Jean Baptiste pose une question un peu étrange,
qui doit être bien comprise : « es-tu celui qui doit venir ou
devons en attendre un autre ? » (Mt 11, 3). Certains pensent
que cette question trahirait un doute de la part du Baptiste : le pauvre
homme aurait annoncé le royaume de Dieu, reconnu le Christ et, dans sa prison,
à la veille de mourir, il serait pris d’une sorte d’hésitation, se demandant
s’il ne se serait pas trompé depuis le début. Une telle lecture est absurde, et
ne mérite pas de retenir notre attention. Un tel doute ne correspond ni au
caractère de Jean Baptiste, ni à la vérité de l’évangile. Il nous faut mieux
lire.
D’une manière plus
profonde, on doit tenir compte du contexte très particulier de cette demande de
Jean Baptiste : il est en prison. Jean saint très bien qu’il ne sortira
pas vivant de cet emprisonnement. Il a pris trop de risques, sa prédication
était trop forte, et ses adversaires sont trop nombreux. Le roi Hérode lui-même
vouait une certaine admiration craintive à l’enseignement du Baptiste
(Mc 6, 20), mais ce roi craint plus encore les Romains, il craint les
notables, il craint la foule. Il se méfie de tout ce qui pourrait causer de
l’agitation ; et Jean est un fauteur de troubles dans le peuple. Jean sait
quel serait le salaire de son audace de prophète ; il a bien compris qu’il
sera exécuté ; il sait qu’il va mourir.
Et Jean, qui a pleinement reconnu le Christ, qui
sait que Jésus est le Fils de Dieu, se pose une seule vraie question pour
laquelle il hésite encore : il se demande si la mission qui lui a été
confiée d’annoncer la venue du Messie est une mission seulement terrestre, qui
concerne notre monde, ou bien si Jésus sera tué lui aussi, et s’il convient que
lui, Jean, aille également préparer sa venue dans le monde des morts. Avant de
partir, Jean demande à Jésus : « ma naissance a annoncé ta
naissance ; ma prédication a préparé ta prédication ;
est-ce que ma mort, qui est maintenant certaine, annonce aussi ta mort ? »
Autrement dit, Jean fait l’expérience de la violence, de la persécution ;
son message a été contesté, comme le message de tous les prophètes avant lui.
Il se demande maintenant si le Christ lui-même sera victime de cette même
persécution, ou bien si, par une plus grande persuasion, ou par une
manifestation de sa toute-puissance, il échappera à la mort violente. Jean,
vous le voyez, n’est pas inquiet pour lui-même ; il va mourir, et il est
serein devant la mort. La question qu’il se pose concerne le Christ :
Jésus va-t-il rejoindre Jean dans la mort ?
La réponse à cette question n’est que trop
évidente : Jésus va être confronté à la persécution et à la violence, il
va mourir à cause de la méchanceté des hommes. Mais, pourtant, ce n’est pas
cela que Jésus répond. Il ne dit pas : « je vais mourir moi aussi
injustement, et tu peux préparer mon arrivée dans le monde des morts ». Il
dit : « Les aveugles voient, les
boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts
ressuscitent » (Mt 11, 5). En clair, il dit : « Ce n’est
pas tant ma mort que tu dois aller annoncer dans le monde des morts ;
c’est ma résurrection que tu dois prophétiser là-bas. Car c’est peu de chose
que je meure dans la violence et l’injustice, comme toi tu meurs dans la
violence et l’injustice. Ce qui est le plus important c’est que, dans la mort,
va alors advenir un surgissement de vie. Tous ceux qui sont dans la mort sont
plongés dans les ténèbres, ils sont aveugles, muets et sourds. Et moi aussi je vais mourir, non pas pour
faire un mort de plus, mais pour être, parmi les morts le premier ressuscité,
pour être celui qui vais montrer à tous ces aveugles une lumière nouvelle ».
Quelle
est donc la grandeur spirituelle de ce dialogue entre Jean et Jésus ! Il
n’y a pas de doute, de crainte. Il y a deux hommes face à la
mort ; il y a Jean qui sait qu’il va mourir et qui comprend que sa mission
d’annoncer le Christ n’est peut-être pas terminée ; et puis il y a Jésus
qui sait qu’il va mourir et qui comprend que sa mission est de ressusciter.
Ainsi, Jean est celui qui a annoncé aux hommes de ce monde la venue du
Seigneur ; il est celui qui a prophétisé au monde des morts la
résurrection définitive et le bonheur de la vie éternelle. Jésus est celui qui
a guéri les aveugles, qui a fait jaillir la lumière dans le monde des ténèbres ;
il est celui qui a fait surgir la vie dans un monde de désespoir et de mort,
qui a introduit les défunts dans la vision de Dieu. Il nous faut sans cesse
prendre conscience de cette vitalité inouïe du message chrétien. L’évangile et
un évangile de la vie, et c’est de cette vie nouvelle et éternelle que nous pouvons
témoigner, jusque chez les morts !
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