samedi 31 août 2013

22ème dimanche - Année C

L’épître aux Hébreux (He 12, 18…24), entendue en deuxième lecture revient sur l’un des plus grands malentendus de l’histoire du salut. L’auteur fait en effet référence à l’Alliance scellée au pied du mont Sinaï et évoque « cette voix que les fils d’Israël demandèrent à ne plus entendre ». Pour mieux comprendre cette affaire, il faut aller relire le livre de l’Exode (chap. 20), et on voit en effet Dieu proclamer du milieu des ténèbres et du feu, d’une voix immense et solennelle les paroles de l’Alliance, le Décalogue. Et le peuple est effrayé de toute cette mise en scène divine tonitruante et il supplie Moïse : « Parle-nous, toi ; nous t’écouterons. Mais que Dieu ne nous parle pas de peur que nous ne mourions » (Ex 20, 19). En entendant Dieu parler, le peuple, littéralement, meurt de peur. Il pense que la parole de Dieu est insoutenable et que de l’écouter encore causerait sa mort. La parole de Dieu est dangereuse et il faut donc s’en protéger. Voilà quelle est cette « voix que les fils d’Israël demandèrent à ne plus entendre ».
Mais vous comprenez bien qu’il s’agit là d’un triste quiproquo. La Parole de Dieu, en effet, serait-elle source de mort ? Dieu voudrait-il tuer ceux à qui il s’adresse ? Ce serait insensé. Et pourtant, préférant la douceur à la contrainte, le Seigneur a écouté la prière du peuple. Dieu s’est tu, et désormais, c’est Moïse qui a parlé. Cet épisode de l’Ancien Testament possède une signification décisive pour comprendre les relations de Dieu et des hommes, pour comprendre la Parole de Dieu. Beaucoup de fidèles remarquent, à juste titre, que les livres de la Bible ont été écrits par des hommes. Les croyants disent que la Bible est parole de Dieu, mais les historiens disent que cette parole de Dieu a été écrite par Baruch, par Isaïe, par Moïse peut-être aussi, bref, qu’elle a été écrite par des hommes. Et les esprits forts soulignent alors le paradoxe : quelle est cette “parole du Seigneur” dont nous connaissons les auteurs humains ? La réponse vous la connaissez maintenant : s’il en est ainsi, c’est parce que nous, les hommes, avons demandé à Dieu de se taire, et parce que Dieu, dans une humble bienveillance, nous a obéi. Cette « voix que les fils d’Israël demandèrent à ne plus entendre », nous ne l’entendons plus ; ce qui nous faisait peur s’est éloigné.
Maintenant, l’épître aux Hébreux marque bien que l’ancienne Alliance, celle conclue au pied du Sinaï, est caduque, qu’elle est tombée en désuétude. Nous ne mettons plus notre foi en Moïse, mais en « Jésus, le médiateur d’une alliance nouvelle ». Cette alliance nouvelle fut conclue dans le sang du Christ ; elle est célébrée dans l’Eucharistie : « Ceci est le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle ». Quelle est donc notre situation ? Elle a changé de fond en comble. Lorsque nous célébrons l’Eucharistie, il n’y a plus cette machinerie grandiose de la fumée et du tremblement de terre, il n’y a plus cette voix de trompette. Autrefois, le peuple était terrifié ; aujourd’hui, il y a l’Eglise. L’épître aux Hébreux dit, en développant : la cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, les milliers d’anges, l’assemblée des élus, les âmes des justes. Tout cela, c’est l’Eglise envisagée dans toutes ses dimensions, l’Eglise du ciel et de la terre, l’Eglise d’hier et d’aujourd’hui. Le rite de l’Alliance ancienne causait une peur de mourir. Le rite de la nouvelle Alliance fait alors surgir une communauté de ressuscités.
Certes, Jésus est mort, et nous communions à son corps livré et à son sang versé qui sont des signes de mort. Mais Jésus est ressuscité aussi, et c’est l’Esprit Saint, qui a ressuscité Jésus, qui vient consacrer le pain et le vin comme Corps vivant, comme Sang vivifiant. Et il existe entre l’Eucharistie et l’Eglise une intime union de telle sorte que l’Eglise qui communie au Corps du Christ ressuscité est elle-même le Corps du Christ ressuscité. Les grandes encycliques eucharistiques de Jean-Paul II ont profondément médité ce mystère : « L’Eglise vit de l’Eucharistie »[1] disait-il, comme pour affirmer cette identité vitale. Le Corps du Christ ressuscité c’est l’Eucharistie ; le Corps du Christ ressuscité c’est l’Eglise.
Résumons notre passage de l’épître aux Hébreux. L’ancienne Alliance avait suscité une certaine peur de Dieu. Nous avions demandé son silence, et nous l’avons obtenu. Désormais, à notre désir, la Parole de Dieu passe par des auteurs humains. Dans la nouvelle Alliance, Dieu agit autrement. Cette Alliance comporte un signe de mort – le corps livré, le sang versé – et un gage de résurrection. Dans la lumière de Pâques, l’Eucharistie est le pain vivant, la nourriture qui s’épanouit en vie éternelle. Apprenons de l’épître aux Hébreux à fréquenter ce don vital avec ferveur. Là où il y avait le Sinaï en feu et une grandeur terrifiante, il y a maintenant le pain vivant et une aimable douceur. L’ancienne Alliance était solennelle jusqu’à effrayer ; l’alliance eucharistique est une intime tendresse. Que notre cœur sache ainsi voir dans ce sacrement l’expression ultime de l’humble douceur de Dieu ; à cette école d’intériorité, apprenons à communier à ce don avec une immense gratitude.

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