vendredi 18 décembre 2015

4e dimanche de l'Avent - année C


Ce récit de la Visitation nous est utile pour bien situer l’événement de Noël dans l’année liturgique et dans l’histoire du salut. Pour cela, il convient de relever un détail qui risquerait de passer inaperçu à un lecteur moderne, mais qui ne pouvait manquer de frapper l’attention d’un lecteur des premières générations chrétiennes : « Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse » (Lc 1, 39). Partir, se mettre en route, se rendre en hâte, se diriger vers une montagne : voilà autant d’expressions et de thèmes que l’évangéliste applique à Marie et que la tradition d’Israël utilise lorsqu’il s’agit de rapporter la sortie d’Egypte. La rapidité, une certaine précipitation même, caractérise en effet le rite de la Pâque : « C’est ainsi que vous mangerez [l’agneau pascal] : les reins ceints, vos sandales aux pieds et votre bâton à la main. Vous la mangerez en toute hâte, c’est une pâque pour le Seigneur » (Ex 12, 11) ; et cet empressement de l’action liturgique se déploie ensuite dans la soudaineté de la fuite hors d’Egypte, lorsque la mort des premiers-nés crée une sorte de mouvement de panique générale : « Les Égyptiens pressèrent le peuple de se hâter de quitter le pays car, disaient-ils : ‘‘Nous allons tous mourir !’’ » (Ex 12, 33). Et le peuple se met alors en route vers une région montagneuse, vers le Sinaï, où Dieu a donné rendez-vous à Moïse pour qu’il y célèbre un culte d’Alliance. Partir, en hâte, vers la montagne : aucun lecteur de l’Antiquité chrétienne ne peut ignorer qu’on évoque ici, en arrière-fond, un événement de nature pascale, quelque chose qui est de l’ordre de la libération.
Dans le texte de saint Luc, ce que l’auteur de l’Exode attribuait au peuple, l’évangéliste l’applique donc à Marie. La Mère de Jésus résume en elle ce cycle de la rédemption d’Israël. Que peut-on tirer de cette audacieuse assimilation ? Tout d’abord sans doute – et sans que ce soit complètement anecdotique – une indication chronologique. On se demande souvent quand se sont produits les événements de l’incarnation et l’on répond habituellement qu’on n’en sait rien : Jésus a-t-il été vraiment conçu le 25 mars (date de l’Annonciation) ? est-il vraiment né le 25 décembre ? Que dire ? En l’absence d’un acte civil en bonne et due forme, on ne peut trancher, évidemment. Mais la tradition d’Israël et cette allusion assez claire du texte de saint Luc suggèrent qu’il convenait bien que l’Incarnation se produise dans le contexte liturgique de la fête de Pâque, c’est-à-dire au début du printemps. S’il reste impossible d’établir avec certitude la date du 25 mars, elle devient plausible et la date du 25 décembre pour célébrer la naissance de Jésus n’est donc pas aussi arbitraire qu’on le pense ordinairement.
Mais, au-delà de ce détail de chronologie liturgique, cette mise en lumière de la réalité pascale du mystère de Noël est tout à fait décisive. La Pâque n’est pas seulement la mort et la résurrection de Jésus ; ce n’est pas seulement le passage de la servitude à la liberté, la sortie des Hébreux hors d’Egypte. Les traditions anciennes d’Israël[1] nous enseignent que la Pâque, c’est aussi l’offrande d’Isaac sur le mont Moriyyah, que c’est aussi la création d’Adam, que c’est aussi le jour tant attendu, et tant redouté, du Jugement définitif ; toute visite de Dieu est une Pâque. Comment alors l’Annonciation, la Visitation et la Nativité ne trouveraient-elles pas leur sens comme étant elles aussi des événements de nature pascale ? Israël est le peuple de la Pâque ; Marie est la femme de la Pâque qui, après avoir entendu le message de l’ange, se met en route sans attente et sans hésitation ; tout croyant est appelé à devenir un homme de la Pâque, et toute l’humanité est invitée à être la Pâque de la création entière. Ce n’est que dans cette fulgurance, dans cette « hâte », que la grandeur de Dieu se laisse contempler : la toute-puissance de Dieu est cette force qui, en un instant, fait passer de la mort à la vie, de l’esclavage à la liberté, du péché à la grâce, du non-être à l’existence, de la peur à la joie. Il n’y a que ces passages absolus, rapides comme l’étincelle, dans lesquels nous puissions rencontrer vraiment le Seigneur.
Laissons Dieu venir marquer nos vies ; il n’entend pas faire de nos existences terrestres une tranquille et confortable consolation ; le signe de sa présence est toujours un passage, rapide, insaisissable, qui laisse notre cœur brûlant alors qu’il semble qu’il nous ait déjà quittés. Laissons Dieu se révéler à nous par surprise, qu’il fasse de nous le lieu de sa Pâque.




[1] Ceux qui veulent approfondir cette question peuvent consulter l’admirable ouvrage du Père R. Le Déaut, La nuit pascale – Essai sur la signification de la Pâque juive à partir du Targum d’Exode XII 42, Analecta Biblica, Pontifico Instituto Biblico, Rome, 1963. 

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