mercredi 23 décembre 2015

Noël


Cela fait maintenant un peu plus de deux mille ans que Jésus est né. Il n’est pas inutile de dresser un petit bilan : qu’est-ce que la venue du Verbe de Dieu a changé en notre monde ? A première vue, pas grand-chose. On souffrait avant la venue du Christ ; le Christ a souffert ; on souffre aujourd’hui encore. On mourait avant la venue du Christ ; le Christ est ressuscité ; mais on meurt toujours aujourd’hui. Il y avait de l’injustice avant la venue du Christ ; le Christ a invité ses disciples à pratiquer une justice nouvelle, qu’on appelle la charité ; mais l’injustice aujourd’hui prend des proportions scandaleuses. On pourrait continuer longtemps cette liste lamentable, et on serait alors amené à dire : mais alors qu’a fait le Christ ? Qu’est-ce que la Parole de Dieu venue en personne a apporté au monde ? Et, en constatant si peu d’amélioration, on ne peut manquer d’en faire quelque reproche au Christ. Mais avant de conclure trop défavorablement, il faut pourtant s’interroger un peu.
Tout d’abord, que serait le monde si le Christ y régnait avec une toute puissance insurmontable ? Imposer sa volonté, quand bien même cette volonté serait bonne, on appelle cela de la dictature. Et le Christ n’est pas venu fonder la dictature du bien, moins encore la dictature de Dieu ; le Christ est venu fonder l’Eglise, ce qui est très différent. On ne peut se réjouir de ce que l’évangile soit aujourd’hui méconnu et rejeté, mais on ne pourrait pas plus approuver que l’évangile soit une obligation ou une contrainte. Le Christ est surtout venu nous révéler une liberté, nous inviter à une liberté authentique : « la vérité vous rendra libres » (Jn 8, 32). Vous comprenez bien que le seul moyen d’éveiller quelqu’un à la liberté consiste à pratiquer la discrétion. Seul un maître qui se tient en retrait peut éduquer son disciple à être libre. Cela est parfois perçu douloureusement par le disciple qui préférerait qu’on lui dicte sa conduite ; le disciple peut même souffrir de ce qu’il interprète comme un silence, une absence de son maître. Mais la discrétion du maître est bien le seul moyen de faire éclore ce sens de la responsabilité d’où peut naître une liberté qui conduise au bonheur. C’est ainsi du moins que le Christ en use avec l’humanité.
Il faut aussi se poser une seconde question que je viens d’esquisser : la discrétion de l’action du Christ dans ce monde nous renvoie, nous baptisés, à notre responsabilité. Si le monde n’a que peu changé depuis la naissance de Jésus, qu’ai-je fait, moi, pour le changer ? Le Christ est discret, cela veut dire qu’il ne s’impose pas. Mais le Christ n’est pas secret : sa parole est publique, sa doctrine est connue, nous avons les évangiles. Personne ne nous empêche de les lire, personne ne nous empêche de les mettre en pratique, personne ne nous interdit d’améliorer ce monde que nous reprochons au Christ d’avoir laissé tel quel. « La lumière brille dans les ténèbres » (cf. Jn 1, 5) : certes, le monde est encore ténèbres ; mais la lumière n’a pas renoncé à briller pour autant. Certes le monde est aveugle, mais personne ne nous interdit d’ouvrir les yeux. Car il ne suffit que d’ouvrir les yeux pour voir, il ne suffit que de lire l’évangile pour vouloir le mettre en pratique, et il suffit de se mettre au travail pour que le monde change. Et si aujourd’hui j’ouvre les yeux, si aujourd’hui j’accueille la lumière de l’évangile, si aujourd’hui je décide de changer le monde en commençant par ma propre conversion, alors, peut-être, serais-je amené à nuancer le bilan qui semblait tout à l’heure si négatif.
Isaïe, qui était plus optimiste (c’est-à-dire plus courageux) disait : « toutes les nations verront le salut de notre Dieu » (Is 52, 10). Ce n’est pas une parole dite à la légère. Un observateur désengagé dirait : « mais je ne vois pas que tous les hommes aient accueilli le salut de Dieu », et il n’aurait pas tort, sinon celui d’être désengagé. Un observateur croyant, lui, irait, annoncer le nom de Jésus, car il n’y a pas d’autre nom par lequel nous puissions être sauvés.
Après deux mille ans de christianisme, on dit que l’Occident est plongé dans la lassitude ; notre civilisation voudrait-elle passer à autre chose ? A quoi ? Au matérialisme, à l’idolâtrie du confort ? Depuis qu’on a fait du pouvoir d’achat l’indice du bonheur, il n’y a jamais eu autant de solitude et de désespoir. Mais on voit bien aujourd’hui que nos églises sont vides, alors que les magasins sont une cohue. C’est une folie : le dénuement de Bethléem il y a deux mille ans est devenu le prétexte pour dépenser, parfois même pour s’endetter afin de consommer un peu plus ; ce contraste est presque un blasphème. Mais je ne crois pas pour autant que nous soyons lassés du christianisme ; je crois plutôt que nous n’avons pas encore commencé de vivre le christianisme : « il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu » (Jn 1, 11) ; voilà où nous en sommes ! Je crois que nous sommes fatigués d’avoir couru après de faux bonheurs, des plaisirs illusoires, des égoïsmes décevants, et que nous nous retrouvons, aujourd’hui, devant un enfant tout pauvre, tout fragile, tout vulnérable qui vient de naître ; et cet enfant est Dieu. Alors, après deux mille ans de vaine poursuite, après deux mille ans de temps perdu, si je me décide enfin, aujourd’hui, à accueillir le Christ, je crois, j’espère que mon cœur renouvelé pourra être la première étape d’un monde qui commence à devenir chrétien.


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