vendredi 28 août 2015

22e dimanche - année B


L’évangile que nous venons d’entendre (Mc 7, 1…23) commence par une discussion assez plate sur des questions de loi et de pureté religieuse. Il est normal qu’une religion possède des règles. Le Judaïsme possède des lois, le Christianisme possède des lois, l’Islam possède des lois. Le fait de posséder des lois est commun à toutes les traditions religieuses et c’est tout à fait nécessaire. Il convient de remarquer que le contenu des lois religieuses est très différent d’une religion à l’autre ; il convient de relever également que le rapport à la loi en tant que loi est également très différent[1]. Certaines lois religieuses sont omniprésentes et d’une force absolue ; d’autres traditions font passer, avant l’autorité du droit positif, le bien des fidèles. Rappelons que le système juridique du catholicisme est dominé par cet adage : « le salut des âmes est la loi suprême »[2]. Ainsi, pour nous qui vivons dans les lois chrétiennes, nous jugeons probablement, avec quelques raisons, que notre situation est loin d’être la plus défavorable.
Mais laissons cela de côté, car Jésus lui-même se désintéresse assez vite de ces questions techniques. Jésus avait pleinement conscience de la grandeur de la Loi de Moïse, mais il avait aussi le plus grand mépris pour la multiplication tatillonne des scrupules religieux. Et le Judaïsme de son époque était particulièrement plein de scrupules. Ainsi donc, après avoir déclaré que les questions de pureté et d’impureté légales n’ont pas tellement d’importance à ses yeux, Jésus essaye de conduire ses auditeurs sur un autre terrain. La question importante n’est pas de savoir d’où vient qu’une chose soit pure ou impure ; la vraie question que Jésus pose est celle de l’origine du mal. L’impureté religieuse n’est pas une question sérieuse ; en revanche le mal moral est un problème grave qu’il serait utile d’affronter avec lucidité. Tandis que les docteurs de la loi discutent jusqu’à s’épuiser sur la manière de se laver les mains, Jésus suggère qu’il serait plus utile de discerner comment garder un cœur pur.
Et à cette occasion, Jésus est ainsi conduit à porter l’un des jugements les plus pessimistes qui soit. Il relève cette différence essentielle : alors que l’impureté religieuse vient de l’extérieur (d’avoir touché une matière impure), le mal moral vient de l’intérieur de l’homme. Se protéger des impuretés externes est finalement assez commode ; cela nous distrait et nous empêche de voir que la racine du mal moral se trouve en nous. Prendre soin de la pureté du corps permet de faire l’économie d’un examen de conscience. Et Jésus ne peut tolérer une telle imposture, une telle illusion.
Alors, dans une longue liste (Mc 7, 21-22), un peu pesante, il assène : d’où vient le meurtre ? du cœur de l’homme ; d’où vient le vol ? du cœur de l’homme ; d’où vient l’adultère ? du cœur de l’homme ; d’où vient le mensonge ? du cœur de l’homme ; d’où vient la jalousie ? du cœur de l’homme… Mais une objection se présente, qui voudrait amoindrir ce propos de Jésus : le cœur de l’homme n’est-il pas tenté avant de commettre un meurtre, un vol, un adultère…? Or la tentation est extérieure ; et la cause du mal ne serait pas dans l’homme. Mais non ! c’est parfaitement faux. Mille tentations extérieures ne font pas un péché, à moins que je ne veuille pécher, à moins que je ne décide de pécher. Mais ce péché, cette décision, c’est bien du cœur de l’homme qu’elle vient – et non pas de la tentation. L’existence des banques n’est pas la cause des hold-up. La cause des hold-up c’est que des criminels ont choisi de commettre des vols. Sinon, l’existence de Dieu serait la cause des blasphèmes : cela n’a pas de sens. A chaque fois qu’on projette la cause du mal moral hors du cœur de l’homme ce ne sont que des excuses vaines et illusoires.
Ainsi, le constat de Jésus est très sombre : tout le mal moral vient de l’humanité ; aucun mal moral ne vient d’ailleurs que du cœur de l’homme. C’est finalement ce jugement très sévère, que Jésus affirme. Avec les histoires de pureté, les hommes avaient inventé une sorte de fable, une espèce commode de rêve religieux qui leur laissait croire que l’impureté venait du dehors. Mais Jésus nous ramène à la dure réalité de notre responsabilité complète – et cela ne fait pas plaisir à entendre. On comprend que les contemporains de Jésus aient mal reçu ce message qui vient dévoiler cette immense supercherie spirituelle. On n’aime pas qu’on nous dise que le péché vient de nous. Et pourtant, avec un peu de lucidité et un peu d’humilité, cette vérité nous invite à une vraie libération. Celui qui a pris conscience de sa responsabilité, celui-là sait alors qu’il peut invoquer la miséricorde. Car Jésus ne nous provoque que pour mieux nous sauver ; il ne dénonce nos fautes que pour mieux nous pardonner.






[1] C’est ce qu’a très bien montré R. Brague, La loi de Dieu – Histoire philosophique d’une alliance, Gallimard, 2005.
[2] Code de Droit Canonique, c. 1752 (dernier article du code). 

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