Il ne fait pas de doute pour un catholique que
le Christ est « la Vérité » (Jn 14, 6). Il ne saurait être
question de relativiser et de dire que tout se vaut, que chacun doit chercher
sa vérité. Non ; nous qui avons la grâce d’être chrétiens, nous savons que
le Christ est la Vérité – il l’a dit lui-même – et que l’Eglise – qui n’est
rien d’autre que la présence du Christ sur notre terre, à notre époque – a reçu
cette mission de Dieu de faire rayonner le Vrai dans le monde[1].
Cependant, au niveau personnel, le Christ-Vérité
nous échappe le plus souvent. La Vérité ne se laisse pas emprisonner dans un
cerveau humain, si intelligent soit-il ; la Vérité n’est pas une idée
claire ou un système, ou une idéologie quelle qu’elle soit. Ainsi, jamais un
homme ne possède la Vérité, jamais un homme ne peut comprendre le
Christ. Tout ce que nous pouvons faire, vous comme moi, c’est de le chercher. C’est
un peu comme un jeu de piste ou une enquête policière. Et, voilà
l’essentiel : un homme qui cherche le Christ ne peut trouver le Christ que
s’il rencontre d’autres hommes qui, comme lui, cherchent le Christ.
Ceci est très exactement la logique de la fête
de l’Epiphanie. Nous avons dans notre évangile deux groupes d’hommes qui
possèdent chacun une partie de la vérité, un indice. L’enjeu du texte est de
montrer comment ces deux indices vont pouvoir se rencontrer. D’un côté, nous
avons les Mages qui se demandent : « Où est le Roi des Juifs qui
vient de naître ? » (Mt 2, 2). Cette question montre ce qu’ils
savent : que le Roi des Juifs vient de naître ; mais elle laisse voir
également ce qu’ils ignorent : où il doit naître. De l’autre côté, nous
avons le peuple juif, qui lui possède la Parole de Dieu. Le Juifs savent d’une
manière fiable que le Roi des Juifs doit être issu de David, et donc qu’il doit
naître à Bethléem (Mt 2, 5-6 ; cf. Mi 5).
Cela, ils le savent depuis longtemps, depuis toujours presque ; mais, les
Ecritures ne disent pas quand le
Messie doit venir. Ainsi, nous avons d’un
côté les Mages qui savent quand, mais ignorent où naît le Roi des Juifs ;
de l’autre, nous voyons les Juifs qui savent très bien où, mais qui n’ont aucun
indice sur l’époque de la venue du Messie.
Avec leur demi-vérité, aucun des deux groupes ne
peut accéder concrètement au Christ. Chacun se trouve démuni. Chacun se trouve
riche d’une moitié et pauvre d’une moitié. Et la situation reste bloquée,
jusqu’à ce que les mages osent enfin poser la bonne question : celle qui
révèle et qui demande, celle qui permet un dialogue d’où peut sortir la mise en
commun de deux sagesses, et qui permet ainsi de s’approcher de la Vérité. Mais
vous voyez bien que pour découvrir où se trouve le Roi, les Mages doivent
révéler qu’ils savent quand il vient. Quand on parle de la Vérité, il faut
accepter de se découvrir, de se dévoiler un peu. Ils ne peuvent pas cacher les indices
qu’ils ont, sans quoi ils ne pourront pas recevoir ceux qui leur manquent. Ils
doivent dire : « Il vient de naître » pour entendre en
réponse : « Il est de Bethléem ». Ils ont pris un risque, et
même un grand risque, si on regarde la suite de l’histoire (Mt 2, 16).
Mais il fallait prendre ce risque qui seul pouvait permettre de rassembler les
deux indices et qui offrait dès lors à chaque partie de savoir ensemble où et quand le Messie
viendrait.
On ne trouve donc le Christ que dans un risque,
un dialogue, un partage. Il faut bien sûr chercher autant qu’on le peut les
indices de la présence du Christ ; mais on ne peut pas les chercher de
manière égoïste, comme si on pouvait par soi-même, sans rien dire, sans rien
révéler, reconstituer l’ensemble de la Vérité. Pour accéder au Christ, il faut
accepter de donner quelques uns de ses indices ; il faut partager les
fragments de vérité que nous avons pour que, du partage lui-même,
surgisse quelque chose d’inattendu, qui nous engage à aller plus loin.
Trop souvent, l’homme cherche sa vérité de
manière individualiste, celle qui lui convient, sans se confronter aux
autres ; et nous voyons bien qu’il finit par adorer cette petite vérité
confortable qu’il s’est construite. Qu’il s’agisse d’une domination, d’un
confort, d’une fortune, ou d’une bonne santé, nous voyons bien des hommes qui,
ne pouvant par eux-mêmes se donner rien de plus haut, finissent par faire de
leur petit sommet l’objet de leur adoration. Cela est très exactement ce que la
Bible appelle de l’idolâtrie : adorer l’œuvre de nos mains, croire en sa
vérité. La logique chrétienne n’est pas celle-là : il faut adorer celui
qu’un autre nous indique ; il faut se prosterner devant celui qui nous
est donné ; il faut croire en la Vérité qu’un autre nous révèle. Cela
suppose beaucoup d’humilité, mais c’est précisément cette profonde humilité qui
est le critère le plus authentique de la vérité.
[1] Le Concile Vatican II a rappelé
solennellement l’infaillibilité de l’Eglise lorsqu’elle entend définir une
doctrine concernant la foi ou les mœurs. Ceci est exprimé sans hésitation dans
la Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen
Gentium, n° 25. Il n’y a donc pas lieu d’amoindrir ce charisme
ecclésial ou de distendre le lien de l’Eglise à la Vérité.
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