« Voici que la vierge
est enceinte, elle enfantera un fils » (Is 7, 14)[1] :
cette phrase d’Isaïe, reprise par l’évangile (Mt 1, 23), est l’une des
plus énigmatiques de toute la Bible et l’une des plus commentées. Malgré le
nombre des commentaires, il est assez difficile de se faire une idée de son
sens exact ; trop d’explications obscurcissent la clarté, et pourtant, ce
texte n’est pas si compliqué.
Pour mieux comprendre,
reconstituons la scène : Isaïe s’adresse au roi Achaz, qui est sans enfant.
Pour un roi, cette situation est particulièrement préoccupante. Ne pas avoir
d’enfant est une grande souffrance pour tout couple, mais chez un roi, cela
remet en cause l’équilibre de toute une nation : si le roi reste sans
enfant, qui va lui succéder ? On imagine toutes les querelles dynastiques,
les complots et les coups tordus qu’une telle incertitude peut causer. Achaz est
par ailleurs un mauvais roi qui se laisse tenter par l’idolâtrie, qui rend des
cultes illicites et monstrueux à des divinités étrangères (2R 16). Isaïe
va donc trouver Achaz, et il est doublement en colère, à cause de l’impiété
d’Achaz et à cause du risque politique ; le rôle des prophètes a toujours
été d’être en colère contre les rois et de leur reprocher leur mauvaise
conduite. Isaïe invite donc Achaz à demander un signe au Seigneur –
c’est-à-dire : il l’invite à faire confiance au Seigneur plutôt qu’aux faux
dieux – et Achaz, qui préfère consulter Baal ou Astarté dit, avec une modestie
hypocrite qu’il ne veut pas tenter le Seigneur. Alors Isaïe laisse exploser sa
colère et dit : « voici que la vierge est enceinte ». Comprenez
bien : celle dont Isaïe affirme qu’elle est vierge, c’est la reine, c’est
celle dont le roi devrait recevoir un fils, celle qui devrait donner un prince
au peuple. Mais si elle est « vierge », cela signifie donc que le roi
est incapable d’accomplir son devoir envers son épouse. Ce n’est pas que la reine est stérile, c’est qu’elle est vierge ; et
c’est donc le roi qui est en défaut. Et voilà pourquoi le Royaume est dans
l’angoisse. Vous comprenez la violence d’une telle injure envers Achaz. Et
Isaïe poursuit : bien qu’Achaz soit un mécréant, et qu’il ait délaissé la
reine, le Seigneur qui prend soin de son peuple veut, et il va susciter un roi
légitime.
Franchissons quelques
siècles et arrivons à Nazareth. Marie est une jeune fille promise à Joseph.
D’une manière mystérieuse, qui échappe à toute logique humaine, elle accepte
l’irruption de Dieu et conçoit avant d’avoir été accueillie sous le toit de
Joseph (Mt 1, 18). A cause de la piété avec laquelle on lit ce texte
d’évangile, on ne mesure sans doute pas combien cette situation est humiliante
pour Marie. Etre enceinte en étant encore seulement fiancée est la honte
suprême en Israël ; c’est aussi le risque d’être accusée publiquement,
répudiée, voire condamnée à mort (Dt 22, 23-24). Et Marie, légitimement
inquiète, mais certaine de sa conscience et de l’appel de Dieu, a choisi
l’humiliation de la foi (cf. Lc 1,
48). Elle aurait pu dire non, refuser ce projet de Dieu inimaginable, et aurait
sauvegardé les apparences d’une honorabilité mondaine. Elle n’a pas voulu s’opposer
à la volonté de Dieu, même si cette volonté incompréhensible lui paraissait
déraisonnable. Et sa foi absolue l’a conduite à accepter le déshonneur de
porter un enfant alors qu’elle n’était pas encore l’épouse de Joseph. On
comprend alors l’hésitation de Joseph, qui ne doute pas de la loyauté de Marie,
mais qui butte évidemment sur l’inattendu d’une telle situation : il ne
peut supposer que Marie ait fauté, mais il ne peut alors nullement comprendre comment
elle est déjà mère. C’est ainsi que, pour lui, qui est descendant d’Achaz,
l’oracle d’Isaïe prend un sens nouveau ; il se souvient que « la
vierge concevra et enfantera un fils » et, muni de cet oracle, réconforté
par la parole de l’antique prophète, il accueille la jeune mère chez lui. La plus terrible colère d’Isaïe contre un
roi maudit se transforme en l’annonce la plus étonnante et la plus merveilleuse
de l’avènement du Messie.
Dieu est bien déroutant et
la foi est surprenante, mais c’est dans cet inattendu qui dépasse ce qu’on peut
imaginer que le Fils de Dieu est venu jusqu’à nous. Que cela nous enseigne à ne
pas craindre ce que nous ne comprenons pas ; si nous croyons vraiment,
quand bien même notre foi serait source d’humiliations, rien ne devrait nous ébranler.
[1] Le mot hébreu almah pose un sérieux problème de traduction. Il peut en effet désigner
une « jeune fille » sans impliquer nécessairement la virginité.
Toutefois, il convient de reconnaître qu’il la suggère fortement (une « jeune
fille » comme il faut se devant, en Israël, d’être vierge pour prétendre
devenir épouse). C’est pourquoi le traducteur grec disposait de sérieuses
raisons pour traduire almah par parthenos et indiquer ainsi plus
clairement la virginité de la femme d’Achaz. La nouvelle Bible – Traduction officielle liturgique donne d’ailleurs la
version suivante : « voici que la vierge est enceinte », avec
une note explicative convaincante.
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