Nous commençons à lire aujourd’hui la première
lettre de saint Paul aux Corinthiens (1Co 1, 1-3). On connaît mal saint
Paul, et parfois, même, on se méfie un peu de lui. Curieusement, saint Paul n’a
pas toujours une très bonne réputation parmi les chrétiens. On l’imagine
autoritaire, grandiose, terrible. En fait, saint Paul était – si l’on peut dire
– tout simplement un apôtre, c’est-à-dire quelqu’un qui a rencontré le Christ
et qui a reçu de lui la mission d’annoncer l’évangile. Certes, à l’époque de
saint Paul, annoncer l’évangile cela voulait dire fonder des Eglises. Paul a dû
passer par Corinthe dans les années 51-52 ap. J.C. et là, il a annoncé
pour la première fois le message de la résurrection de Jésus (Ac 18). Car
être apôtre c’est avoir vu directement le Ressuscité et attester
personnellement que le Christ est vivant (1Co 15). Cela est le privilège
des seuls témoins de la première Eglise et cette époque apostolique est aujourd’hui
révolue : il n’y a plus, aujourd’hui, d’apôtres au sens strict. Mais, ceci
mis à part, nous avons beaucoup de points communs avec saint Paul : nous
aussi nous avons rencontré le Christ, et nous aussi nous avons la mission
d’annoncer l’évangile.
Saint Paul écrit donc aux chrétiens de Corinthe.
Relevons quelques expressions importantes. En s’adressant à ces chrétiens,
saint Paul définit admirablement l’Eglise : qu’est-ce que l’Eglise ?
C’est « vous qui avez été sanctifiés dans
le Christ Jésus, vous les fidèles qui êtes, par appel de Dieu, le peuple saint,
avec tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus
Christ » (1Co 1, 2). L’Eglise est avant tout une communauté sainte.
Nous disons bien, dans le Credo :
« je crois… à la sainte Eglise catholique ». La sainteté est la
première des qualités de l’Eglise. L’Eglise est un « peuple saint »
parce que nous, qui formons l’Eglise, avons « été sanctifiés dans le
Christ ». Souvent, nous vivons comme des gens ordinaires, en oubliant que
nous avons été sanctifiés par le baptême, que nous recevons le Saint Sacrement
dans la communion, et que tous les actes de notre vie chrétienne sont là pour
nous donner la sainteté, la sainteté même du Christ.
La
sainteté de l’Eglise est une vérité de foi ; notre sainteté personnelle,
dans l’Eglise sainte, est à la fois une grâce
de Dieu et une responsabilité de
notre part. Notre sainteté est une grâce de Dieu, parce que Dieu seul peut
nous sanctifier. Notre sainteté ne vient pas de nous-mêmes, cela dépasse nos
forces. Mais Dieu, dans sa bonté, ne renonce pas à faire de nous des saints, et
il nous donne sans cesse sa grâce, en pardonnant nos fautes, en soutenant notre
charité. Mais cette sainteté que Dieu nous donne ne doit pas rester
stérile ; et c’est là notre grande responsabilité chrétienne. Nous
recevons la grâce de Dieu ; qu’en faisons-nous ? Comment mettons-nous
en œuvre tout ce que nous avons reçu depuis notre baptême ? Saint Paul dit
bien que c’est « l’appel de Dieu » qui nous rend saints. Cet appel
est une invitation, à laquelle il nous appartient de répondre. Pour employer un
mot plus précis : la sainteté est
une vocation. Dieu donne à chacun de nous une vocation à devenir des saints.
Le Concile Vatican II a même déclaré, à juste titre, que la vocation universelle
à la sainteté était une évidence[1], une vérité
spirituelle fondatrice que personne ne peut jamais oublier. Une vocation c’est
un appel devant lequel nous sommes libres de répondre. Voilà la grande question
de toute notre vie : Dieu m’invite à être un saint – comment vais-je répondre
à cet appel ? Vais-je décliner l’invitation ? Ou bien vais-je
accepter d’entrer dans la joie à laquelle je suis convié ?
Et
saint Paul ajoute encore autre chose, comme pour nous aider à mieux répondre.
Cet appel à la sainteté ne fait pas de moi un être à part. Devenir un saint ne
nous couperait pas du monde, bien au contraire. Trop souvent, on se dit que la
sainteté est une affaire qui concerne les martyrs, isolés au sommet de leur
héroïsme, et les moines, isolés au fond de leur cellule ; et cette
sainteté là nous fait peur, nous n’en voulons pas. Mais la sainteté n’est pas
là pour nous rendre solitaires, mais au contraire pour renforcer notre lien à
l’Eglise. Nous ne sommes pas invités à la sainteté chacun tout seul ; mais
bien ensemble, dans l’Eglise et par l’Eglise. Etre saint, c’est devenir
pleinement un membre actif du « peuple saint ».
Et pour
les encourager encore, saint Paul rappelle aux Corinthiens que l’Eglise de Corinthe
n’est pas la seule ; il y a aussi « tous ceux qui, en tout lieu,
évoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ » (1Co 1, 2). C’est
comme pour nous dire, à nous aussi, peuple saint qui est en France, qui voyons bien
que ne sommes pas très nombreux, que nous ne sommes pourtant pas seuls. Nous sommes
reliés à toute l’Eglise universelle. Tant qu’on se croit seul devant la
responsabilité de la sainteté, on a peur, on est intimidé ; parfois même
on a honte d’être chrétien en voyant qu’il y a si peu de chrétiens autour de
nous. Mais c’est une mauvaise vue que de se croire seul. Au contraire, nous
sommes entourés de témoins du Christ de tous les lieux, de toutes les époques,
et la sainteté des uns renforce, soutient et encourage la sainteté des autres.
C’est cela le mystère de l’Eglise : « vous qui avez été sanctifiés dans le Christ Jésus,
vous les fidèles qui êtes, par appel de Dieu, le peuple saint, avec tous ceux
qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ ». Avec
courage et docilité, avec confiance et ferveur, accueillons « la grâce et
la paix » (1Co 1, 3) et faisons ce que nous pouvons pour répondre avec
joie à l’appel du Seigneur.
[1] « Il est donc bien
évident pour tous que la vocation
à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ,
quels que soient leur état ou leur rang » (Concile Vatican II,
Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen
Gentium, 40).
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