – comme Jésus mourant au Calvaire (He 5, 7). En toutes choses, Dieu fait ce qui est bon, selon sa grande sagesse.
Le plan de secours élaboré par Dieu et mis en œuvre par saint Joseph consiste à aller en Egypte. Ce détail est plein de sens. Dans l’ancien Testament, c’est également un certain Joseph, fils de Jacob, qui va en Egypte, vendu comme esclave par ses frères jaloux (Gn 37). Et ce Joseph, fils de Jacob, devenu ministre de Pharaon, sauve ensuite ses frères de la famine, ayant changé le mal qu’on lui a fait en bien que Dieu crée en faveur de ses propres persécuteurs (Gn 50, 20). Et puis, après la mort de Joseph, l’Histoire du peuple d’Israël se poursuit, et Moïse prend la tête du peuple alors opprimé par un Pharaon qui n’avait pas connu Joseph (Ex 1, 8), pour le ramener en Terre promise. C’est à cet épisode de l’Exode, du retour d’Egypte, que se réfère le verset du prophète Osée : « D’Egypte, j’ai appelé mon fils » (Os 11, 1 ; Mt 2, 15). Chez le prophète, ce fils de Dieu appelé hors d’Egypte, est le peuple d’Israël qui rentre en Terre sainte sous la conduite de Moïse. Dans l’évangile, ce Fils de Dieu est Jésus, ramené en sécurité vers Nazareth. Pour un connaisseur de l’ancien Testament tous ces voyages ont donc un profond sens symbolique. De même Joseph, fils de Jacob, est allé en Egypte pour sauver le peuple de la famine, de même Joseph, époux de Marie, est allé en Egypte pour sauver l’enfant Jésus du massacre. De même Dieu a appelé hors d’Egypte le peuple pour le restaurer sur la Terre promise, de même Dieu a appelé Jésus hors d’Egypte pour proclamer et réaliser la fin de cet exil, non pas loin de la terre, mais – séparation ô combien plus dure – loin de Dieu. La grande Histoire du salut de l’ancien Testament est comme incarnée, vécue à nouveau dans la personne de Jésus. Le sens de ce rapprochement est bien clair : le Dieu qui a sauvé Israël par Joseph et Moïse est le même Dieu qui vient maintenant sauver toute l’humanité par Jésus. C’est, autrefois et maintenant, le même Dieu, le même sauveur.
Ces textes des évangiles de l’enfance sont construits comme une poésie pleine de symboles et d’allusions. Par une lecture attentive, nous pouvons découvrir de multiples consonances, des références, des citations qui nous aident à comprendre comment la bonté de Dieu, à l’œuvre à travers Moïse, est à l’œuvre dans le ministère de Jésus, et se poursuit aujourd’hui dans son Eglise. Dans un monde de violence, dans un monde qui tue les enfants (Ex 1, 16 ; Mt 2, 16) – et notre monde aussi tue des enfants – la bonté de Dieu ne renonce pas à changer en salut le mal que nous commettons. Que le Seigneur accorde aux chrétiens de ne jamais mépriser sa grâce ; qu’il leur donne, comme au Joseph de l’ancien Testament, assez d’habileté pour convertir l’injustice en occasion de vraie charité ; qu’il leur donne, comme au Joseph du nouveau Testament, assez de docilité pour faire de la persécution un lieu du salut.


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