On a beaucoup reproché à Jésus cette affaire de
la porte étroite (Lc 13, 24). Quel est ce message de Jésus qui semble exclure
du Royaume la multitude pour n’en garder que quelques uns ? Le salut
est-il donc réservé à une petite élite ? Pourquoi l’entrée dans la vie éternelle
suppose-t-elle des conditions si restrictives ? Ces questions, que l’on
entend parfois, passent en fait à côté du sujet. Ce sont de mauvaises
questions, qui ne conduisent qu’à des réponses fausses. Car il ne faut pas se
tromper sur la parole de Jésus, il ne faut pas confondre menace et mise en
garde. Menacer, c’est annoncer un châtiment qu’on va infliger ; mettre en
garde, c’est prévenir d’un danger qui peut se produire. Et si Jésus voulait
menacer, il ne dirait pas : « efforcez-vous d’entrer ».
Mais quelle est donc cette porte étroite ?
Avec le seul texte français, on imagine une grande maison avec une toute petite
porte, et on se dit que cette construction est bien mal agencée. Avec une telle
image, l’évangile devient peu compréhensible. En réalité, le texte et le
contexte biblique suggèrent qu’il peut s’agir, dans ce verset, de la porte
d’une ville plutôt que de celle d’une maison. Imaginez une ville, cachée dans
la montagne, par laquelle on accède au moyen d’un étroit défilé, par une sorte
de canyon très resserré. Ceux qui ont visité le site archéologique de Pétra en
Jordanie voient ce que je veux dire[1].
Pour aller à Pétra, il faut marcher entre deux hauteurs rocheuses, au fond d’un
gouffre, sur une petite piste de sable tortueuse. A début de la piste, rien
n’indiquait que ce chemin peu engageant conduit à une ville luxueuse, et les
pilleurs de villes ne connaissaient pas cette voie secrète ; et,
l’auraient-ils connue, il aurait été facile de les surveiller depuis la hauteur
des falaises, de leur barrer le chemin et de les anéantir. C’est avec cette
image d’une ville qu’on peut mieux comprendre la phrase de Jésus.
Que peut-on maintenant en tirer ? On voit
d’abord que, pour accéder à la ville, il faut connaître son existence et savoir
où elle se trouve. Pendant des siècles, les populations ignoraient le lieu de
Pétra. La ville était ainsi défendue, protégée par sa situation perdue au
milieu des montagnes. Des pillards ne pouvaient y accéder facilement ;
elle est protégée par ses accès étroits et sinueux, dominés par des falaises.
En revanche, les commerçants, eux, devaient connaître l’existence et
l’emplacement de la ville. Mais, cela est évident, par un chemin aussi
resserré, on ne peut pas faire entrer dans la ville des quantités de denrées.
On peut amener ce que transporte un chameau, rien de plus. C’est dire que, si
on veut faire du profit avec si peu de marchandises, il est inutile d’apporter
des matières ordinaires. Il vaut mieux ne pas s’encombrer de produits de faible
qualité et de faible prix. En revanche, si on apporte des épices, des étoffes
et des pierres précieuses, on peut, avec le chargement d’un chameau, faire de
bonnes ventes. C’est un peu cela que Jésus veut dire, je crois.
Pour entrer dans le
Royaume des cieux, il faut d’abord savoir qu’il existe, et où il se trouve.
Beaucoup de gens ignorent qu’il y a un salut, et ils ignorent donc ce qu’il
faut faire, ce qu’il faut croire, pour être sauvé. Ces gens-là sont comme les
riverains de Pétra qui ne connaissaient même pas l’existence de la ville.
Ensuite, il faut accepter de prendre le chemin étroit, qui n’est ni confortable
ni rassurant. C’est un chemin dont on ne voit pas le terme, parce qu’il est
sinueux ; il faut du courage et de la persévérance pour arriver au bout.
Enfin, et surtout, ce n’est pas la peine de s’encombrer de choses inutiles,
volumineuses et sans valeur. Bien souvent, nous sommes englués dans des tas de
petites richesses de pacotille ; nous tenons coûte que coûte à des
réalités qui n’en valent pas la peine. Cela ne sert à rien d’entrer dans le
salut avec de fausses richesses ; ce serait aussi décevant que d’entrer
dans Pétra avec une cargaison d’oranges flétries en pensant qu’on va faire
fortune ; quelle confusion alors ! Mais alors, quelles sont ces
grandes richesses qui ne prennent pas de place avec lesquelles nous pouvons
entrer dans le salut ? Ce serait d’abord la foi. C’est notre première
richesse. La foi n’est pas encombrante, elle nous libère au contraire de tout
ce qui n’est que secondaire. Puis, notre deuxième richesse, ce serait
l’espérance, qui nous permet de persévérer même lorsque nous ne voyons pas le
bout du chemin. Notre troisième richesse, de loin la plus précieuse et la plus
discrète, ce serait l’amour. Tous ces actes d’amour minuscules, ces petites
attentions à nos proches, sont comme des petits diamants très purs qui, dans le
Royaume, brillent de leur éclat le plus intense.
Voilà ce que suggère cette image de la porte
étroite, si on la replace dans le contexte de l’Orient ancien. Jésus ne menace
pas d’exclure qui que ce soit. Il invite plutôt à rechercher, avec prudence et
modération, le vrai chemin qui ne nous décevra pas.
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