dimanche 25 août 2013

21ème dimanche - Année C

On a beaucoup reproché à Jésus cette affaire de la porte étroite (Lc 13, 24). Quel est ce message de Jésus qui semble exclure du Royaume la multitude pour n’en garder que quelques uns ? Le salut est-il donc réservé à une petite élite ? Pourquoi l’entrée dans la vie éternelle suppose-t-elle des conditions si restrictives ? Ces questions, que l’on entend parfois, passent en fait à côté du sujet. Ce sont de mauvaises questions, qui ne conduisent qu’à des réponses fausses. Car il ne faut pas se tromper sur la parole de Jésus, il ne faut pas confondre menace et mise en garde. Menacer, c’est annoncer un châtiment qu’on va infliger ; mettre en garde, c’est prévenir d’un danger qui peut se produire. Et si Jésus voulait menacer, il ne dirait pas : « efforcez-vous d’entrer ».
Mais quelle est donc cette porte étroite ? Avec le seul texte français, on imagine une grande maison avec une toute petite porte, et on se dit que cette construction est bien mal agencée. Avec une telle image, l’évangile devient peu compréhensible. En réalité, le texte et le contexte biblique suggèrent qu’il peut s’agir, dans ce verset, de la porte d’une ville plutôt que de celle d’une maison. Imaginez une ville, cachée dans la montagne, par laquelle on accède au moyen d’un étroit défilé, par une sorte de canyon très resserré. Ceux qui ont visité le site archéologique de Pétra en Jordanie voient ce que je veux dire[1]. Pour aller à Pétra, il faut marcher entre deux hauteurs rocheuses, au fond d’un gouffre, sur une petite piste de sable tortueuse. A début de la piste, rien n’indiquait que ce chemin peu engageant conduit à une ville luxueuse, et les pilleurs de villes ne connaissaient pas cette voie secrète ; et, l’auraient-ils connue, il aurait été facile de les surveiller depuis la hauteur des falaises, de leur barrer le chemin et de les anéantir. C’est avec cette image d’une ville qu’on peut mieux comprendre la phrase de Jésus.
Que peut-on maintenant en tirer ? On voit d’abord que, pour accéder à la ville, il faut connaître son existence et savoir où elle se trouve. Pendant des siècles, les populations ignoraient le lieu de Pétra. La ville était ainsi défendue, protégée par sa situation perdue au milieu des montagnes. Des pillards ne pouvaient y accéder facilement ; elle est protégée par ses accès étroits et sinueux, dominés par des falaises. En revanche, les commerçants, eux, devaient connaître l’existence et l’emplacement de la ville. Mais, cela est évident, par un chemin aussi resserré, on ne peut pas faire entrer dans la ville des quantités de denrées. On peut amener ce que transporte un chameau, rien de plus. C’est dire que, si on veut faire du profit avec si peu de marchandises, il est inutile d’apporter des matières ordinaires. Il vaut mieux ne pas s’encombrer de produits de faible qualité et de faible prix. En revanche, si on apporte des épices, des étoffes et des pierres précieuses, on peut, avec le chargement d’un chameau, faire de bonnes ventes. C’est un peu cela que Jésus veut dire, je crois.
Pour entrer dans le Royaume des cieux, il faut d’abord savoir qu’il existe, et où il se trouve. Beaucoup de gens ignorent qu’il y a un salut, et ils ignorent donc ce qu’il faut faire, ce qu’il faut croire, pour être sauvé. Ces gens-là sont comme les riverains de Pétra qui ne connaissaient même pas l’existence de la ville. Ensuite, il faut accepter de prendre le chemin étroit, qui n’est ni confortable ni rassurant. C’est un chemin dont on ne voit pas le terme, parce qu’il est sinueux ; il faut du courage et de la persévérance pour arriver au bout. Enfin, et surtout, ce n’est pas la peine de s’encombrer de choses inutiles, volumineuses et sans valeur. Bien souvent, nous sommes englués dans des tas de petites richesses de pacotille ; nous tenons coûte que coûte à des réalités qui n’en valent pas la peine. Cela ne sert à rien d’entrer dans le salut avec de fausses richesses ; ce serait aussi décevant que d’entrer dans Pétra avec une cargaison d’oranges flétries en pensant qu’on va faire fortune ; quelle confusion alors ! Mais alors, quelles sont ces grandes richesses qui ne prennent pas de place avec lesquelles nous pouvons entrer dans le salut ? Ce serait d’abord la foi. C’est notre première richesse. La foi n’est pas encombrante, elle nous libère au contraire de tout ce qui n’est que secondaire. Puis, notre deuxième richesse, ce serait l’espérance, qui nous permet de persévérer même lorsque nous ne voyons pas le bout du chemin. Notre troisième richesse, de loin la plus précieuse et la plus discrète, ce serait l’amour. Tous ces actes d’amour minuscules, ces petites attentions à nos proches, sont comme des petits diamants très purs qui, dans le Royaume, brillent de leur éclat le plus intense.
Voilà ce que suggère cette image de la porte étroite, si on la replace dans le contexte de l’Orient ancien. Jésus ne menace pas d’exclure qui que ce soit. Il invite plutôt à rechercher, avec prudence et modération, le vrai chemin qui ne nous décevra pas.

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