jeudi 24 décembre 2015

Sainte Famille - année C

Cet évangile est une vraie difficulté pour les exégètes. La scène de la disparition de Jésus pose en effet de multiples questions : quel sens donner à ce qui ressemble bien à la fugue d’un jeune adolescent ? Jésus se sentait-il mal à l’aise à la maison ? Et puis il semble qu’il ait un doute sur son père : qui est, pour Jésus, Joseph, le chef de famille, si son vrai Père est Dieu lui-même ? Ou bien Dieu est-il pour lui seulement un Père spirituellement, comme on le disait autrefois des rois d’Israël (2S 7, 14) ? Jésus lui-même n’est-il pas un descendant de David et ne peut-il prétendre à cette filiation religieuse ? Tout cela est bien complexe.
Et pourtant, ces questions que je viens de poser sont des mauvaises questions ; ce sont des questions qui trahissent plutôt les angoisses modernes d’une société qui ne sait plus ce qu’est la famille, ce qu’est la paternité. Ce sont des questions qui ne peuvent recevoir que des mauvaises réponses parce qu’elles se situent hors de l’intention de l’évangéliste. Il serait absurde de faire de Jésus un adolescent déboussolé ; il serait étrange de faire de Joseph un chef de famille indécis ; il serait curieux de faire de Marie une mère inquiète et possessive. Expliquer par nos troubles psychologiques et par nos déchirures familiales cet évangile ne peut conduire qu’à une impasse.

Pour comprendre quelque chose il faut d’abord se souvenir de ceci qui ne fait de doute pour aucun des trois : Jésus est le Messie annoncé par les prophètes. A propos du Messie, on ne manque pas d’informations : Joseph et Marie savent de lui tout ce que dit l’ancien Testament et, sans doute apprennent-ils à Jésus à lire dans ces textes qui parlent de lui et, dans sa conscience d’enfant, d’une manière pour nous indicible, l’enfant découvre sa propre vocation. Joseph sait très bien que Jésus n’est pas naturellement son fils ; il sait très bien que Marie est irréprochable en toutes choses (Mt 1, 20). Tout cela est bien mystérieux, mais cette certitude est plus forte que l’incompréhension : Marie n’a jamais rien fait de mal. Jésus sait très bien que Dieu est son Père et que Joseph est le chef de famille ; il sait très bien qu’il doit à Dieu une obéissance filiale et qu’il doit à Joseph respect et soumission. Cette « sainte famille » est très atypique, composée d’un homme juste, de l’Immaculée Conception et du Verbe de Dieu fait chair ; il règne entre ces trois une vraie communion de charité et nous pouvons supposer que jamais aucune faute n’a été commise qui soit venue blesser cette bonne entente.
Et pourtant, c’est dans cette famille que se produit un événement étrange, inattendu, qui déroute Joseph, Marie et Jésus. Sans faire rien de mal, Jésus reste au Temple (Lc 2, 43). Sans faire rien de mal, Joseph et Marie omettent de vérifier sa présence dans la caravane du retour. Sans faire rien de mal, Marie s’étonne devant Jésus de son attitude : pourquoi a-t-il fait cela ? Sans rien faire de mal, Jésus s’étonne de l’inquiétude de Joseph et Marie : pourquoi le cherchaient-ils ? Que veut dire cela ? Pourquoi l’évangéliste nous rapporte-t-il cet épisode étrange ?
La clef de la réponse se trouve dans cette formule : « au bout de trois jours » (Lc 2, 46). Saint Luc veut nous donner dans cet épisode une préfiguration du mystère pascal : Jésus qui disparaît à Jérusalem et qu’on retrouve au bout de trois jours, cela ne peut pas ne pas nous faire penser à ce qui s’est passé entre le vendredi saint et le dimanche de Pâques. Aussi, la question qu’on peut se poser, qui est maintenant une bonne question, est celle-ci : comment Marie a-t-elle vécu ces événements de la mort et de la résurrection du Christ ? Saint Jean nous montre Marie présente au pied de la croix, debout (Jn 19, 25). Aucun évangéliste ne nous décrit la rencontre du Ressuscité et de sa Mère. Mais nous pouvons relire la question de Marie : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? » (Lc 2, 48), pourquoi ne t’es-tu pas défendu lorsqu’on t’accusait ? pourquoi t’es-tu laissé conduire à la croix sans résistance ? pourquoi as-tu accepté toutes ces souffrances alors que tu n’avais jamais commis le mal ? Il y a là un mystère profond qui bouleverse Marie. Ce n’est pas un reproche de Marie, mais un cri de souffrance. Relisons la réponse de Jésus : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? » (Lc 2, 49) N’aviez-vous pas lu dans les prophètes que le Messie devait souffrir, mourir, et ressusciter ? Ce n’est pas un reproche de Jésus, mais une explication de textes, semblable à celle qu’il fera pour les disciples d’Emmaüs (cf. Lc 24).
Mais cette scène ne se passe pas lorsque Jésus a trente ans, mais douze. Jésus enfant, dans sa conscience d’enfant, sait déjà quelle est sa vocation. Il n’en pressent pas encore la violence ; il n’imagine peut-être pas la cruauté de ses adversaires et toutes les souffrances qu’il devra endurer. Mais il est prêt. Il n’hésite pas à se rendre au Temple qui est le lieu des sacrifices ; il n’hésite pas à discuter avec des docteurs, comme un maître de sagesse. Jésus est ce rabbi, cet interprète de la volonté de Dieu qui offre sa vie. Jésus a douze ans, et il sait déjà ce que sera sa vocation : annoncer l’évangile et donner sa vie ; la sagesse et le sacrifice. Voilà ce que saint Luc veut nous dire : jamais, à aucun moment, Jésus n’a ignoré sa vocation. Ce qu’il a vécu à trente ans dans la violence de la croix, il l’a vécu à douze ans, déjà capable de parler de sagesse et déjà capable de donner sa vie.
Prions aujourd’hui pour que, dans les familles, les enfants découvrent une vocation qui les épanouisse. Prions pour qu’ils sachent rester fidèles à la volonté de Dieu avec générosité et bonheur.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.