La question du Temple,
pour les hommes de la Bible, est aussi, d’une manière indissociable, une
question de sacerdoce : le Temple est le lieu des sacrifices, et les
sacrifices sont l’affaire des prêtres (He 5, 1). C’est pourquoi la liturgie de
la Présentation de Jésus au Temple nous donne d’entendre, en deuxième lecture,
ce texte tiré de la Lettre aux Hébreux
(2, 14-18) qui a précisément pour objet le mystère théologique et spirituel du
sacerdoce du Christ. Dès son premier contact avec le Temple, se pose pour Jésus
la question du sacrifice. Qu’est-ce que cela veut dire que Jésus soit
prêtre ?
Cela signifie tout
d’abord qu’il est vraiment un homme. Le sacerdoce est une institution humaine,
et un prêtre doit partager avec tous les hommes une communauté de nature :
« chair et sang » (He 2, 14) dit l’épître. Cette désignation de
la condition humaine est pourtant plus subtile qu’il n’y paraît. « Chair
et sang », cela peut indiquer simplement la fragilité, la vulnérabilité ;
l’homme est fort, il domine la création par son intelligence, mais il est
faible en tant que cette intelligence est soumises aux contingences de la
condition corporelle. La chair et le sang, c’est le lieu où je fais
l’expérience de mes propres limites, où je prends conscience que je suis
« le plus faible de la nature »[1].
Et le Christ a fait cette expérience. Il n’a pas fait semblant d’être un
homme : il a eu faim et soif, il a ressenti la fatigue, il a connu la
tristesse et il a pleuré, il a eu peur. Il a « souffert jusqu’au
bout » (He 2, 18) et connaît donc, au plus intime de lui-même, toutes
nos détresses. Mais cette communauté de chair et de sang, cette union de
l’humanité dans la vulnérabilité prend aussi un autre sens lorsqu’il s’agit de
Jésus et des chrétiens. En instituant le rite de son sacrifice, c’est
précisément à une communion à sa chair, à son corps livré, et à son sang, au
calice de la nouvelle alliance, qu’il a invité ses disciples ; et c’est
précisément le geste dont l’Eglise vit à chaque messe. Ainsi, le lieu de la
faiblesse humaine, devient, en Jésus, le lieu de la communion spirituelle.
Jésus a transfiguré nos détresses en son sacrifice – et son sacrifice, nous y
communions.
Être prêtre, pour Jésus,
cela signifie aussi inaugurer un nouveau rapport à la mort. Depuis qu’Adam a
placé l’humanité dans la perspective de la mort, tous les hommes ensemble et
chaque homme en particulier est comme paniqué à l’idée de devoir mourir un
jour. Ce délire collectif que l’épître nomme « la crainte de la
mort » (He 2, 15) est une sorte de frénésie qui est l’aiguillon du
péché. Le raisonnement – qui est bien plus une folie qu’une argumentation – est
à peu près celui-ci : « comme je dois mourir un jour, autant profiter
de la vie avant » ; l’homme qui se dit cela fait passer le plaisir
avant toutes les exigences – ou plutôt la seule exigence devient de prendre,
coûte que coûte, un peu de plaisir. Mais avec un tel principe moral, on va de
faux plaisirs en vraies déceptions et on ne construit aucun bonheur fiable.
L’auteur de l’épître a bien raison de faire remarquer que cela est une
soumission au diable (He 2, 14), le diable étant précisément celui qui
nous disperse, qui éparpille l’humanité dans cette incohérence désespérée.
C’est le contraire de la communion. C’est pour cela que l’attitude de Jésus
devant la mort vient nous libérer de cette phobie. Tous les hommes passent pas
la mort et tous, ils ont alors un choix à faire : soit ils décident de
passer leur vie dans la hantise de mourir et ils s’abrutissent de mauvaises
consolations ; soit ils sont capables d’offrir leur vie, comme Jésus a
offert la sienne, et alors la mort n’a plus de prise sur eux. Mais pour offrir
sa vie, il faut être prêtre – et, par notre baptême, nous sommes unis au
sacerdoce de Jésus.
Enfin, il faut relever
une différence radicale qui établit le sacerdoce de Jésus dans une vérité qui
était humainement inaccessible. Vous le savez, dans l’Antiquité, il y avait des
prêtres chez toutes les nations ; le sacerdoce est l’institution
religieuse la plus répandue au monde, jusque dans les paganismes les plus
monstrueux et les plus sanglants. Que veut dire que Jésus est prêtre si l’on
considère tous les sacrifices cruels ou stupides qui se célébraient
alors ? Jésus est-il un prêtre comme tous les autres ? Non,
évidemment ! Mais en quoi est-il différent ? L’épître dit ceci :
Jésus est « un grand prêtre miséricordieux et digne de confiance »
(He 2, 17). Voilà qui distingue Jésus prêtre de tous les prêtres du
paganisme et de l’ancien Testament. Un prêtre, dans toutes les religions,
célèbre des sacrifices, et l’on pense souvent que le sacrifice a une vertu
expiatoire, qu’il pardonne les péchés. Mais nulle part on n’avait dit du prêtre
qu’il est miséricordieux ; cela n’avait aucune importance. Un romain qui
craint d’avoir offensé Jupiter va trouver un prêtre de Jupiter et lui demande
un sacrifice ; une fois l’animal immolé, il pense être pardonné par
Jupiter, mais il ne pense pas être pardonné par le prêtre. Le prêtre est un
technicien de l’immolation, un sacrificateur, mais pas un homme de miséricorde.
Avec Jésus, il en va autrement. Dans son sacrifice, Jésus est le prêtre qui a
dit : « Père, pardonne-leur » (Lc 23, 34) ; il est le
prêtre qui a répandu son sang « pour la multitude en rémission des
péchés » (Mt 26, 28). En un mot, il est le prêtre « miséricordieux ».
Et c’est ce qui change tout.
Voilà pourquoi nous
pouvons faire confiance au sacerdoce de Jésus et, en lui, faire confiance au
sacerdoce des prêtres de l’Eglise. Voilà pourquoi chacun de nous, associés au
sacerdoce de Jésus par notre baptême, pouvons croire au salut qui nous est
donné.
[1] Blaise Pascal, Pensées, 186 ; in Pascal, Œuvres
complètes, II, La Pléiade n° 462, NRF – Gallimard, Paris, 2006 ;
p. 614.
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